Se présentera, se présentera pas ? A quelques mois de la fin de son second et dernier mandat constitutionnel, le président guinéen, Alpha Condé, continue de garder ce qui, pour lui, est encore un mystère sur le projet de 3ème mandat dont l’opposition lui prête l’intention et qui pollue l’atmosphère sociopolitique dans son pays.
Interrogé sur la question, au détour du 33ème sommet de l’Union africaine (UA) qui a refermé ses portes le 10 février dernier à Addis-Abeba, le Professeur a non seulement botté en touche en disant qu’il revient au peuple d’en décider, mais, il s’est aussi montré plutôt agacé par la position de ceux qui s’insurgent contre les mandats multiples.
Toutes choses qui ne laissent plus de doute quant à sa volonté de briguer un mandat supplémentaire, malgré la clameur de son peuple qui est vent debout, depuis plusieurs mois, contre l’adoption d’une nouvelle Constitution dont il a récemment couplé le référendum aux législatives reportées au 1er mars prochain. Mais, de cette sortie du chef de l’Etat guinéen, il faut plus en pleurer qu’en rire.
C’est à croire que le président guinéen a perdu le Nord
Et pour causes. Les vives tensions occasionnées par ce projet, ont déjà laissé plusieurs morts sur le carreau, lors des manifestations de rue. Et la série noire risque de se poursuivre si le président doit aller jusqu’au bout de sa logique, face à une opposition plus que jamais déterminée et qui a déjà fait la preuve de sa capacité de très forte mobilisation dans la rue.
Aussi est-on porté à croire que cette obstination du président guinéen ne peut répondre qu’à deux choses : soit il n’a pas encore pris toute la mesure du péril que représente un éventuel tripatouillage constitutionnel pour s’ouvrir la voie à un troisième mandat, soit il en est conscient et est prêt à dresser le bûcher pour son peuple, pour assouvir ses ambitions « pouvoiristes ». Dût-il, pour cela, user, comme c’était le cas lors de cette interview, d’arguments qui volent franchement au ras des pâquerettes.
En tout cas, c’est ce que l’on est porté à croire quand il dit, par exemple, ne pas comprendre pourquoi certains de ses homologues présidents peuvent allègrement aligner les mandats à souhait sans que cela n’émeuve outre mesure alors que dans son cas, on veut lui faire la morale. Mais qu’un octogénaire de son âge manque autant de sagesse pour comprendre qu’il n’est pas obligé de suivre les mauvais exemples des moutons noirs de la démocratie, cela a de quoi laisser songeur. D’autant qu’il ne semble pas n’ont plus tirer leçon des exemples humiliants de certains de ses pairs qui ont fait plus que se brûler les doigts en s’essayant avant lui au jeu du tripatouillage constitutionnel pour se maintenir au pouvoir. C’est à croire que le président guinéen a perdu le Nord, toute chose qui risque de le conduire droit dans le mur ou lui valoir de sortir de l’histoire par une porte dérobée. A moins que tout cela ne procède finalement d’une irrésistible volonté mortifère de pouvoir à vie, pour avoir droit à des funérailles nationales. En tout cas, quand Condé dit qu’il revient au peuple guinéen de décider, on veut bien se demander de quel peuple il s’agit.
Si Condé persiste dans sa volonté de briguer le mandat de trop, il portera l’entière responsabilité des conséquences devant l’Histoire
Où met-il la déferlante de contestataires qui, mobilisés depuis des mois à travers le FNDC (Front national de défense de la Constitution), lui demandent de respecter la Loi fondamentale de son pays en faisant valoir ses droits à la retraite ? Et puis, même si une partie du peuple jetait son dévolu sur lui, tout professeur qu’il est, ne peut-il pas se surpasser en faisant valoir sans ambages qu’il ne doit pas tordre le cou à la Constitution ? C’est par cela aussi que l’on reconnaît les Grands hommes, les vrais hommes d’Etat. C’est dire s’il n’a aucun égard, encore moins de remord, pour les morts consécutifs aux manifestations de protestation contre son projet de 3e mandat, dont la Guinée aurait pourtant pu faire l’économie.
A la vérité, Alpha Condé se moque du peuple guinéen. Et il fait dans la fuite en avant en rejetant la responsabilité du choix du candidat sur son parti. Car, il sait, comme tout bon dictateur, que tant qu’il ne renoncera pas clairement de lui-même au pouvoir, sa formation politique ne se hasardera jamais à emboucher une trompette autre que la sienne. Parce qu’en Afrique, la voix du maître, c’est la voix du parti. Et Condé est conscient que parmi ceux qui le soutiennent, beaucoup le font soit par peur, soit pour des raisons œsophagiques ou claniques.
En tout état de cause, si malgré toutes les alertes et les coups de semonce de l’opposition, Alpha Condé persiste dans sa volonté de briguer le mandat de trop, il portera l’entière responsabilité des conséquences devant l’Histoire.
Par Le Pays