Quel bilan politique pour Moustapha Naité ? Depuis quelques semaines, le ministre des Travaux publics fait l’objet d’une attention médiatique particulière : longue entrevue accordée à Guinéenews, publication d’une tribune de la part de sa cellule de communication, et enfin une tentative de le discréditer par la publication des photos d’une maison luxueuse à Lambanyi.
Au-delà des prises de positions que cristallise la personne du ministre dans un contexte de remaniement ministériel qui n’échappe à personne, il importe de questionner son bilan comme ministre de 2014 à 2020. Se livrer à une telle interrogation ne consiste pas seulement à se fier aux documents dits officiels. Car, l’environnement politique est caractérisé par le mensonge et le travestissement du réel. De même, l’inefficacité des mécanismes d’imputabilité, de contrôle et de surveillance des politiques publiques ont généralisé auprès des populations la méfiance à l’égard de la parole officielle.
Pour Naité et sa cellule de communication, son bilan serait positif. D’ailleurs ce serait le cas pour tous les ministres d’Alpha Condé, qui se sont dévoués à la cause dite républicaine. Faute de mieux. Mais qu’en est-il du réel, de ce que donne à voir l’état de la jeunesse guinéenne et l’état de nos routes au niveau national ? Qu’en est-il de cette idée du « service public » dont Naité se dit fier d’avoir servi ? Des turpides objectivement documentées du régime d’Alpha Condé, quelle parole juste et crédible pourrait tenir le ministre des Travaux publics ?
De 2014 à 2018, au Ministère de la Jeunesse, il y a eu beaucoup d’initiatives, dont la plus remarquable est la construction des « Blue Zone ». Mais ces espaces de détente pour les jeunes n’ont pas réellement amélioré la condition de la jeunesse guinéenne : chômage, misère, désire de rejoindre l’Occident continuent de ravager une jeunesse qui, pour trouver un sens à la vie, se réfugie dans le banditisme et autres formes de violence. Plus importants, les « Blue Zone » sont des dons de Bolloré, pour mieux asseoir définitivement son autorité sur le gouvernement guinéen. Ce qui montre le désir d’asservissement des responsables politiques guinéens à l’égard de l’environnement international. Ainsi, de son passage au ministère de la jeunesse et de l’emploi, et à la lumière des rapports successifs du PNUD sur l’indice du développement humain, on ne peut s’empêcher de dire que l’entrée en politique de Naité fut un échec. Du moins pour le public qu’il entendait servir.
De 2018 à 2020 : Quel Bilan au Ministère des Travaux publics ? il faudra ici donner la parole aux usagers de la route, aux populations qui subissent le calvaire d’une infernale congestion routière et qui quotidiennement payent de leurs vies l’impraticabilité et l’état désuet des routes. On pourra aussi mesurer l’état des travaux dits publics à l’examen du nombre d’accidents et de l’organisation de la circulation routière. Mais pour des ministres qui ont un droit de passage inconditionnel, quel que soit l’état de la congestion, ils peuvent se satisfaire d’un constat général que tout va bien. Pour le Guinéen loin des réseaux du pouvoir, la question se pose de savoir comment les fonds alloués aux travaux publics, depuis Bah Ousmane, n’ont pas permis d’avoir des routes à la hauteur de la dignité humaine. Comment en est-on encore à parler de « problèmes techniques », « d’étude de faisabilité » de « mauvaise condition pluviométrique », de « démarrage des travaux », justifier l’inaction en prétextant le « retard dans l’exécution des travaux » .
Pire, comment prétexter l’indiscipline des Guinéens ou leur supposé « malhonnêteté » pour justifier l’étant honteux de nous routes. Cette essentialisation négative du Guinéen cache en réalité une démission et une incompétence devenues chroniques. Une discussion amicale à la gare voiture de Madina et de Bambéto, l’été 2013 et 2019, a permis de confirmer le sentiment de trahison et d’abandon que les usagers de la route ressentent à l’égard du gouvernement guinéen. Et le passage de Naité aux travaux publics n’a pas atténué d’un iota cette triste et accablante réalité : pour les guinéens, les routes sont un mouroir, et ce, depuis très longtemps. Peut-être que l’on pourrait commander une étude indépendance sur l’état des travaux publics en Guinée, pour mieux juger du bilan de Naité ?
Quant à l’engagement politique de Naité lui-même, il demeure pour plusieurs raisons critiquable et même condamnable. Moralement, on ne peut comprendre son silence sur les tueries perpétrées sous le gouvernement qu’il sert ; son silence sur la militarisation du pouvoir guinéen et enfin sur les pratiques de confiscation du pouvoir qui ont culminé dans l’adoption de la nouvelle constitution. Peut-il nous dire honnêtement et en toute conscience que la Guinée de Alpha Condé se porte bien ? Où est la République ? Où est l’idée du PUBLIC qu’il entend servir ? Il reste clair qu’aux yeux de la majorité des jeunes guinéens, Naité, par sa complicité et son indifférence à la justice sociale, aura écrit son chapitre dans le livre sombre de la tragédie guinéenne, que continue de jouer le régime d’Alpha Condé. Peut-être qu’il est encore temps pour lui d’être mordu par la conscience et de décider de partir de cet environnement dévalorisant et déshumanisant. Comme tant d’autres jeunes de la présidence Alpha Condé, il aura été un espoir déçu. Un carburant de la machine néo patrimoniale.
Par Amadou Sadjo Barry, Professeur de philosophie, Cégep de Saint-Hyacinthe, P.h.D philosophie politique, Québec, Canada