Tribune. La Guinée est à la croisée des chemins et son avenir est plus que jamais en jeu. Le double scrutin du 22 mars 2020 a eu lieu et a rendu la réalité politique plus compliquée.
L’avènement de la crise sanitaire liée au COVID-19 qui nous affecte de diverses manières doit conduire à réfléchir dès maintenant sur l’avenir proche du pays d’autant plus qu’une échéance électorale, à l’occurrence la présidentielle, est prévue cette année. Aura-t-elle lieu ?
L’opposition y prendra-t-elle part au cas où Alpha Condé serait candidat ? Alpha Condé sera-t-il candidat ? Voilà de petites questions qui n’ont pas de réponses toutes faites. Il faudra les répondre si nous ne voulons pas que notre avenir nous échappe. Ne pas prévoir demain, c’est aller les yeux bandés vers l’avenir imprédictible et souvent, droit dans l’abîme. Ne pas anticiper la survenue des évènements et faits qui feront demain, c’est vivre une vie de chien. Un pays et ses citoyens doivent se l’éviter.
Dans le présent papier, mon dessein est d’esquisser quelques scénarii pour la présidentielle de 2020 et d’amener la classe politique, les acteurs de diverses institutions qu’elles soient nationales ou étrangères à réfléchir à l’avenir du pays et créer les conditions d’un dialogue inclusif, sincère et prompt afin d’éviter à la Guinée le fourvoiement et une impasse politique imminente. Le pays est la quête du temps perdu. Ne faudra-t-il pas lui éviter les crises inutiles, procédant de nos excès de confiance et de nos cécités politiques ?
Scénario I : Report de la présidentielle de 2020.
La tenue du double scrutin du 22 mars a eu des conséquences fâcheuses et a fait des victimes collatérales. Pour assez d’observateurs, j’en fais partie, elle a aggravé la crise sanitaire alors latente et a favorisé la propagation du coronavirus. Aujourd’hui, le nombre de contaminés augmente plus que celui des guéris et celui des cas contacts évolue à un rythme alarmant. Ce qui conduit, sous certaines conditions, à douter de la capacité du pays à venir à bout de la crise sanitaire à moyenne échéance. Peut-être apprendrons-nous à vivre avec le coronavirus. Il faut rappeler que la Guinée n’est venue à bout d’Ebola que lorsqu’un vaccin fut mis au point et mis à la disposition des pays alors frappés par le virus à fièvre hémorragique.
Dans ce contexte de crise sanitaire, il serait déraisonnable que la CENI et même le Président de la République tiennent la présidentielle à la date prévue. Les mesures adéquates pourraient être prises à cet effet, dira-t-on. Le vote sera-t-il électronique et les élections sans campagnes électorales ? Les mesures qui seront prises permettront-elles de protéger les Guinéens qui seront appelés aux urnes contre le risque de contamination au coronavirus ?
La date de la présidentielle est éloignée, diront certains. N’est-ce pas que l’organisation de la présidentielle de 2020 est tributaire de la capacité du pays à triompher du coronavirus qui éprouve la Guinée et le monde ? A l’hypothèse que le coronavirus soit circonscrit, ne faudra-t-il pas un consensus sur certaines questions à savoir : la CENI qui n’inspire pas confiance à une certaine opposition, le fichier électoral et d’autres questions subsidiaires.
Quand bien même Alpha Condé ne serait pas candidat et que la crise sanitaire due au Coronavirus serait finie, l’opposition qui n’a pas pris part au double scrutin du 22 mars 2020 acceptera-t-elle la CENI qu’elle a décriée ? Va-t-elle se renier et se dédire ?
Il est des plus probables que la présidentielle de 2020 connaisse un report ! Ce ne serait pas un mal eu égard aux réalités susmentionnées. Seulement, il faudra se mettre d’accord sur certaines questions qui divisent. Cela suppose que les différentes parties prenantes au processus électoral s’accordent sur le principe qu’elles doivent se parler et dialoguer. Mais la confiance entre ces acteurs n’est-elle pas entamée ?
Alpha Condé qui a eu une grande peine à se faire féliciter après l’adoption par le pays d’une nouvelle constitution, aura-t-il le courage d’organiser la présidentielle en étant lui-même candidat et cette année, sans que le coronavirus soit vaincu ? Cela semblerait absurde. Et, s’il venait à l’essayer, il sera de plus en plus isolé et donnera raison à tous ceux qui ont dit qu’il se donnait à travers la nouvelle constitution la possibilité de saper le principe de l’alternance en se portant candidat à un autre mandat. Lui qui a survécu à de nombreuses crises politiques, à Ebola, aux nombreuses manifestations de rue, à la honte qu’aurait engendré l’échec de son double scrutin, voudra-t-il ouvrir un autre front de combat en temps de crise sanitaire mondiale ? On le sait téméraire et entêté. Survivra-t-il à cette autre épreuve ?
S’il y a report de la présidentielle, c’est que le pays connaîtra une nouvelle transition. Combien de temps durera-t-elle ? N’est-ce pas que les transitions aiguisent les appétits et conduisent souvent aux substitutions de priorités ? Alpha Condé qui l’assurera pourra-t-il être candidat à un autre mandat ?
Peut-être que l’apport de la communauté internationale et aussi qu’une certaine pression étrangère favoriseront un dialogue sur les questions dont les résolutions sont reportées : fichier électoral, présidence de la CENI et sa composition, candidature d’Alpha Condé à un autre mandat, acceptation de la constitution du 22 mars 2020 par l’opposition au sein du FNDC. Peut-être aussi, Alpha Condé aura-t-il des garanties et incitations qui l’emmèneront à ne pas se porter candidat à la présidentielle.
Tout cela ne sera pas sans conséquences. Il aura, lui qui s’est toujours plaint d’avoir été empêché, la possibilité de rattraper quelques années perdues. Mais cela lui permettra-t-il d’être performant ? Voilà un sophisme : celui de l’amortissement. Le temps écoulé ne se rattrape pas ! Le mandat d’une transition est contraignant . Aussi, il aura la possibilité de se mettre à l’abri de certains ennuis judiciaires si la communauté internationale venait à lui faire des propositions de poste au sein de certaines institutions. Mais les récriminations de l’opposition sont plus grandes et vont au-delà de sa personne. On pourrait lui éviter certains procès en raison de son rang, ce qui serait inadmissible pour d’autres présumés coupables de crimes de sang et économique. On pourrait lui accorder le pardon, mais jamais l’amnésie à ses supposés suppôts. Le RPG devra alors avoir un candidat pour lui éviter une triste fin et la justice des victorieux. Alpha Condé, Président de la transition, sera-t-il neutre ? N’aura-t-il pas une inclination pour un candidat ? N’influera-t-il pas sur la sincérité du scrutin ? On pourrait perdre d’autres années et la transition pourrait bien donner lieu à une confiscation du pouvoir. Le risque d’une instabilité politique est réel.
Scénario II : Candidature d’Alpha Condé à la présidentielle de 2020.
Ce scénario, me paraît improbable dans les conditions actuelles. Certaines raisons évoquées dans le scénario précédent sont aussi en vigueur dans le présent cas. L’hypothétique candidature d’Alpha Condé à la présidentielle de 2020 est liée à sa capacité à venir à bout du coronavirus et aussi à faire accepter par une certaine communauté internationale sa réforme constitutionnelle. Le dernier trimestre de 2020 est encore loin et assez de choses peuvent encore se passer.
Si Alpha Condé se porte candidat alors qu’il n’a pas vaincu le coronavirus , c’est qu’il aura compris qu’il ne viendra jamais à bout de cette crise sanitaire avant la découverte d’un vaccin dont l’attente serait inconcevable et aussi , qu’il n’a pas à chercher l’approbation d’une certaine communauté internationale. N’est-ce pas qu’il avait avant la réforme constitutionnelle reçu le soutien des dirigeants placés sous la même enseigne que lui et qui l’ont félicité après le double scrutin : ceux de la Russie, de la Chine, de la Turquie ? La CEDEAO, les pays occidentaux, certains pays africains ayant une tradition démocratique avérée ne lui ont envoyé aucun message de félicitations. Cherchera-t-il à leur plaire ? Reculera-t-il alors que le plus difficile est fait et qu’à présent, il a possibilité d’être candidat à un autre mandat ?
La récente plainte du FNDC contre le pouvoir guinéen à la CPI pourrait avoir des conséquences insoupçonnées que les initiateurs n’ont pas eux-mêmes soupesées. En effet, une nouvelle constitution veut dire : ne pas ouvrir la boîte de pandore. Si plusieurs dirigeants sont tentés de mourir au pouvoir, c’est qu’ils ont renoncé aux hypothétiques honneurs d’après règne pour se mettre à l’abri des ennuis judiciaires. Aussi longtemps qu’ils dirigent, ils le savent, ils jouissent d’une certaine l’immunité les protégeant contre les actions judiciaires. Si Alpha Condé n’est pas candidat alors qu’il désespère, son parti avec, de trouver un dauphin qui sera à même de remporter la présidentielle à l’issue d’un scrutin dûment constitué. S’il n’a pas l’assurance qu’il sera, après le pouvoir, exempt de poursuites judiciaires, eh bien, il sera tenter d’être candidat à un autre mandat et voudra aller aux élections même dans les conditions les plus discutables.
L’opposition au sein du FNDC doit entendre cela et entrevoir une lutte politique plus habile que celle des muscles dont les résultats sont très contrastés. Impénitente, elle doit avoir son travail de conscience ! Les menaces n’engendrent toujours pas les résultats escomptés. Elles peuvent produire l’effet contraire : la fossilisation des dirigeants.
Scénario III : Désistement volontaire d’Alpha Condé à être candidat à un autre mandat.
Ce scénario est trop optimiste pour être des plus probables. Les faits conduisent à croire qu’il est irréaliste. Sa survenue pourrait avoir des conséquences dont la mort subite du FNDC et la révélation des contradictions au sein de l’opposition. En effet, si Alpha Condé annonçait qu’il ne serait pas candidat à un autre mandat, cela apaiserait une certaine tension politique et favoriserait un dialogue sur certaines questions de l’heure et surtout celles électorales. Une telle annonce sera favorablement accueillie par la communauté internationale qui lui aura prêté des intentions et qui, sans nul doute œuvrera à l’aider à s’acquitter de la promesse qu’il aura tenue : celle de ne pas être candidat à une autre échéance électorale. Là, il pourrait, intelligemment se soustraire de certains ennuis judiciaires après le pouvoir et se réconcilier avec ses combats historiques. Encore, il aura évité à sa postérité d’être dédaigneuse. Saura-t-il dominé le ressentiment qu’il a vis-à-vis de cette classe politique qui lui a livré un combat implacable pendant assez d’années ? Il ne faut pas désespérer qu’il puisse encore se révéler homme d’État et que, même dans les moments d’incertitudes, il puisse se montrer à la hauteur de ses combats historiques.
S’il venait à faire une telle annonce, l’opposition serait confrontée à deux opinions contradictoires. La première sera celle de ceux qui diront : « Allons aux élections et sans préalables. » La seconde, celle des circonspects qui diront : « Créons les conditions d’une élection inclusive et transparente dès lors que cela est possible et mettons-nous d’accord sur les questions essentielles. » Cette dernière frange ne voudra pas se dédire alors qu’elle ne porte pas une grande admiration à la CENI, ne croit pas à la fiabilité du fichier électoral. Une telle annonce permettra d’acquérir une certitude que la nouvelle constitution tant décriée est acceptable et le sera et, qu’en supposant à lui, le FNDC s’opposait à la possibilité qu’Alpha Condé soit candidat à une autre échéance électorale. ! Les déclarations cocardières et patriotardes s’estomperaient. « 2020, Un autre », voilà son slogan dénotant de peu d’ambitions
Que cette hypothèse soit validée ou non, il faut bien se poser la question qui est : au cas où Alpha Condé ne serait pas candidat, et au cas où il se donnerait les chances de tenir des élections inclusives et transparentes, n’est-ce pas qu’il faudra que la classe politique s’accorde sur certaines questions ?
En définitive, quel que soit le scénario, une chose est claire, nous vivons une grande crise qui n’est pas que sanitaire. Elle est multidimensionnelle. Elle est aussi politique. La crise sanitaire a permis d’éluder les clivages politiques et de créer une harmonie de façade, foncièrement factice, de réduire les angles de nos contradictions idéologiques et politiques, de rengainer l’expression de certaines méchancetés. Elle a favorisé la politique de temporisation. Elle ne résoudra pas nos problèmes politiques et ne mettra pas fin à nos contradictions, même si elle a la vertu de reporter leurs résolutions. N’est-ce pas qu’il faudra alors qu’il est grand temps de poser les bases d’un dialogue national en faisant les compromis forts pour éviter au pays une crise politique majeure ? N’est-ce pas qu’il faut asseoir les bases d’un dialogue politique national sur le processus électoral ? Devons-nous reporter la présidentielle de 2020 ? Si oui, pourquoi ? A quelle échéance ? Au cas contraire, avec quelle CENI, quel fichier électoral et dans quelles conditions ? L’opposition doit s’intéresser à ce sujet et poser les conditions raisonnables pour un dialogue sincère et franc. La communauté internationale doit aider la Guinée à réussir ce pari.
Ceux qui croient naïvement – peut-être sont-ils forts d’autres choses que nous autres ignorons – que les muscles et la tactique de la surenchère régleront les problèmes servent de cautions politiques à Alpha Condé et lui font le plus grand bien qu’ils ne peuvent imaginer : ils le réconfortent dans ses positions et hâteront ses réactions par le mal de notre démocratie. Cela suffira pour sacrifier l’idéal de l’alternance qui est un triple impératif : moral, politique et constitutionnel.
Ibrahima SANOH
Citoyen guinéen
Président du Mouvement Patriotes Pour l’Alternance et le Salut