En Guinée, Moussa Dadis Camara a bénéficié d’une grâce présidentielle à l’initiative du chef de la junte actuelle, le général Mamadi Doumbouya. L’ancien dirigeant guinéen, au pouvoir entre 2008 et 2009, avait été condamné le 31 juillet 2024 pour crimes contre l’humanité dans le cadre du procès du massacre du 28 septembre 2009 au grand stade de Conakry. Cette décision, prise pour des raisons de santé, interroge et suscite des réactions contrastées.
Au lendemain de la grâce accordée par le général Mamadi Doumbouya au bouillant capitaine Moussa Dadis Camara, cette décision est diversement accueillie en Guinée. Chez les victimes du massacre du grand stade de Conakry et leurs proches, le choc et l’incompréhension sont évidemment de mise.
« Il s’agit d’une mauvaise nouvelle et, franchement, je ne m’attendais pas à cela… Combien de temps Moussa Dadis Camara a-t-il passé en prison depuis sa condamnation ? Même pas une année ! », s’insurge ainsi Fatoumatou Diallo qui a perdu son mari dans les événements du 28 septembre 2009 et qui n’a, depuis, jamais retrouvé son corps.
Fatoumata Barry, elle, demande désormais à l’État de prendre ses responsabilités et de s’assurer que « toutes les mesures de protection et de sécurité soient prises pour les victimes », nombre d’entre elles ayant témoigné à visage découvert lors du procès de Moussa Dadis Camara. « Le général Mamadi Doumbouya aurait dû attendre la fin de la procédure en cours puisque le procès en appel n’a toujours pas commencé. Quitte, en attendant, à évacuer Dadis en Europe ou aux États-Unis sous escorte policière », estime pour sa part Alsény Kéita, une autre victime.
Dans ce contexte, Mamadou Bailo Bah, le président de l’Association des familles des disparus du 28 septembre 2009 (Afadis) espère qu’un recours est encore possible. « Cette décision est un affront à la mémoire des victimes du massacre et nous aurions souhaité que les coupables purgent leur peine. Nous allons donc voir avec nos avocats s’il y une possibilité d’espérer quoi que ce soit d’une autre juridiction nationale ou internationale », déclare-t-il tandis que Drissa Traoré, le secrétaire général de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), estime, lui, que cette grâce « réduit à néant les efforts faits aussi bien par les victimes que par les organisations comme l’OGDH [l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen, NDLR] que par la FIDH pour lutter contre l’impunité. Et nous comprenons désormais pourquoi le chef de l’État a publié juste avant cette grâce un décret annonçant la prise en charge des frais d’indemnisation des victimes du 28 septembre 2009 : il voulait simplement nous faire passer cette pilule là ! », poursuit-il.
On est en train de vouloir marchander les indemnisations et, en même temps, on garantit l’impunité à ceux qui ont commis ces crimes au stade du 28 septembre.
Pour Maître Alpha Amadou DS Bah, avocat des victimes du massacre du 28 septembre 2009 au grand stade de Conakry .
Moussa Dadis Camara gracié, mais pas amnistié
Du côté des proches de Moussa Dadis Camara en revanche, la libération du capitaine suscite joie et soulagement. Depuis que la nouvelle est tombée dans la soirée du vendredi 28 mars, le domicile familial de Moussa Dadis Camara à Lambanyi, en banlieue de Conakry, est en fête. Dans la grande cour de la maison, un chapiteau a été spécialement dressé et un bœuf sacrifié pour l’occasion, tandis que de jeunes hommes en tenue traditionnelle de la Guinée forestière dansent au son d’une chanson écrite à sa gloire.
Une trentaine de personnes sont présentes, dont Joachim, le demi-frère de Moussa Dadis Camara qui a pu voir le désormais ex-prisonnier juste après sa libération. « Les mots me manquent. Quand je l’ai vu, j’ai eu les larmes aux yeux et je me suis dit : « Voilà que Dieu fait une sorte de miracle devant moi et de mon vivant ! ». Il est malade mais grâce à Dieu, ça peut aller », affirme-t-il au micro de notre correspondant à Conakry, Tangui Bihan.
Deborah, une nièce de Dadis, tient elle à rendre hommage au bienfaiteur de son oncle. « Nous tenons à remercier le président. La libération de Moussa Dadis [Camara] est intervenue grâce à son accord. Vraiment, merci à son gouvernement : sa libération est une grâce pour nous, une très grande grâce », lance-t-elle en direction du chef de la junte au pouvoir dont elle salue l’humanisme.
Dans le sud du pays, l’émotion est également plapable à Nzérékoré, la ville natale du capitaine. « Ce geste fort du président est un acte salutaire pour les acteurs de la société civile guinéenne. Le général Doumbouya se bat pour la réconciliation et l’unification du peuple de Guinée », s’exalte ainsi Amadou Barry, de l’Union citoyenne pour l’émergence de la Guinée, une organisation de la société civile proche des autorités, contacté par Mouctar Bah, lui aussi correspondant de RFI en Guinée. Un enthousiasme qu’un magistrat qui souhaite rester anonyme tient cependant à tempérer en rappelant que si Moussa Dadis Camara a été gracié, il n’a pas été amnistié, et que sa condamnation est donc toujours d’actualité. « La loi donne le droit au président de prendre une mesure de grâce pour dispenser une personne condamnée pour un crime grave de l’exécution de sa peine. En revanche, celle-ci reste inscrite dans son casier judiciaire, avec toutes les conséquences juridiques que cela implique », explique-t-il.
Quant à l’opposition guinéenne, elle s’interroge sur les motivations des autorités de transition et sur les raisons pour lesquelles elles sont allées chercher l’argument de l’état de santé fragile de Moussa Dadis Camara pour justifier sa grâce alors qu’il n’en avait jamais été question jusqu’à présent. Alors que le capitaine est issu de la Guinée forestière, une région où il reste encore populaire, elle se demande notamment si, en le libérant, le chef de l’État ne serait pas en train de chercher à gagner la sympathie d’une région durement marquée par la bousculade meurtrière du 7 décembre dernier. « C’est un geste purement humanitaire », rétorque pour sa part une source au ministère de la Justice…
Moussa Dadis Camara a été libéré vendredi 28 mars 2025 dans la soirée
Moussa Dadis Camara est bien sorti, vendredi 28 mars dans la soirée, de la maison centrale de Conakry, confirme ce samedi 29 mars son avocat Me Jean-Baptiste Jocamey Haba. L’ancien homme d’État guinéen avait été placé en détention il y a près de trois ans, juste avant l’ouverture du procès du massacre du 28 septembre 2009, pour lequel il a été condamné à 20 ans de prison ferme pour « crimes contre l’humanité ». Il n’est cependant pas encore apparu publiquement. Son avocat Me Haba ne souhaite pas donner plus de détails pour l’instant. Une décision surprise accueillie samedi dans la joie et le soulagement par ses partisans, et avec consternation par l’opposition et une partie de la société civile.
Par RFI