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Afrique, le match France-Russie

Avec un certain retard, la France a pris conscience de la montée en puissance de la diplomatie russe en Afrique

La forte progression des échanges « gagnant-gagnant » entre  la Russie et des États africains, dont certains appartenaient jadis à son pré carré. N’échappe plus à la diplomatie française. Les réunions de Bordeaux et de Saint-Pétersbourg de juin 2020 témoigneront de ces rivalités entre la France et la Russie.

La 24eme édition annuelle du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF) se tiendra du 3 au 6 juin 2020, alors que le 28 ème Sommet, quasi triennal, Afrique-France aura lieu à Bordeaux, également du 4 au 6 juin 2020. Cette coïncidence de dates serait-elle le fruit d’une curieuse méconnaissance des agendas réciproques ou d’une volonté délibérée de faire valoir à l’organisateur concurrent une meilleure attractivité ?

Multilatéralisme contre bilatéralisme

Le désengagement progressif de la France en Afrique et parallèlement la montée en puissance de la Russie pourraient bien se matérialiser avec l’organisation simultanée de ces deux événements fortement médiatisés. Le multilatéralisme, désormais orphelin des Etats-Unis de Donald Trump mais devenu le credo de la France d’Emmanuel Macron, et le regain du bilatéralisme, notamment en Afrique avec l’offensive de Vladimir Poutine, seront probablement en filigrane des réunions de Bordeaux et de Saint-Petersbourg.

Dans ses relations politiques, économiques et militaires avec les États africains, la Russie étend son influence en toute quiétude, sans rencontrer, à ce jour, de véritables obstacles. Lors de l’édition 2019 du Forum de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine constatait que « le modèle de mondialisation proposé à la fin du XX ème siècle est de plus en plus en contradiction avec les nouvelles réalités économiques et politiques » et il insistait : » les modèles précédents plaçaient les pays occidentaux  dans une position d’ exclusivité. Ces modèles leur ont donné un avantage et une rente énorme, prédéterminant pour leur leadership ».

En proclamant haut et fort que le droit inconditionnel pour chaque pays d’avoir son propre développement, en dehors de toute ingérence extérieure, Vladimir Poutine ne peut qu’attirer l’emphatie de nombreux dirigeants africains. Évidemment les arrière-pensées de Poutine ne trompent plus guère que les bisounours. Les questions sécuritaires et d’armement côtoient certes celles du développement, mais on peut néanmoins se demander si les populations et les jeunes investisseurs y trouveront leur compte. En revanche, à Bordeaux l’accent sera plutôt mis sur l’avenir infra-étatique, sur un meilleur vivre dans la cité et sur les financements innovants pour la « ville et les territoires durables ». L’approche supra-nationale et infra-étatique aura-t-elle plus de succès que celle du renforcement de l’Etat-gendarme ou de l’Etat-providence?

Poutine et Macron en première ligne

Vladimir Poutine exercera la présidence effective du Forum de Saint Pétersbourg, tandis qu’Emmanuel Macron en fera de même pour le Sommet de Bordeaux. Les Russes et les Français espèrent réunir près de 20 000 participants dont des milliers d’entrepreneurs et de décideurs et de nombreux chefs d’État et de gouvernement. Le Forum de Saint Pétersbourg est ouvert aux entreprises, investisseurs et porteurs de projets de tous les continents, intéressés par les opportunités russes. Il  prétend aussi être le « Davos russe » avec la déclinaison de la nouvelle économie mondiale, chère à Vladimir Poutine. La consolidation de la coopération russe en Afrique y sera évidemment à l’honneur. En revanche, le Sommet de Bordeaux concerne les 54 États africains. Le thème  » la ville et les territoires durables »  est surtout davantage dédié aux responsables des collectivités locales qu’aux chefs d’État, à la jeunesse qu’aux gérontocrates, à l’écologie qu’à l’exploitation non raisonnée des ressources locales et à la confiance dans les milliers de jeunes entrepreneurs, investisseurs dans des start-up plutôt qu’à des grands groupes industriels et à des conglomérats oligopolistiques, contrôlés par l’Etat.

Le terrorisme allié de Poutine

A Saint-Pétersbourg, au-delà des réflexions sur l’économie mondiale et des recherches d’entreprises, d’investisseurs étrangers pour le développement de toutes les régions de la Fédération de Russie, il sera probablement question, une nouvelle fois, du développement de l’Afrique et du « partenariat gagnant-gagnant » qu’entend accroître Vladimir Poutine.

La présence de chefs d’État et de gouvernement africains, de nombreux ministres attesteront de la vitalité de cette coopération en pleine expansion. Nul doute que l’Algérie, l’Angola, la Centrafrique, le Congo, l’Égypte, la Guinée, le Mali, le Mozambique et le Soudan, qui renouent avec un lointain passé, ne manqueront pas le rendez-vous de Saint-Pétersbourg. D’autant que les problèmes sécuritaires et la lutte contre le terrorisme leur sont actuellement bien davantage préoccupants que l’avenir de leurs villes, proposé pour la réunion de Bordeaux, et de leurs territoires.

La rupture avec la Françafrique

Comme à chaque Sommet Afrique-France, celui de Bordeaux fera probablement l’objet de critiques et certains y verront encore un relent de « Françafrique ». Les officines de propagande et de désinformation joueront, une nouvelle fois, leur rôle d’autant qu’elles sont désormais bien implantées dans de nombreux pays africains. L’organisation du Sommet par le cabinet Richard Attias & Associates,  spécialisé dans l’événementiel et les relations d’influence stratégique, ne manquera pas de soulever des réprobations chez certains leaders africains de l’opposition, ayant en mémoire de précédentes interventions de ce cabinet dans leur pays. Évidemment, s’il est encore en vigueur en juin 2020, le Franc CFA s’inviterait au Palais des Expositions du Lac de Bordeaux. Son abandon serait un des signes forts pour acter une rupture avec la Françafrique.

En invitant un millier de jeunes entrepreneurs, investisseurs et porteurs de projets africains et en organisant, avec Digital Africa,  un challenge pour ces porteurs de projets, la France d’Emmanuel Macron montre à l’évidence que sa préoccupation est davantage économique que politique. La société civile aura, pour la première fois, une bonne place dans ce Sommet. La création de « La cité des solutions » dans l’enceinte du Sommet constitue une nouveauté. Les mobilités, les services publics modernisés, l’habitat et nouvel urbanisme, les connexions et les technologies et l’écosystème urbain y prendront place avec le speed dating des entrepreneurs et investisseurs Français et Africains.

Le Sommet de Bordeaux entend répondre aux enjeux de la forte urbanisation attendue dans les prochaines décennies et de prendre en compte les questions environnementales et climatiques.

Est-ce bien le souci  de la plupart des dirigeants africains ? N’ont-Ils pas plutôt à l’esprit leur maintien au pouvoir avec le renforcement de leur protection et une gestion patrimoniale des ressources de leur pays ?  Le Forum de Saint-Pétersbourg  pourrait, dans ce cas, mieux répondre à leurs préoccupations.

 

Avec Mondafrique

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