La décision de la Cour Suprême du Kenya rendue le Vendredi 1er Septembre portant annulation des résultats des dernières élections présidentielles qui opposaient le Président sortant Uhuru Kenyatta et l’opposant Raila Odinga va marquer d’une pierre blanche l’évolution de la Justice en Afrique. Cette décision est d’autant plus historique que l’évolution politique du Kenya, la gestion des différentes élections qui s’y sont déroulées, ne permettaient en aucune façon de prêter un quelconque crédit a la justice du pays. C’est pourquoi, il aura fallu bien des pressions pour que l’opposition Kenyane accepte de soumettre leur contestation des élections présidentielles à la Justice de leur pays.
Malgré la tension sociale extrême pleine de menaces , les juges ont pris leur courage à deux mains et ont décidé d’invalider les résultats des élections présidentielles au motif que la Commission électorale en ne tenant pas compte des graves irrégularités qui ont entaché les élections a violé la constituions et a rendu nuls les résultats obtenus. Cette décision pourra aussi avoir le mérite de sonner le glas des conclusions souvent convenues rendues par les Observateurs des élections en Afrique qui, dans le cas du Kenya aussi, n’avaient trouvé aucun manquement susceptible de remettre en question les résultats du scrutin.
Cet Arrêt de la Cour Suprême du Kenya intervient à quelques heures d’intervalles après que les tribunaux sénégalais aient rendu deux décisions successives auxquelles peu de personnes s’attendaient.
En effet, en l’espace de 24h la Justice sénégalaise a montré sa volonté d’indépendance en rendant leur liberté à Kemi Seba et à Assane Diouf.
Ce dernier avait proféré contre le Chef de l’État et le Procureur de la République des injures d’une rare violence et d’une manière répétée et délibérée. Monsieur Assane Diouf assaisonnait ses critiques à l’égard du régime politique de propos d’une insanité inhabituelle dans le contexte du Sénégal.
Assane Diouf a agi, nous semble-t-il , en toute lucidité et ses propos extraits de la gangue des injures , en mettant en évidence des récriminations généralement partagées , ont suscité un grand intérêt chez bon nombre de sénégalais et ont fait des adeptes dans les réseaux sociaux. C’est pour quoi, personne ne pouvait l’imaginer ne pas séjourner en prison dés qu’il arriverait au Sénégal après avoir été expulsé des USA pour séjour irrégulier.
En effet,en temps normal il tomberait sous le coup du ” délit d’offense au Chef de l’Etat” .Mais après avoir été auditionne par la police, le Procureur de la République , qui certainement a tiré les leçons des cas récents presque similaires, s’est abstenu de le poursuivre et a demandé sa mise en liberté.
Dans le cas de Kemi Seba qui a brûlé en public un billet de 5000 FCFA, sur plainte de la BCEAO, conformément a la loi, le Procureur de la République l’a inculpé et placé sous mandat de dépôt . Devant le juge, Kémi Seba a expliqué le sens et la signification de son geste conforme à son attachement à l’autodétermination de l’homme africain, à l’idéal panafricaniste qui fait que tout africain, dans notre Continent, doit se sentir citoyen du pays où il réside et libre d’exprimer ses opinions et de participer, dans les limites prescrites par la loi, à toutes les activités économiques et sociales.
Le juge en décidant de relaxer Kemi Seba a fait une parfaite lecture de l’opinion dominante dans le pays. Cette opinion, qui ne cesse d’exprimer sa lassitude de subir la domination étrangère a parfaitement reconnu en Kemi Seba son porte-parole.
En vérité, la justice sénégalaise, malgré des hauts et des bas liés aux aléas du sous-développement et aux contraintes imposées par les exigences de la démocratie, s’est efforcée de consolider pas a pas son indépendance.
Ainsi la Cour Suprême du Sénégal, au temps de Keba Mbaye qui était son Premier Président par ses décisions notamment par la voie du recours pour Excès de pouvoir avait toujours montré que le juge pouvait et avait vocation a montrer a l’Etat que ses actions devaient être bornés par le Droit. Depuis cette époque ou l’Etat était dirigé par le Président Léopold Senghor, il a existé un dialogue entre l’État et le Droit qui a fini par faire du Sénégal un État de Droit.
L’Etat de droit n’est pas un État parfait, s’il en était ainsi, les grandes démocraties seraient des États sans problème. Mais l’État de droit se caractérise par le fait, qu’au nom de la loi on peut défendre ses opinions et que la culpabilité du citoyen ne peut être établie que par le juge.
Ces décisions que nous avons évoquées montrent qu’il ne faut pas désespérer de la Justice africaine. Les juges sont des citoyens comme les autres plongés dans les mêmes réalités sociales que le commun des mortels. Toutefois, la lecture qu’ils font des réalités de la société ne peut être la même que “monsieur tout le monde” car ils la voient et l’interprètent selon les grilles du droit. Faire confiance au juge c’est d’abord lui reconnaitre une présomption d’indépendance d’esprit, c’est ensuite se donner la peine de lire les prescriptions de la Loi.
La Confiance que l’opposition Kenyane a manifesté à l’égard de leurs Juges a vraisemblablement revigoré ces derniers et a renforcé en eux le sens de leur responsabilité C’est pourquoi , nous pensons que la société civile africaine doit mieux se saisir du droit comme arme de lutte pour le changement dans nos société , mais aussi les juges dans l’établissement de leur intime conviction doivent avoir à l’esprit les aspirations fondamentales de leurs concitoyens.
Benoit Saliou NGOM Président Fondateur de l’AJA
Benoit Saliou NGOM est diplômé des Universités de Paris I, Panthéon-Sorbonne et Paris II, Panthéon-Assas. Docteur d’Etat en droit Constitutionnel, Diplôme d’Etudes approfondies de droit public général et Diplôme d’Etudes approfondies de Développement et Etudes internationales comparatives.
Parmi ses publications : La Cour Suprême du Sénégal, ed. Présence Africaine Paris, les droits de l’homme et l’Afrique ed.Silex Paris, et droits de l’homme droits des Peuples ed. PUF Paris Enseignement : Université d’Amiens et de Paris VIII, France.
Conseiller éditorial de Financial Afrik depuis 2015, Benoît Ngom traite les grandes interrogations politiques, économiques et sociales de notre époque sous l’angle du droit.