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Guinée : un Etat entre théocratie, ethnocratie et gérontocratie ou l’errance d’une démocratie manquée

Trois formes de pouvoir présentant une certaine symétrie pour en faire un triptyque fondent le mal guinéen : la théocratie, l’ethnocratie et la gérontocratie. Dans leur dimension symétrique, ces pouvoirs sont les avatars de la démocratie : système de gouvernance tant rêvé par les guinéens et désastreusement raté. 

La calamité, pour ne pas employer le pluriel, que vit le pays en est l’expression à la fois la plus plausible et la plus désolante. Malheureusement, les ratages de la Guinée ne datent pas d’aujourd’hui : d’Alpha Condé, j’allais dire. Sans aucunement le dédouaner, on peut dire qu’il n’est pas le premier président à avoir fait rêver les guinéens pour leur offrir au final le désenchantement le plus absolu.

On pourrait ajouter qu’il n’a fait qu’assurer la continuité, peut-être inconsciente, mais étonnement prémonitoire de sa déclaration post-électorale de 2010 : « Je prendrais la Guinée où Sékou Touré l’a laissée ». Sauf que ce dernier n’aurait pas fait pire si l’inverse s’appliquait. Néanmoins, il serait simpliste de réduire la réalité guinéenne actuelle en une citation, fusse-t-elle d’un président.

Le mal dont nous souffrons est enraciné dans le retour ou l’émergence des trois formes de pouvoirs : la théocratie, l’ethnocratie et la gérontocratie. Ces formes anachroniques des pouvoirs qui se disputent l’autorité de l’Etat et mettent à mal la gouvernance, affaiblissent l’opposition, rongent le tissu social, entaillent et étouffent le pays au point de le conduire au bord de l’agonie constituent un danger dont on ne mesure pas pleinement la portée.

Le premier d’entre eux, la théocratie ou plutôt une forme de néo-théocratie dans la Guinée moderne est à aborder sous le prisme de son approche actuelle et non antique. Elle doit donc être perçue comme une certaine confusion entre politique et religion. Il ne s’agit pas du régime politique fondé sur des principes exclusivement religieux.

C’est cette approche que je privilégie qui me conduit à parler de néo-théocratie au lieu de « hiérocratie » employée par Max Weber (Economie et société,197) et qui met en avant la domination de l’homme par les moyens religieux. Fort heureusement, la religion ne domine pas chez nous. Ce sont ses représentants qui s’immiscent dans la politique pour influencer ses acteurs aux fins d’en tirer des per diem et conforter leur statut et aura locale.

Ce comportement des religieux ressurgit de plus en plus. La sortie médiatique d’un imam à Kindia en est l’expression la plus ultime. Cet « homme de Dieu » n’a pas hésité à inciter impunément à la division, à la violence par l’indexation de l’ethnie peule qu’il a ouvertement traitée d’étrangère. De facto, indigne de présider la commune urbaine. Ce faisant, il a ouvert une brèche, dans laquelle plusieurs autres ethno-stratégiques, jusque-là tapis dans l’ombre, se sont engouffrées.

Profitant de leur statut, ces hommes vêtus de blancs dans leur cœur « d’hydre aux flammes noires », (que déjà dénoncés dans un précédent article), se croient investis de tout. Ainsi, défient-ils le pouvoir en place et s’érigent en porte-parole d’une communauté dont ils ne sont point les mandataires.

Se servant du jeu ethnique, ils vont jusqu’à s’arroger de prérogatives qui ne peuvent relever que des pouvoirs publics. Ils décrètent, interdisent aux citoyens de faire telle ou telle chose, de voter pour ou contre tel ou tel candidat. Ils leur dénient jusqu’au droit de propriété comme en témoignent leurs menaces de cette semaine « d’exproprier les étrangers », toujours dans la même ville.

Hors de tout contrôle, ils se sont transformés en messie communautaire distillant « la bonne parole ». Ils décrètent qui serait citoyen et qui ne le serait pas. Ils traitent d’étrangers des gens qui ont vu le jour sur les mêmes terres qu’eux.

Pourtant, « la Guinée est une nation une et indivisible, laïque et démocratique » selon l’article 1er de la constitution. Ces « nouveaux juristes de Dieu » sont nés des entrailles nauséabondes de notre démocratie manquée. Pour comprendre de telles dérives, il ne faudrait pas perdre de vue la conjonction entre la théocratie et une autre forme de pouvoir aussi avilissante et désuète : l’ethnocratie.

Cette forme abâtardie de la pratique démocratique est un avatar, une abrogation, une altération, sinon une dérogation caractérisée du principe d’égalité sur lequel repose toute démocratie. Elle est une forme de gouvernement où le pouvoir central est sous l’emprise d’un groupe ethnique. A cet effet, on peut parler de système de gouvernement ethnique, voire de « démocratie ethnique » avec tous les méfaits que cela comporte. Ce genre de pratique politique instaure un système discriminatoire et érige une frontière entre les différentes composantes de la nation.

L’ethnocratie en cours d’instauration en Guinée a ceci de particulier. Elle n’est pas fondée sur un mythe d’une nation à construire, d’un Etat à bâtir, d’un pays à créer car toutes ces entités ou institutions existent. Elle est tout juste basée sur l’inconscient d’un groupe, plus exactement d’une minorité groupale ou ethnique, qui se croit investie de la mission de gouverner les autres. Mais cette prérogative sublimée est en train d’échapper à la minorité en question.

Elle est en passe d’être récupérée par une autre minorité qui concentre désormais entre ses mains un certain nombre de privilèges étatiques ou institutionnels. Le fait étant qu’à force de vouloir jouer les uns contre les autres, le système en place, du moins son chef, a provoqué une concentration de pouvoir en conférant, lors de ses campagnes électorales successives, des postes éminemment importants aux ressortissants d’une région.

Actuellement, c’est comme si le piège se refermait sur l’exécutif guinéen. Voyant cela, sentant ce qu’ils considèrent comme un danger arriver, certains proches du pouvoir, ethniquement parlant, ne l’entendent pas de cette oreille. Ils essayent de se faire entendre et d’exister par tous les moyens. D’où leur incitation à la violence et à la revanche pour créer une situation de perpétuelle tension. Le tout dans l’hypothétique espoir de déclasser l’autre et récupérer leur statut d’antan.

Les conseils adressés au pouvoir de répandre la violence, de quadriller le pays par les forces armées ne sont que l’aboutissement du désir mal caché de certains radicaux et extrémistes tapis au sein des institutions guinéennes de conduire à l’irréparable.

Résumons les choses en disant qu’il y a au moins deux forces asymétriques qui se livrent bataille dans l’arène du pouvoir actuel : l’une ethnique, l’autre intrinsèque et politique. Mais elles sont toutes un relent passéiste, belliqueux et revanchard.

La plus dangereuse de ces forces provient sûrement de l’intérieur. En effet, bien d’indicateurs montrent qu’il y a, de plus en plus, au sein du parti majoritaire de guetteurs qui s’acharnent à tordre l’Arc (sous-entendu en ciel). A se demander si ces souffleurs sur la braise sont franchement dédiés au président guinéen. En tout cas, ils semblent être plus enclins à le déstabiliser que ne le serait l’opposition dont certains membres suivent la rade comme des piroguiers.

Le chevauchement et la connivence entre théocratie et ethnocratie engendrent une autre dérive encore plus néfaste pour la démocratie : la gérontocratie. Schématiquement, la gérontocratie est un régime politique où le pouvoir est détenu par les personnes les plus âgées de la société parce qu’elles seraient au-dessus de la mêlée à cause de la sagesse quelles auraient théoriquement acquises par l’âge et l’expérience.

Le problème avec les anciens est le fait qu’ils peuvent aussi bien revêtir l’habit du sage que du géronte. Donc, du vieillard qui se laisse dominer par l’entourage. Si le chef est lui-même ancien, il se laisse gouverner. A chacun de voir si tel serait le cas chez nous. Si vous répondiez par l’affirmative, c’est dire qu’on aurait la totale chez nous : un vieux chef courtisé par des anciens autant sinon plus âgés que lui.

Plus sérieusement, nous savons tous l’affection et le respect que nous attachons aux anciens, à nos aînés (même plus jeunes) pour des raisons sociologiques, éducatives et culturelles. Malheureusement, les anciens d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. L’âge ne confère pas la sagesse non plus. Tout comme la barbe ne fait pas du bouc le quadrupède le plus sage, celle de bien de nos anciens ne fait d’eux un exemple de probité.

En effet, bon nombre de nos sages se laissent pousser la barbe pour pouvoir la tremper dans la soupe présidentielle. A se demander s’ils n’ont pas quelques réserves de cosmétique blanchissant.  On dirait que les dividendes qu’en tirent ces conseillers auto-proclamés du président sont au prorata de la pilosité, en touffe, en blancheur et en centimètres, de leur menton. Pauvre de nous. Ce sont pourtant, eux qui accourent de toutes parts pour résoudre tel conflit, dire telle vérité alors que la plupart du temps ils se mentent à eux-mêmes. On les voit à chaque fois que ça chauffe. Ils viennent exprimer dans un langage feutré leur vérité au président dans laquelle on décèle plus de mots à couverts, de propos alléchants que de conviction ou de franchise.

En tout cas, il serait fort étonnant qu’un Exécutif incapable de respecter les lois qu’il a lui-même édictées trouve les solutions qui se posent à la nation en appelant à la rescousse des personnes d’une autre époque et d’une mentalité ancestrale. A l’heure de l’informatique et du big data, même si la bonne foi sous-tendait les démarches de nos anciens, les solutions à nos problèmes doivent être cherchées ailleurs. La conjonction de la trilogie théocratie, ethnocratie et gérontocratie ne saurait qu’aggraver la situation assez dramatique de notre pays.

Un pays où une ethnie que personne ne veut nommer alors qu’il est bien connu de tous celle qui est discriminée à outrance. Les scènes de violences, de pillages, d’arrestations et de meurtres dans le quartier de Wanindara et avoisinants, le 8 novembre 2018 et les jours suivants n’avaient pas d’autres cibles que les Peuls. A tel point que ces derniers se sont vus dans l’obligation de fuir leurs habitations pour aller se réfugier chez un proche ou une connaissance.

Il faut que nous nous regardions en face pour dire qu’il faut que cesse la persécution qui n’a que trop durée contre les habitants de la banlieue. Pour que cesse l’indexation, les vexations. Il faudrait que chacun ait le courage de dénoncer, comme l’ont fait les citoyens des autres ethnies sur les réseaux sociaux et sur les ondes ce qu’il se passe sans avoir peur de dire ouvertement quelle est la communauté qui été ciblée. Pour dire, qu’on ne discrimine pas un groupe social, qu’il s’agisse de malinké, de soussou, de forestiers ou de peuls. Je dis, faisons appel au bon sens.

A notre conscience non plus de Guinéen mais d’humain tout court et retrouvons-nous sur la scène du dialogue et de la tolérance. Je dis, face à la résurgence de pouvoirs parallèles au pouvoir central que l’Etat chez lui. La religion et les religieux chez eux, pour paraphraser Victor Hugo. J’ajouterais, les anciens sous l’arbre à palabre. La parole publique et politique au seul élu du peuple.

Au cas échéant, suivons les pyromanes et continuons à nous amuser à approfondir le trou, à élaguer le peu de branches qui restent de l’arbre Guinée et sur lesquelles les citoyens s’accrochent, même désespérément. Continuons tout simplement dans la direction actuelle, dans le chienlit ambiant pour que l’orage qui souffle déjà emporte notre patrie.

Je dis, chers guinéennes et guinéens, gouvernants et citoyens, artisans, ouvriers, paysans, mouvance présidentielle et partis d’opposition, responsables politiques et syndicaux, société civile, corps constitués, forces armées, de police et de gendarmerie, cadres ou intellectuels…, j’en oublie, il est temps que nous nous interrogions individuellement et collectivement. Prenons bien garde que les pas de 2020 qui se rapprochent et aiguisent les ambitions de toutes parts n’engloutissent l’essentiel : l’unité nationale.

Aujourd’hui, nous agissons et laissons agir comme si nous avions les yeux bandés, les oreilles bouchées à la cire. Comme si nous étions tous devenus amnésiques. Comme si nous nous préparions aveuglement, indifféremment, à accompagner notre pays dans les abîmes de la division. Comme si plus personne n’était en mesure de relever le défi de l’unité et de la construction nationale de cette Guinée qui nous a vus naître et nourris. Comme si nous attendions, inconscients, l’implosion de notre nation dans l’illusion d’une renaissance meilleure.

Si tel était le cas, il ne faudrait pas qu’un seul d’entre nous dise un jour : je ne savais pas. Donc, prenons nos responsabilités. Faisons attention : l’horizon de notre pays semble être obstrué. De plus en plus, s’abat allègrement la brume de la division ethnique, des conflits sans fin et de toute nature : politique, syndicale, ethnique. Chacun devrait bien réfléchir afin de mesurer les enjeux de demain. Enfin, reconnaissons que notre pays est divisé plus qu’il ne l’a été. Que le fossé communautaire s’élargi de jour en jour. Que les morts s’acculent et les risques avec.

Que le tissu social est dramatiquement, tragiquement déchiré. Pour mettre fin à toute cette impasse, il est grand temps que tous nous nous donnions la main pour recoudre chaque pan du tissu social déchiré afin de ressouder la nation et le vivre ensemble. Tel est le vœu de l’humble patriote que je suis.

 

Lamarana-Petty DIALLO

Professeur Hors-Classe de lettres-histoire

Courriel : lamaranapetty@yahoo.fr

 

 

 

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