J’ai bien connu Mamoudou Barry, le jeune et brillant Guinéen sauvagement assassiné, la semaine dernière dans une banlieue rouennaise.
Mon émotion est telle qu’il m’a fallu plusieurs jours avant de pouvoir écrire ces mots. Ses amis et ses collègues universitaires ont souligné à juste titre, ses indéniables qualités intellectuelles et humaines. Ce garçon était attachant.
De prime abord, il vous frappait par sa courtoisie et par son raffinement : raffinement de la pensée, raffinement du geste. J’ai entendu parler de lui la première fois en 2007, il venait de créer à Mamou un club littéraire portant mon nom. En Mars 2012, il me rendit visite peu après mon retour définitif au pays. Je fus tout de suite séduit. Ce jeune homme timide mais décidé savait ce qu’il voulait. Il savait où il allait de même que le chemin qu’il fallait emprunter pour y parvenir.
Pour moi, il symbolisait la Guinée de demain telle que je la rêve : un pays soucieux de cultiver l’intelligence et la générosité, d’allier la mémoire à la modernité. Au salon ou au téléphone nos échanges furent suivis et particulièrement riches. J’écoutais la voix suave de ce jeune homme me parler de son amour de la Guinée, de sa passion pour la littérature et le droit. Je savais déjà qu’il se préparait à rejoindre la France pour y poursuivre ses études. Je fus surpris quelques mois plus tard de le voir frapper à ma porte, accompagnée, cette fois de sa jeune et très charmante épouse : il était revenu inopinément, enterrer son bébé de 6 mois que le couple venait de perdre. En quelque sorte, le signe annonciateur du drame qui vient de frapper les siens dans une Guinée depuis longtemps, abonnée au malheur. Et voilà maintenant, la jeune Madame Barry, avec devant elle toute une vie à refaire, et derrière elle, deux êtres chers à pleurer !
Le pire, c’est que tout cela arrive, un jour de fête, la finale de la CAN ! On peut dire ce qu’on veut du football, mais c’est le seul rite qui réunit l’ensemble des hommes : toutes les races, toutes les classes sociales, toutes les religions. Surtout en Afrique où les pesanteurs ethniques et religieuses continuent d’obstruer le chemin de l’avenir. Je ne rate jamais-sauf circonstances très exceptionnelles- un match de la CAN. Et je vous assure que cette année, je me suis régalé. J’ai été heureux de constater que cette belle fête n’est plus le privilège de quelques nations. Le Bénin, le Burundi, la Mauritanie nous ont montré qu’il n’y a plus de petite équipe ; mais aussi et surtout, Madagascar ! On sait maintenant avec ces merveilleux Baréas qu’au pays de Rabéarivelo et de Rabemananjara, tout est poétique même le football.
J’étais loin de me douter que pendant que je suivais tout ouïe, la finale Algérie- Sénégal qu’un petit con ou peut-être un déséquilibré mental se préparait à supprimer la vie de Mamoudou Barry. Je me souviens qu’au début du match, un ami m’avait demandé qu’elle équipe je soutenais. Voilà ce que j’avais répondu : « Ne me coupe pas en deux s’il te plaît ! Je me sens autant Sénégalais qu’Algérien. J’ai longtemps vécu dans ces deux pays. J’y ai des parents et sans aucun doute mes amis les plus chers. Que le meilleur gagne ! »
Je voue toujours malgré le poids du deuil une admiration sans borne pour Sadio Mané, Gana Guèye, Diatta, Keïta Baldé et les autres mais franchement, l’équipe algérienne méritait largement sa victoire. Pour moi, ce fut la meilleure du tournoi aussi bien sur le plan de la tactique que sur celui du style. Malheureusement, le lendemain, alors que je m’imaginais avec beaucoup de plaisir la puissance des youyous et des « one- two- three, viva l’Algérie ! » de Béjaïa à Tamanrasset, un petit con ou peut-être un débile mental, venait nous gâter la fête.
Dorénavant avant de fouler le stade, c’est à toi que je penserai, Mamoudou Barry !
Par Tierno Monénembo