L’aspect fondamental de la personnalité de certains acteurs politiques guinéens est l’ubiquité, qui leur permet de s’adapter à toutes les situations confectionnant l’image qu’ils souhaitent qu’on se fasse d’eux. Dans les années 90, c’est en réaction à cette situation, que la population guinéenne en a fait un sujet d’ironie collective, figure courante pour se défouler sur les mœurs politiques. C’est ainsi qu’on a attribué aux Guinéens exilés sous le régime de la chose populaire et révolutionnaire le surnom de « les diaspourris ». Mais aussi paradoxal que cela paraisse, la formation de ce mot composé d’un usage populaire à cette époque n’a rien de hasardeux, car il reprend de manière simplifiée l’adage selon lequel : « à beau mentir qui vient de loin !».
En effet, dès leur retour d’exil en 1984, plusieurs Guinéens ont mentionné dans leur CV des diplômes dont ils n’ont jamais été titulaires. Le mérite de cette imposture réside dans le fait que « ces vendeurs de chats sauvages » venus de loin, disposaient ainsi d’une arme leur permettant d’impressionner, voire de provoquer un complexe d’infériorité chez les « Guinéens de l’intérieur », qui ont passé des décennies à danser et à chanter à la gloire du grand guide de la Révolution ou du timonier : « Sékou nfa i dyo !». Pendant ce temps-là, les « diaspourris », eux vivaient dans les pays des Blancs. Or même dans une causerie banale, il suffisait d’une simple référence à ce lieu de la félicité, du savoir, et de la science, pour impressionner ceux qui ont vécu reclus sous les ordres de la Révolution, à répéter des slogans incantatoires. Ainsi, en s’attribuant à volonté des diplômes et des titres ne correspondant guère à leur statut réel, nos acteurs politiques se sont-ils assurés une certaine audience et parfois une situation professionnelle enviable auprès des autorités. C’est dans cette vague que s’inscrit l’image préfabriquée de notre président, qui, pour se faire valoir une Aura à la dimension de son ambition politique, a procédé à la distribution de son CV à grand renfort de publicité mensongère. On sait qu’en politique, pour réussir, il faut être connu et reconnu ; d’où la nécessité de s’y mettre parfois d’une manière insidieuse. Surfant sur la vague des CV inventés de toutes pièces, notre homme politique, comme monsieur-tous-les-diaspourris, pouvait donc s’attribuer le statut de Professeur.
Pendant les années 90, jeune et très curieux ; nous avons enregistré les discours des acteurs politiques Guinéens. En réécoutant des discours d’Alpha Condé, dont nous disposons encore les enregistrements sonores, plusieurs détails ont particulièrement retenu notre attention : le leader du RPG avait employé au cours d’un de ses discours une image métaphorique étonnante : « les éléphants noirs et les éléphants blancs » ; désignant ainsi les « Guinéens de l’intérieur » et les « Guinéens de l’extérieur ». Reprenant la même image dans un autre discours, notre professeur a remodelé la métaphore précédente en parlant cette fois de « moutons noirs et de moutons blancs ». A cette époque, l’expression nous a paru curieuse, très maladroite et incongrue. En politique on appelle cela une bourde. Ce détail énonciatif atteste que le président n’a aucun égard pour les Guinéens à tel point qu’il les considère comme des moutons de panurge.
Comme bon nombre de Guinéens d’ailleurs, nous avons cherché les références d’Alpha Condé pour nous assurer de son statut imaginaire ou réel de Professeur à la Sorbonne. Par bonheur un tout autre document nous a fourni une explication crédible. En effet, lisant l’ouvrage d’Ibrahima Baba Kaké intitulé : « Sékou Touré. Le Héros et le Tyran (1987) », nous avons découvert à la page 152 : « Alpha Condé, assistant à la faculté de droit de Paris 1 ». Dans le but de fournir quelques explications sur certaines procédures du monde universitaire, un assistant de cours n’est guère titulaire d’un poste d’enseignement à l’Université. Il est un contractuel recruté en vue d’assurer des travaux dirigés (TD) ou plus exactement de superviser des activités. Faut-il le rappeler ici, entre le statut d’assistant de cours et celui de Professeur des Universités, l’écart est suffisamment important pour mesurer l’énormité de l’imposture.
En effet, pour accéder au statut de Professeur des Universités, il ne suffit pas d’être titulaire d’une thèse de Doctorat, car plusieurs étapes à franchir constituent des passages obligés. Après des années d’enseignement et de recherche, tout Maître de Conférences peut présenter un dossier devant le conseil scientifique de l’Université pour demander l’autorisation de faire son Habilitation à Diriger les Recherches (HDR), à condition d’avoir des publications importantes et de qualité. Cette HDR, qui doit être soutenue devant un jury de cinq ou six Professeurs, s’appelait auparavant : Doctorat d’Etat. Après la soutenance, le candidat reprend la même procédure de qualification au CNU (Conseil National des Universités) que celle qui nécessite d’avoir le statut de Maître de Conférences. Après l’élection à un poste de Professeur des Universités par un comité de sélection composé d’au moins dix professeurs, l’acte de nomination fait toujours l’objet d’un décret du Président de la République consécutif à celui du Ministre de l’enseignement supérieur, dont les références sont faciles à retrouver en France.
Fermons ici cette parenthèse et reprenons maintenant le cours de notre réflexion. L’obtention d’un contrat d’assistant de cours ou de Maître assistant, qu’on appelle de nos jours Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER) est parfois symbolique ou d’ordre humanitaire. En effet, ces postes sont attribués à des post-doctorants sans emploi, à des handicapés ou parfois à des « gueulards » qui se sont fait remarquer. Nous entendons par là des étudiants syndicalistes. Or notre cher président était Secrétaire Général du Syndicat des étudiants africains en France. Au cours des élections syndicales il s’était disputé le poste avec Laurent Gbagbo. Vous voyez bien la ressemblance à établir entre le « Boulanger d’Abidjan » et le « Pâtissier de Conakry » qui sont tous deux « des rouges ».
Nous allons maintenant nous livrer à un autre petit exercice d’explication, car la construction de l’image de soi n’est pas propre aux Guinéens, loin s’en faut d’ailleurs. En effet, depuis l’Antiquité, les Grecs se demandaient si l’image de soi ou « Ethos » correspondait à celle qui circule dans la communauté ou plutôt celle construite dans et par le discours. Ce débat autour de la valeur sociale attachée à la personne a traversé tous les âges depuis la Rhétorique d’Aristote pour être revisitée et remise au goût du jour par les théoriciens de l’Analyse du discours. Peu importe ici la différence entre Ethos discursif et Ethos prédiscursif, mais ce qui retient notre attention en revanche est la non-coïncidence entre l’Ethos (montré et/ou dit) et l’Ethos réel. La zone qui se déploie entre ces deux assomptions correspond à celle que couvre le mensonge. En d’autres termes, la non-transparence au monde réel de la parole politique, atteste que l’Être dans le discours avec la variété des images fantomatiques qui s’y attachent, ne correspond guère à l’Être en chair et en os dans le monde. Dans ce cas, l’homme politique est comparable à un acteur de théâtre qui, à chaque sortie des coulisses, revêt un autre visage. La coexistence de ces deux figures (sujet modal et sujet parlant ou plutôt l’être et le paraître) chez l’homme politique, atteste la manière dont Alpha Condé a caché aux Guinéens le vrai fondement de sa personne.
La première face proclamée dans le discours des partisans du président, reprenant le contenu de son CV, c’est-à-dire celle de Professeur d’Université, est un cadre vide, « un bidon mensonger ». En rhétorique cela se nomme par l’expression « un mensonge malin » dont le contraire est ce que Quintilien (Liv. VIII, 6, 74) appelle « un mensonge qui ne veut pas tromper ». La discordance entre les valeurs sociales positives que Alpha Condé revendique et celles qu’il incarne réellement, correspond sans doute à ce que Roland Barthes nomme Mythologie. A propos de la mythomanie des hommes politiques, l’auteur soutient que « le discours idéologique comprend à la fois, une précieuse ambiguïté, l’être et le paraître du pouvoir, ce qu’il est et ce qu’il voudrait qu’on le croit. »
La deuxième figure ou Ethos-dit, celle de « l’opposant historique » est aussi une gageure dont nous allons en parler succinctement ici. En réalité, Alpha Condé, comme bon nombre d’hommes politiques, est un manipulateur qui a su profiter d’une situation pour se construire une Aura en vue d’arriver à sa fin : remplir une case vide au bon moment. On appelle cela opportunisme, qui est certes un gage d’ascension sociale, mais ce comportement se range dans le cadre de la déviance morale. En violant la conscience des Guinéens par des images valorisantes mensongères, le président les a appâtés dans la foulée à l’aide de promesses pompeuses. Mais peut-on être autre chose que ce que l’on est réellement ? Sûrement pas ! Or le président n’est rien d’autre qu’un « rouge » et il ne pouvait guère gouverner qu’en fonction de cette orientation idéologique. D’où la violence qui a accompagné toutes les manifestations contre son gouvernement depuis son accession au pouvoir en 2010 jusqu’à présent.
Cette question nous permet d’ouvrir une parenthèse sur l’image pompeuse de « l’opposant historique » qui n’en est pas un. En effet, s’ouvre ici encore un autre chapitre de l’être et du paraître ; car il n’est un secret pour personne que Alpha Condé était « collabo », nous entendons par là un agent de renseignement au service de Sékou Touré. Même si deux petits détails constituent une couverture pour le président guinéen : sa condamnation par contumace et son ouvrage « La Guinée ou l’Albanie de l’Afrique », il ne s’agit qu’une apparence qui masque la réalité. Depuis Machiavel on sait qu’en politique, le plus important est de montrer aux hommes un aspect des choses, car pour lui « le peuple se prend toujours aux apparences et ne juge que par l’événement ». D’où l’idée géniale « Gouverner c’est paraître et qui veut la fin veut les moyens ».
Dans le même ordre d’idées, en lisant l’un des derniers textes publiés par le Professeur Ansoumane Doré (Paix à son âme !) à propos de Jean-Marie Doré et de ses tribulations politiques, un détail important a aussi retenu notre attention. En effet, Le Professeur Doré à propos d’Alpha Condé indique : « qui a réussi à se faire passer pour un opposant historique ». Dommage que le Doyen soit parti hâtivement car bien de secrets méritaient d’être dévoilés sur la scène publique guinéenne. Par ailleurs la connivence entre Jean-Marie Doré et Alpha Condé atteste que « qui se ressemble s’assemble ». Ils sont tous des troublions de la politique en Guinée : d’anciens collaborateurs du régime de la chose populaire et révolutionnaire et acteurs occupant le premier plan de la situation nouvelle. Qu’on les appelle renards ou caméléons, peu importe ! Le plus important est qu’on comprenne qui, ils sont véritablement.
Nous avions promis de remettre au goût du jour une autre bourde de notre cher Président qui établit le lien affectif qu’il entretient avec « la chose populaire et révolutionnaire ». Nostalgique peut-être, Alpha Condé, nouvellement élu, affirme « je vais reprendre la Guinée là où Sékou Touré l’a laissée ». Cette bourde est la preuve d’un élan de sincérité de la part du président guinéen. Cette fois son discours, on ne peut plus transparent au monde réel, est l’expression profonde de sa pensée. Mais le président guinéen en affirmant cela a oublié au moins un détail important. Depuis la chute du mur de Berlin et le développement des médias de masse, bien de choses ont changé, entre temps, et qu’il s’avère impossible quasiment de revenir en arrière. Toutefois, tout se passe comme si le temps s’était arrêté dans sa pensée. Or il n’est un secret pour personne que si on réanimait Sékou Touré aujourd’hui, il est certain qu’au regard des immeubles, des villas et des supermarchés qui ont poussé à Conakry ; bien au-delà d’une crise de nerfs il aurait certainement succombé à une grave crise cardiaque.
Dans le sillage de notre réflexion précédente, alors qu’il était Secrétaire Général du Syndicat des étudiants africains en France et même bien après, Alpha Condé s’est fait inviter à tous les Congrès du PS au Sénégal alors que dans le même temps, il collaborait étroitement avec le régime de la Révolution en Guinée. Toutes ces réalités permettent d’appréhender deux aspects : le soutien d’Abdoul Diouf à lui apporté aux présidentielles de 2010 et le processus de construction de la figure fantomatique de « l’opposant historique ». Si tout cela est une chose, le fait de promettre aux Guinéens la démocratie et le bien-être et de confisquer leur liberté en réprimant toutes les manifestations constitue une autre chose. La distorsion entre les deux réalités relève tout simplement du faire-croire que Boudon (1990) appelle « l’art de persuader des idées douteuses, fragiles et fausses ». En d’autres termes, manipulations et torsions de tous ordres participent à la construction de croyances. Qu’on parle dans ce cas d’identité manipulée ou d’identité de façade peu importe finalement. Mais le plus important en revanche est de comprendre qu’en politique la construction des croyances ne reflètent en rien le réel ; elles répondent tout simplement à un enjeu de conquête et d’exercice du pouvoir.
Pr. Alpha Ousmane Barry
Coordinateur Général de GDA (Guinée Désir d’Avenir)