La précarité de la condition humaine en Guinée n’est plus à démontrer. Elle s’observe à tous les niveaux de la société : dans les familles, les écoles, au travail, dans les relations personnelles, les rapports entre pouvoir et populations.
Partout, l’arbitraire des volontés individuelles a généré des manières d’être et de vivre qui ont substitué au respect de la dignité humaine le désir insatiable de domination de l’autre. De sorte que le pays s’est transformé en un lieu où les exigences d’humanité ne résonnent plus.
Et depuis l’indépendance du pays en 1958, le Guinéen est politiquement, socialement, considéré comme un homme sans humanité, un homme dont la vie n’exige pas reconnaissance et respect, un homme, comme écrivait A. Césaire dans Cahier d’un retour au pays natal, que l’on peut « à n’importe quel moment le saisir, le rouer de coup, le tuer- parfaitement le tuer- sans avoir de compte à rendre à personne, sans avoir d’excuses à présenter à personne. »
Nous devons surtout au pouvoir politique d’avoir élevé au rang de principe de gouvernance cette dramatique indifférence à la dignité humaine, que l’on peut constater à travers les pratiques contemporaines du pouvoir : renforcement de l’autoritarisme, néo patrimonialisme, privation des libertés individuelles, absence d’éthique, de filet de sécurité sociale et économique, confiscation et privation des revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles, ethnicisation de la vie publique et prévarication, salaires indécents, pauvreté extrême, obsolescence des systèmes de santé et d’éducation, violence électorale, non-respect de la constitution, détournement des principes de l’État de droit, détention arbitraire, absence d’imputabilité politique, dévoiement de la justice, pratiques anarchiques et violentes de déguerpissement.
Cette situation détestable, loin d’être une malédiction, est la conséquence de modes de gouvernance successifs qui ont fondé l’exercice du pouvoir sur la négation de l’autre comme un sujet de droit. Ce qui explique dès lors le caractère exclusivement formel des droits politiques, économiques et sociaux en Guinée. Malgré l’espoir qu’avait suscité la transition démocratique de 2010, le Guinéen continue d’être représenté politiquement comme un sujet sans droit, car ses besoins élémentaires et la vulnérabilité de son existence n’ont pas encore fait l’objet de contraintes opposables au pouvoir des gouvernants : il n’existe aucun contrat moral entre les décideurs politiques et les gouvernés.
Comment dire le contraire quand le président de la République, lui-même, réduit le Guinéen à une tortue ? Et que les Forces de Défense et de Sécurité (FDS) sont primées lorsqu’elles répandent la terreur au sein d’une population déjà meurtrie par des années d’autoritarisme ? Que des jeunes cherchent ailleurs, dans la sous-région et en Occident, les conditions d’une humanité possible ? Le constat s’impose de lui-même : la politique et la violence qu’elle entretient sur les corps et les esprits ont accéléré la déshumanisation de la société guinéenne. La situation de notre pays est moralement inacceptable et politiquement injustifiable.
Il nous revient à nous autres, intellectuels, journalistes et universitaires, de ne pas être indifférents à la normalisation de l’anormal, comme s’il s’agissait d’une fatalité, et de dénoncer l’injustifiable en opposant à la sourde folie du pouvoir les limites raisonnables qu’exigent la reconnaissance et le respect de la dignité de nos populations. Car, nous ne sommes pas des chiffons, que nos responsables, dont la mission est de représenter nos intérêts, peuvent essorer à volonté, et ce, en complicité avec l’armée dont le rôle est pourtant de nous défendre.
Nous sommes des êtres de dignité. Élevons celle-ci au rang de limites contraignantes sur le pouvoir politique. Mobilisons les ressources intellectuelles et citoyennes pour rompre avec plus de soixante ans d’oppression et d’humiliation. Nous devons cesser d’être des spectateurs passifs d’une situation de violence et d’avilissement dont notre pays et nos compatriotes ont toujours été objets de la part de nos dirigeants.
Nous sommes déjà dans l’abîme, et le temps n’est plus au tâtonnement devant ce désastre politique qui ne conforte que ses auteurs. Loin des considérations ethniques, l’enjeu désormais doit être de savoir comment satisfaire nos besoins légitimes : manger, dormir, travailler, s’éduquer, se soigner, au même titre que certains décideurs politiques qui, malheureusement, ne mobilisent les ressources publiques que pour eux-mêmes. Donc, Il s’agit avant tout d’un engagement moral, au service duquel nous, intellectuels, journalistes et universitaires, devons exploiter nos savoirs et notre compréhension de l’histoire humaine.
Notre silence sera une forme de culpabilité morale. Nous ne devons plus nous contenter de ventiler entre les murs, mais, collectivement, travaillons à nous réapproprier notre capacité collective à participer à la gestion de notre vie commune. Seuls, nous ne pouvons rien faire. Une coordination de nos intelligences est plus que nécessaire pour contrer l’institutionnalisation de l’arbitraire. Il ne s’agira ni de jeter des pierres, ni de brûler des pneus, ni d’insulter un responsable politique. Il s’agira d’exploiter toutes les ressources de la non-violence pour exiger le retour au raisonnable, c’est-à-dire à une société régie par une moralité minimale contraignante pour tous, à un contrat moral entre gouvernants et gouvernés, où les Guinéens et les Guinéennes et toutes les communautés ethniques trouveront leurs comptes.
Dénonçons l’injustice en tout lieu et sous toutes ses formes, et rappelons aux acteurs et décideurs politiques ainsi qu’à nos Forces de Défense et de Sécurité, l’exigence et la nécessité de créer les conditions éthiques, politiques et institutionnelles d’une autre gouvernance, celle de la dignité et de la prospérité partagée pour tous. Ce qui devrait commencer par reposer la question de l’alternance au/du pouvoir. Il est déplorable, après un troisième mandat arraché par la violence, de reconduire une équipe au bilan négatif et dont certains membres sont soupçonnés de corruption.
Gouverner autrement exige une autre conception du politique, celle qui associe pouvoir et responsabilité tout en créant un cadre nécessaire au vivre ensemble dans la paix et la cohésion ; un nouveau regard sur l’homme, celui qui le fait advenir sous la figure du citoyen. Mais il dépendra de notre mobilisation collective, nous autres, intellectuels, journalistes et universitaires, pour que les acteurs et décideurs politiques ne contraignent pas notre peuple à demeurer définitivement au fond de l’abîme. Sortons donc de notre silence.
Signataires
Amadou Sadjo Barry, professeur de philosophie, Canada
Halimatou Camara, avocate, Guinée
Thierno Monénembo, écrivain, Guinée
Dominique Bangoura, Docteur d’État en Science politique, et Habilitée à diriger les recherches (HDR), Professeur, Université de Strasbourg, France.
Mohamed Télémadi Bangoura, ancien Observateur des Nations Unies, professeur à la retraite, France
Pr. Alpha Ousmane Barry, Professeur science du langage, Bordeau-Montaigne, France
Aliou Barry, spécialiste des questions de défense et de sécurité, Guinée-France.
Souleymane Toubou Bah, Physicien, Centre d’optique photonique et lasers, Canada
Mamadou Lamine Bah, journaliste membre fondateur du Lynx, Guinée
Alpha Oumar Diallo, journaliste administrateur, vérite224. Com
Mamadou Baba Thiam, économiste, France
Ciré Baldé, directeur de VisionGuinee, Guinée
Babanou Camara, journaliste, Guinée
Dr. Labico Diallo, Épidémiologiste, directeur d’agence Personnel Assistance Québec, Canada
Boubacar Sanso Barry, administrateur général, LeDjely, Guinée
Sila Béavogui, jounaliste, Guinée
Diawo Labboyah, journaliste Lynx, Guinée
Sonny Camara, Sociologue, France
Mady Camara, Responsable qualité, Douvaine, Genève
Sidi Yansané, journaliste indépendant, Côte-d’Ivoire
Ibrahima Diallo, sociologue, Guinée
Thierno Brel Barry, Coordinateur-institution d’action sociale, Élu PS, Genève
Alpha kake Kourouma Henryfonda, Jeunesse Debout de Kaloum, Sandervalia, Guinée.
Dr. Thierno Ismaël Doukouré, pharmacien, Guinée
Dr Clotaire Gnan Maomy, directeur école doctorale, Université la Source.
Mamadi Kaba, président de la Ligue pour les Droits et la Démocratie en Afrique LIDDA, Guinée
Mamadou Tariq Diallo, Enseignant Vacataire-Droit, Université de Lille, France
Ibrahim Sidibé, Juriste-Notaire, Paris
Oumarou Sylla, Enseignant vacataire-Droit, Université de Lille
Faliou Diallo, sociologue, Guinée
Thierno Nouhou Barry, Doyen faculté sciences économiques et gestion, Université la Source.
Mamadou Bhoye Bah, chargé de cours à l’université du Québec à Chicoutimi, Canada.
Yic Camara, Directeur régional de programme, Alberta, Canada
Alain Moriba Koné, avocat, Canada
Alimou Bah, gestionnaire Desjardins, Canada
Mouctar Baldé, économiste et journaliste, Canada
Thierno Hamidou Bah, consultant international en éducation, Canada-Mali
Abdoulaye Baniré Diallo, professeur permanent Université du Québec à Montréal, Canada
Mamadou Dian Bah, analyste d’affaires, Canada
Aguibou Baldé, doctorant en droit privé, France
Abdoulaye Bah, doctorant, France
Mamadou Oury Diallo, conseiller en risque d’investissement, Canada
Abdoulaye Oumou Sow, journaliste blogueur, Guinée
Thierno Nouhou Sow, professeur comptabilité et gestion, Université la Source.
Dr. Aboubacar Sidi Sow, professeur de mathématique, USA
Mr. Sake Barry, Doyen des Guinéens au Canada, Canada