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Faidherbe et les Peuls (Par Tierno Monénembo)

L’ostracisme que vivent parfois les Peuls en Afrique ne vient ni des Malinkés ni des Soussous ni des Ouolofs ni des Djermas ni des Bambaras ni des Mossis, ni des Pygmées ni des Zoulous.
Il vient de Faidherbe et de Faidherbe seulement. Faidherbe avait deux raisons d’en vouloir aux Peuls. C’est Elhadj Omar qui lui a résisté. Ensuite, le premier gouverneur du Sénégal avait un rêve : faire de Timbo, l’ancienne capitale du Fouta-Djalon, la capitale, de l’AOF (l’Afrique Occidentale Française).
Il s’en était confié d’ailleurs à Olivier de Sanderval lors de leur rencontre à L’Exposition Universelle, tenue à Paris en 1889. Propos que je rapporte mot pour mot dans mon roman, Le Roi de Kahel : « Eh bien, Le Fouta-Djalon, j’en fais mon affaire. Pour ce qui est de vos traités, vous pouvez compter sur moi ! Et si jamais, il se créait un Empire français d’Afrique, sa capitale serait Timbo. »
Si vous observez les cartes de cette époque, c’est effectivement Timbo et non Dakar qui est indiqué. Mais convaincus que la colonisation n’était qu’un épiphénomène provisoire et réversible, les almamis (ainsi appelait-on, les rois du Fouta-Djalon) s’y opposèrent systématiquement. Comme ils s’opposeront plus tard à ce que la ligne de chemin de Conakry-Kankan passe par leur capitale. Celle-ci sera déviée vers Kégnéko et Saramoussaya avant d’atteindre Dabola et Kouroussa.
Faidherbe en gardera un profond dépit. Dépit qui lui fera écrire cette directive pleine de fiel adressée à tous les administrateurs placés sous sa tutelle : « Parmi les Indigènes que nous avons eu à coloniser, il y a une ethnie qui n’acceptera jamais notre domination. Et il se trouve que cette ethnie est très répandue sur notre ère de colonisation. Il est urgent et impératif pour notre présence en Afrique de réussir à les diviser et de leur opposer les autres ethnies moins rebelles. Car le jour où les Peuls se regrouperont, ils peuvent balayer sur leur passage toutes les forces coloniales. Nos gouverneurs doivent considérer cette action comme un devoir national. »
Oui, vous avez bien lu : « les diviser et leur opposer les autres ethnies moins rebelles » ! Diviser pour régner ! Une ruse vieille comme le monde, la fameuse ruse du colon : « Malinkés, regardez ce que font les Peuls ! Peuls, regardez ce que font les Malinkés ! Soussous, regardez ce que font les Kissis !… Regardez-vous, les uns les autres ! Que personne ne regarde ce que font les Français ! » On a l’impression que cette stratégie politique mûrement réfléchie continue d’orienter la politique africaine de l’ancienne puissance coloniale.
Les Français qui par ailleurs ne tarissent pas d’éloges sur la culture et les institutions peules, s’en méfient comme de la peste dès qu’il s’agit de politique active. C’est pour barrer la route à Yâcine Diallo et à Barry Dianwâdou (les premiers députés de la Guinée Française) que dans les années cinquante, Bernard Cornu-Gentil puis Pierre Messmer avec la complicité d’Houphouët-Boigny, levèrent le lièvre Sékou Touré. Lièvre qui leur échappera d’ailleurs très vite pour tomber dans les bras du Parti Communiste Français et donc du grand-frère soviétique avec les conséquences que l’on sait.
Comment de nouveau ne pas songer à Faidherbe quand on considère les conditions rocambolesques dans lesquelles s’est déroulée l’élection présidentielle de la Guinée en 2010 ? Arrivé en tête au premier tour avec 44 % des voix (contre 18 à son adversaire), Cellou Dalein Diallo s’est retrouvé battu au second tour alors qu’entre-temps, 5 mois se sont écoulés et que le fichier électoral a été réduit en cendres dans un incendie resté inexpliqué à ce jour.
La France garderait-elle dans ses tiroirs africains un agenda secret du type « tout sauf un Peul » ? À tort ou à raison, bon nombre de Guinéens ne sont pas loin de le penser.

Tierno Monénembo, in Le Lynx

 

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