Tribune. Parfois, nous avons le sentiment d’être lassés de prendre la plume pour évoquer le mot violence, violence et violence. Comme si c’était la règle en démocratie.
Que ce soit la violence d’Etat ou la violence entre citoyens, le cocktail guinéen a atteint un niveau où, malheureusement, la vie humaine n’est plus sacrée. Nous nous entre-tuons comme dans une jungle, déshumanisés que nous sommes devenus, tels les derniers habitants d’une planète en perdition.
En effet, depuis le début des contestations contre le projet de changement constitutionnel officialisé récemment par le Président de la République Alpha Condé, le sens de la contradiction, du débat d’idées et du dialogue a cédé la place à la violence verbale, physique et parfois morale.
Des enfants meurent à la fleur de l’âge, des jeunes vies fauchées au moment où elles se préparaient à être utiles à la nation et la sagesse légendaire des acteurs politiques a cédé le pas au déni du sens de la responsabilité face à une telle situation.
Pour réclamer un droit ou un service, nous détruisons le peu que nous avons. Pour construire l’avenir, nous démolissons l’acquis. Et pour vivre heureux, nous mourrons malheureux. Quelle contradiction…
Le contexte est suffisamment tendu et pas besoin d’en rajouter. Il appartient à chaque citoyen de questionner son rôle dans la situation actuelle de notre patrie. Tout ce que nous disons, si ce n’est pour baisser la tension, vise inévitablement à l’enflammer et faire plus de victimes.
Il n’y a pas de vainqueur dans une Guinée qui brûle, il ne saurait y avoir de paix dans une nation qui laisse libre court aux émotions à la place de la raison et du discernement. Oui, la violence a atteint un niveau inquiétant.
Encore une fois, nous sacrifions nos vies sur l’autel de la politique. Oui, tout est intérêt politique, car en réalité, les conditions de vie du guinéen sont restées presque inchangées ces trois dernières décennies.
À l’État de tirer des leçons de ce qui se déroule actuellement. L’autorité publique est bafouée, conséquence de plusieurs années de tolérance abusive des dérives de tous ordres. Plusieurs fois, pour ne pas dire chaque fois, la politique et les intérêts stratégiques ont tordu le bras à l’application des décisions de justice. Aucune nation ne peut se construire dans un tel contexte. L’Etat est beaucoup plus dans le discours que dans l’action.
Bien malin celui ou celle qui donnera la garantie certaine que cette crise trouvera sa solution dans la rue. Le seul bilan dont nous pouvons avoir la certitude est celui des pertes en vies humaines, des destructions de biens publics et privés, l’exacerbation et l’instrumentalisation de tensions aux relents communautaires, les blessés et l’usage extrême de la violence.
La protestation du FNDC (Front national pour la défense de la constitution) est légitime. Les contestations sont inhérentes à tout système démocratique en construction. D’autant plus que tous les guinéens ne sont pas obligés d’avoir la même opinion sur cette question aussi cruciale. Cependant, la tournure actuelle des évènements donne une tout autre couleur. Au-delà de s’en prendre à l’Etat et à ses commis, les biens appartenant à des privés sont incendiés, des citoyens sont agressés et vandalisés par d’autres citoyens.
Loin de moi l’idée de juger cette nouvelle stratégie de lutte, je me pose juste quelques questions. Les victimes de ces actes sont-elles responsables de la proposition d’une nouvelle constitution ? Ont-elles pris part à la rédaction de celle-ci ? Sont-elles en mesure, à elles seules, d’arrêter ce processus ? Le FNDC n’est-il pas en train de renforcer le capital sympathique du Président Alpha Condé ? Comment le front pense-t-il que c’est en s’attaquant à de potentiels sympathisants qu’il réussira à arrêter ce processus ?
Au vu de la marche politique de notre pays ces dernières décennies, il est des raisons de croire nous traverserons cette crise, mais à quel prix ? Depuis 2007, le sang coule, pour presque rien. Lorsqu’on examine les résultats issus des violentes contestations que le pays a traversées, on peut affirmer que jamais les objectifs n’ont été réellement atteints. Ce qui n’a pas pour autant ramener à la vie tous ceux qui sont morts entre temps.
En janvier et février 2007, l’éléphant annoncé est arrivé avec une patte cassée. Le 28 septembre 2009 (paix à l’âme des victimes), la montagne a accouché d’une souris. La faute aux agendas politiques et la preuve que la violence n’est que larmes, douleurs et pertes.
Emmanuel MILLIMONO
Journaliste
emmamillimono@gmail.com