J’ai voté pour le Président Alpha Condé en 2010 et en 2015, je n’en ai aucun regret car il a été le meilleur choix toutes les deux fois, selon mes critères. Je lui souhaite, du fond de mon cœur, bonne chance pour les deux dernières années de son dernier mandat. Le but de cette tribune est de m’exprimer publiquement sur une éventuelle tentative de troisième mandat. J’ai fini par me convaincre qu’il faut sortir du silence et exprimer ma position ouvertement. La rédaction et la publication de cet article me gênent énormément car le Président Alpha Condé n’a jamais dit qu’il briguera un troisième mandat, d’autant plus que les préjugés constituent un des fléaux que je déteste le plus.
Si le président de la république essaie de briguer un troisième mandat, j’adhérerai avec toutes mes énergies à tout combat loyal visant à empêcher la réussite d’un tel projet. Avec les moyens de l’Etat qu’il pourrait utiliser pour concrétiser un si risqué projet, je ne dirais pas que ce sera impossible, mais c’est très évident que ce sera très difficile car, à côté des militants actuels de l’opposition, plusieurs milliers de Guinéens neutres ou même de la mouvance présidentielle pourraient se joindre à la lutte. S’il réussit à s’imposer pour un autre mandat, le seul combat qui restera à faire sera de l’empêcher de gouverner. Pour ce combat aussi, j’utiliserai toutes mes forces et énergies pour l’empêcher de gouverner. Je pense déjà aux conséquences d’une telle lutte sur le progrès de notre pays, mais nous serons obligés de faire ce sacrifice en supportant les difficultés de court terme, en vue de réserver un long terme meilleur pour notre pays. La première et unique fois que j’aie participé à une manifestation en Guinée, c’était bien en septembre 2009 contre le capitaine Dadis. J’ai activement participé en tant que membre même du comité d’organisation en vue d’empêcher une confiscation éventuelle du pouvoir, et j’en suis sorti avec une entorse au pied qui me fait souvent mal encore. Mais je ne regrette rien, car cela a fini par ouvrir la porte de Sekhoutoureya au Président Alpha Condé.
La bataille contre un troisième mandat ne sera pas seulement contre le président Alpha Condé, mais c’est pour éviter la naissance d’un précédent sur lequel pourraient s’appuyer tous les futurs dirigeants de notre pays. Comme l’a dit Obama, il aurait pu changer la constitution pour se représenter. Mais s’il l’avait fait, Trump aussi l’aurait certainement voulu. Donc si Alpha Condé essaie de modifier la constitution et le réussit, chaque dirigeant qui viendra après lui va essayer la même chose car tous les dirigeants du monde pensent qu’ils sont bons. Idi Amin Dada, Mubutu, Jammeh, Mugabe et Compaoré pensaient tous qu’ils étaient très bons pour leurs pays, donc irremplaçables. Il existe encore beaucoup de mauvais dirigeants sur notre continent qui pensent qu’ils sont bons et indispensables. Les personnes aux alentours des chefs d’Etat, à tort ou à raison, leur font croire cette indispensabilité. Les chefs d’Etat et leurs entourages, à force de se mentir et de se convaincre qu’ils sont indispensables, finissent souvent par le croire, conformément à la technique du « mensonge réconforté » attribuée au ministre Nazi chargé de la propagande Joseph Goebbels : un mensonge répété mille fois se transforme en vérité.
Le général Sekouba Konate, malgré la gestion calamiteuse que sa présidence a pratiquée, jouit encore d’un minimum de respect de la part des communautés nationale et internationale. En matière de démocratie, Konaté est pour le moment la meilleure référence pour moi. Il pouvait s’accrocher au pouvoir, certainement au prix de vies humaines, mais il a préféré céder. Le Premier Ministre de Singapore qui a transformé son pays d’un des plus pauvres à l’un des plus riches du monde, écrit que les dirigeants ont le choix d’aider leurs populations et entrer avec prestige dans l’histoire, ou se cramponner au pouvoir pour s’enrichir. La richesse, il faut le savoir, n’apporte pas si grand-chose à notre vie au-delà d’un certain niveau. Quel que soit le niveau de richesse d’une personne, elle ne conduira pas deux voitures à la fois, ne dormira pas sur deux lits à la fois, ni ne mangera au-delà de ses besoins. Tout le reste est superflu.
Par ce message, j’invite aussi toutes personnes (en particulier les jeunes) qui gardent encore le silence, à s’exprimer, car dès que le président exprimera une volonté de briguer un troisième mandat, il se trouvera dans une position de NON-RETOUR. C’est donc mieux de l’exprimer, sans inutilement l’attaquer (à moins qu’on ne soit déjà bien versé dans l’opposition). Si les jeunes ont simplement peur d’exprimer leur opposition à un tel projet, soyons rassurés que nous ne pouvons pas mener un autre combat digne pour notre pays.
Ceux qui attaquent le président en le comparant aux sanguinaires dictateurs de l’histoire, je les invite à faire preuve de plus de retenue car en réalité, même si tout n’est pas blanc, tout n’est pas non plus noir. Même si les attentes n’ont pas été satisfaites (en tout cas à mon niveau), je crois qu’il a fait ce qu’il pouvait faire et mérite une vie normale de respect après ses deux mandats, avec l’immunité et les ressources nécessaires.
Je sais que la prise de position contre un troisième mandat ne sera pas facile pour ceux qui ont leur niveau de vie (ou de luxe) dépendant fortement du régime. À ces personnes, je conseille une bonne maîtrise de leurs standards de vie et un investissement plus fort dans les sources durables de revenu (notamment la formation et l’entrepreneuriat dans des secteurs indépendants de l’Etat). Aux personnes (surtout les jeunes) qui peuvent gagner leur vie sans l’Etat ou avec n’importe quel président, il est temps de vous exprimer si vous ne partagez pas l’idée d’un troisième mandat, avant qu’on ne se retrouve dans la position de non-retour. Aux jeunes au chômage (surtout certains « communicants » du RPG) qui pensent qu’un troisième mandat leur apportera ce qu’ils n’ont pas eu au cours des deux premiers mandats, détrompez-vous et gardez votre dignité avec la justice et la paix intérieures car, Allah aime les justes, et tôt ou tard, vient à leur secours.
Beaucoup de gens m’ont appelé “naïf” quand j’ai cru en des choses qu’ils croyaient impossibles, mais je les ai toutes réussies ou presque. Jusqu’à présent, j’ose encore croire au patriotisme du président de la république et surtout en sa capacité de voir au-delà des propos de ceux qui défendent des intérêts personnels autour de lui. Je ne crois pas que, pour entrer positivement dans l’histoire, le Président ait besoin de cinq autres années de tension, d’opposition entre fils de Guinée et de pertes en vies humaines. La Guinée a besoin d’orienter ses énergies et ses ressources vers le progrès commun, pas de les diviser et de les gaspiller. On dit souvent (à tort je crois) que Lansana Conté est le père de la démocratie guinéenne. Le président de la république a l’occasion de devenir le père de l’alternance démocratique, le premier qui le ferait dans l’histoire de notre pays. Il ne pourra pas faire mieux que cela pour nous. Ni Souapiti, ni des autoroutes ou chemin de fer entre Conakry et Siguiri ne valent mieux qu’une transition démocratique pour l’avenir de notre pays. Ce n’est pas en changeant la constitution au prix de vies humaines qu’on devient un Mandela, mais en cédant le pouvoir de manière démocratique, en donnant le bon exemple en tant que père de famille et père de la nation.
Si le président nous contraint à entrer dans cette bataille, ce sera bien sûr contre notre gré, mais nous la ferons avec toute la détermination pour notre survie, celle de nos progénitures et celle de notre démocratie.
Vive la Guinée, que Dieu facilite le reste du mandat du Président de la République en lui permettant de réaliser ses bonnes ambitions pour la Guinée !
Mamoudou Nagnalen Barry
Spécialiste du secteur financier à la
Banque mondiale (Washington)