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Félix Tshisekedi ne fait-il pas un choix apparemment irrationnel en promettant une impunité en RDC ?

Tribune. En faisant le choix de s’allier avec Joseph Kabila, le président congolais fait la preuve d’une certaine rationalité, ne serait-ce que parce qu’il a besoin d’un partenaire disposant d’une majorité parlementaire pour réaliser certaines de ses promesses de campagne.

Et si la théorie du jeu, en l’occurrence « le dilemme du voyageur », tel que formulé par Kaushik Basu au début des années 1990, pouvait nous aider à comprendre ce qui se joue à Kinshasa depuis que Félix Tshisekedi a été élu à la présidence de la République démocratique du Congo (RDC) ? L’hypothèse est moins farfelue qu’il n’y paraît.

Pour le comprendre, il faut revenir au scénario posé par l’économiste indien. Supposons, nous dit Kaushik Basu, que deux personnes qui ne se connaissent pas et qui ont toutes deux acheté le même objet antique voyagent sur le même vol. Une fois arrivées à destination, elles s’aperçoivent que lesdits objets ont été endommagés et réclament une indemnisation. N’ayant aucune idée de leur valeur, le responsable de la compagnie aérienne leur demande à chacune, séparément, d’en estimer la valeur.

Si toutes deux notent le même chiffre, il considérera qu’il s’agit du prix réel et il leur versera cette somme. Si elles notent des montants différents, il supposera que le plus bas est le bon, versera un bonus à son auteur et infligera une pénalité à la personne qui aura écrit le plus élevé, supposant qu’elle a tenté de le flouer. Autrement dit, on peut faire un choix apparemment illogique ou irrationnel (en l’occurrence déclarer un montant moindre) et en retirer un gain supérieur.

Tensions dans la coalition

Quel rapport avec la politique congolaise ? Arrivé au pouvoir en janvier 2019, Félix Tshisekedi a formé une coalition gouvernementale avec le Front commun pour le Congo (FCC), la coalition de Joseph Kabila. Mais de nombreuses tensions traversent cette union de circonstance. Au début du mois de novembre, des affiches à l’effigie du président ont même été détruites par des partisans de son prédécesseur, et inversement. Pourquoi donc Tshisekedi ne remet-il pas en cause son alliance avec un homme qu’il qualifiait, lorsque ce dernier était au pouvoir, de « dictatorial » ? Quel bénéfice en retire-t-il ?

Le nouveau chef de l’État est en fait semblable à l’un des deux voyageurs de Kaushik Basu, sauf que son voyage à lui est électoral et que, ce qu’il a acquis, c’est le pouvoir. Onze mois ont passé depuis les scrutins. Or même si d’aucuns rappellent que c’est lui qui est aux commandes puisque la commission électorale et la Cour constitutionnelle ont proclamé sa victoire, le président congolais est constamment amené à questionner la valeur réelle de son pouvoir ainsi que le bien-fondé de son alliance avec un partenaire aux intérêts inconciliables.

Mais Félix Tshisekedi, tel le voyageur le plus « honnête » de Kaushik Basu, ne donne pas dans la surenchère. Il n’exhibe aucun signe d’excès de pouvoir. N’a-t-il pas déclaré qu’il ne comptait pas « fouiner » dans le passé des dignitaires de l’ancien régime, alors même qu’il le pourrait et que, à première vue, il pourrait en tirer un bénéfice évident ? Ne fait-il pas un choix apparemment irrationnel en leur promettant une impunité et en ne faisant pas la démonstration de son pouvoir ?

Félix Tshisekedi temporise

En fait, la meilleure option pour Tshisekedi est de temporiser et de promouvoir la désescalade dans ses rapports avec Joseph Kabila. En faisant le choix de s’allier avec son prédécesseur, il fait la preuve d’une certaine rationalité, ne serait-ce que parce qu’il a besoin d’un partenaire disposant d’une majorité parlementaire pour réaliser certaines de ses promesses de campagne. N’oublions pas qu’il doit pouvoir se prévaloir d’un bilan positif s’il veut se faire réélire en 2023 !

Pour conclure, rappelons que Félix Tshisekedi n’est pas sans moyens. Il pourrait opérer des changements à la tête de l’armée et des services de sécurité qui sont réputés proches de l’ancien président – il y réfléchit d’ailleurs. Il pourrait aussi dissoudre le Parlement et organiser des élections législatives anticipées en 2020, en espérant remporter sa propre majorité.

 

Par Roger-Claude Liwanga

Chercheur à l’université Harvard, professeur de droit et de négociations internationales à l’université Emory

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