Chronique. Pour ne pas rater le rendez-vous du grand projet minier de Simandou, la Guinée doit se doter d’un tissu de PME efficient, d’un cadre financier solide et d’une gouvernance orientée vers la préservation de l’environnement et les populations.
Senguélen en Guinée, a été le théâtre de scènes de pillages d’installations d’un projet minier. En cause le décès tragique d’un jeune attribué à un homme en uniforme, le 6 mai. Selon certains observateurs, ces incidents seraient révélateurs d’« une bombe à retardement » pour des citoyens qui peinent à sentir dans leur quotidien l’impact d’activités minières croissantes. Du déjà-vu, du déjà dit, mais toujours d’actualité.
L’industrie extractive est le socle de notre économie. Depuis 2015, un boom d’investissements soutenu par des réformes structurelles permet d’intensifier l’exportation de nos minerais. Ainsi, entre 2015 et 2023, la production et l’exportation de bauxite ont plus que quintuplé, atteignant respectivement 123 millions et 127 millions de tonnes.
Sur la période de 2024 à 2030, l’État attend près de 2 milliards $ de recettes publiques additionnelles, ainsi qu’un doublement du PIB dès la première année d’exploitation de la mine.
Pourtant, nos mines peinent à être un levier de transformation structurelle de notre économie et à améliorer le cadre de vie de millions de nos concitoyens. Ce constat tranche avec la fébrilité actuelle autour du projet Simandou, qui ouvre la voie à l’exploitation du plus grand gisement de fer inexploité au monde.
D’une qualité exceptionnelle, ce gisement viendrait bousculer les acteurs mondiaux actuels et placer la Guinée dans une position stratégique. Simandou, ce sont aussi des chiffres enivrants. Les investissements en infrastructures se chiffrent à près de 20 milliards de dollars avec des milliers d’emplois sur la chaine de valeur, la facilitation du transport et les activités connexes le long du corridor. Toutefois, faire état de ces chiffres est une chose, construire une réalité tangible pour nos populations en est une autre. C’est tout l’enjeu d’un projet entamé qui doit s’appuyer sur les éléments suivants.
L’adoption de la loi sur le contenu local par le Conseil national de Transition est une avancée pour encadrer la participation des PME nationales. Cette législation impose de privilégier entre autres le recrutement et la formation de main-d’œuvre guinéenne, l’approvisionnement en biens et services auprès de fournisseurs locaux et le transfert de technologie. Or, dans le cadre de Simandou, disposons-nous, en Guinée, de PME dont la capacité financière et technique répondra aux besoins qui seront exprimés ? Le tissu de PME permet-il de répondre rapidement aux sollicitations qui sont déjà adressées au marché, avec les standards de qualité requis ? Nous sommes en retard mais il est encore possible de remédier à la situation.
Un savant équilibre
D’abord, le diable sera dans le détail des textes d’applications qui devront inclure un système de suivi-évaluation robuste. On ne part pas de zéro. L’expérience du Fonds de développement économique et local (FODEL) lancé en 2020 pourrait aider. Sa première année de mise en œuvre, que nous avons évaluée en 2021, a révélé des constats intéressants qui peuvent inspirer.
Ensuite, concernant les entreprises locales et la chaîne de valeur, le Bureau de sous-traitance et de Partenariats (BSTP), dont les méthodes sont éprouvées, jouera un rôle clé. Pour accélérer les retombées pour les PME, une approche stratégique est nécessaire, ce qui implique des choix basés sur une analyse critique de celles présentes, en fonction des secteurs, de leur capacité de production et de leur assise financière. Le transfert de technologie doit aussi jouer à plein. Il faudra être agile et opportuniste en ayant la capacité d’opérer sur plusieurs fronts à la fois.
L’accès au financement pour ces PME est un autre goulot d’étranglement. Nous voyons, comme au Nigeria sous l’ère du président Obasanjo, un rôle crucial pour la Banque centrale dans la promotion de champions nationaux et la création d’emplois. Il faudra, là aussi, tester et faire preuve d’audace. À cet égard, Simandou pourrait être l’accélérateur de la mise en place d’un cadre institutionnel propice au développement des fonds d’investissement (capital-risque et investissement) dans notre pays. Cela permettrait de diversifier les sources de financements pour permettre aux PME locales de participer pleinement à ce projet.
L’autre volet important est celui des actions communautaires ciblant les populations locales. Ces actions comprennent les infrastructures socio-économiques et les activités génératrices de revenus portés par les groupements d’entrepreneurs. Là encore, l’expérience du FODEL nous apprend que l’accès aux marchés publics locaux et la réalisation d’infrastructures socio-économiques doivent prendre en compte les besoins des femmes et des jeunes.
La protection de l’environnement
De même, sans lever les contraintes générales qui persistent au niveau local (électricité, routes, eau, climat des affaires, etc.), la croissance d’activités génératrices de revenu restera fortement limitée. À cet égard, les revenus de Simandou pourraient aider à structurer des financements innovants pour ces infrastructures, en privilégiant l’intercommunalité. Cela favoriserait l’intégration entre différentes communes tout en densifiant le maillage économique local.
Enfin, le choix des projets communautaires portés par les groupements doit allier le contenu local et les plans de développement locaux (PDL) des localités concernées. Dans ce contexte, les projets agricoles, employant déjà une grande partie de nos populations, devraient être privilégiés, en étant axé sur la protection de notre environnement.
À l’heure où la décarbonation de l’acier pousse ses fabricants à se tourner vers des technologies qui requièrent un minerai exceptionnel, Simandou apparaît comme un élément stratégique de poids. Il pourrait donc être critique dans le contexte plus global du changement climatique. Pour autant, il doit répondre aux inquiétudes sur le plan national. L’industrie extractive est polluante.
Simandou sera un test décisif pour l’environnement, la gestion responsable des ressources naturelles, l’eau, la conservation de la biodiversité et la réhabilitation progressive des terres. Le site peut aussi être une opportunité d’emplois en tant que filière innovante pour notre pays. Imposer des normes, veiller à leur respect par tous les contractants et sous-traitants et anticiper, sera essentiel. Dans d’autres zones minières, la dégradation de l’environnement présage de problèmes de santé publique aggravés par ceux de nutrition due aux conséquences néfastes sur l’agriculture. L’action des pouvoirs publics, à travers le budget, doit aider à gérer ces externalités négatives.
Gestion des revenus et transparence
Sur la période de 2024 à 2030, l’État attend près de 2 milliards $ de recettes publiques additionnelles, ainsi qu’un doublement du PIB dès la première année d’exploitation de la mine. Toutefois, l’enjeu véritable reste celui de la transformation de nos matières premières. En l’absence de clarté sur le contenu de la convention, difficile de s’assurer d’un début de transformation du minerai extrait au moins à moyen terme, surtout dans un contexte énergétique dégradé et incertain.
Évolution du PIB, des recettes avec Simandou et sans Simandou
Ces revenus budgétaires estimés à l’issue du projet devront renforcer les finances publiques et permettre des investissements dans des secteurs tels que la santé, l’éducation et les infrastructures. Il serait également judicieux de suivre une gestion économique contra-cyclique, de constituer des réserves et constituer un fonds souverain.
Dans ce domaine comme dans celui de la mise en œuvre de Simandou, la transparence, le partage d’informations avec toutes les parties prenantes et la communication constante avec les citoyens sont importants pour l’adhésion et la co-création. À cet égard, selon l’enquête sur les budgets ouverts établi par International Budget Partnership, qui classe 123 pays quant à l’accès aux données budgétaires, la Guinée a d’énormes progrès à faire et le rôle des médias est crucial. Simandou pourrait là encore être une opportunité.
Pour finir, si l’objectif d’exportation de fer dès 2025 est compréhensible, il ne saurait constituer l’unique aune de succès de Simandou. Ce serait trompeur et réducteur. La transformation de notre économie, la création de champions nationaux, et la gestion de notre environnement, seront le signe que la montagne n’aura pas accouché d’une souris !
Source: magazinedelafrique.com
Malado Kaba
Malado Kaba, économiste et conférencière africaine, dirige Falémé Conseil. Elle est l’ancienne ministre de l’Économie et des finances de Guinée. Elle siège au conseil d’administration d’International Budget Partnership et d’organisations du secteur de la finance et de l’énergie.
Gaston Béavogui, économiste-statisticien, diplômé de l’ENSEAD d’Abidjan, est chercheur à Falémé Conseil.