La physionomie de la Guinée et le caractère abimé de sa monnaie mettent en exergue les véritables réformes à mettre en place afin de palier à la dégringolade du Francs Guinéen face à des devises qui se font de plus en plus rares.
Au moment où la Guinée s’apprête à célébrer son 61ième anniversaire d’indépendance monétaire, nous assistons non seulement à une dépréciation sans précédent de cette dernière, mais aussi à une hausse des prix de tous les produits notamment les denrées alimentaires de premières nécessités.
Cette tribune succincte a un double objectif. Il s’agit tout d’abord d’apporter à notre entendement un certain éclairage sur quelques facteurs explicatifs des prix notamment celles des denrées alimentaires qui préoccupent plus d’un, mais aussi de faire quelques recommandations sur les actions d’avenir afin de stopper cette tendance qui n’a que trop durée.
D’entrée de jeu, il convient de souligner qu’au cours de ces dernières années plus particulièrement depuis l’élection présidentielle de 2010, la Guinée a connu une hausse des prix de la plupart des produits notamment celles des denrées alimentaires de première nécessité. Au regard de cette situation, nous pensons à notre fort intérieur, qu’il n’est pas nécessaire de constituer une base de donnée et de tester des variables macroéconomiques via des logiciels statistiques et d’en conclure via un modèle VAR (Vector Auto Regressive) ou encore un MCE (Modèle à Correction d’Erreur) les facteurs explicatifs de cette augmentation des prix dont l’impact se fait ressentir au niveau des ménages.
Avant d’exposer les quelques déterminants qui ont retenu notre attention, nous pensons tout d’abord à l’image de beaucoup d’autres analystes guinéens que les opérateurs économiques, notamment les petits commerçants guinéens n’ont aucunement la possibilité d’augmenter les prix des denrées de premières nécessités. Il faudrait savoir que ces opérateurs économiques ne sont en aucun cas des entreprises caritatives mais plutôt à la recherche des bénéfices de la même manière que les entreprises poursuivent les perspectives de profit, sans lesquels d’ailleurs, elles renoncent à tout investissement.
C’est pourquoi, ils ne peuvent se permettre de vendre leur produit à perte. Dans une économie rationnelle, seules les entreprises évoluant dans une situation de monopole peuvent se permettre d’augmenter de manière indue les prix de ces produits. Sauf erreur de notre part, aucun opérateur économique évoluant dans la vente des denrées de premières nécessités n’est en situation de monopole en Guinée. Si cela existe, alors le gouvernement doit immédiatement y mettre un terme.
En réalité, les véritables causes de la hausse des prix en Guinée seraient entre autres : l’apparition des maladies à Virus Ebola et du Coronavirus, l’accroissement de la masse monétaire suivie de la dépréciation de la monnaie nationale, la hausse des salaires des secteurs privé et public, la perte de la compétitivité de l’économie guinéenne en raison la faiblesse de la production.
De l’apparition des maladies à Virus Ebola et du Coronavirus
Ces épidémies ont créé une psychose généralisée dans tous les secteurs économiques. Elles ont entrainé des dépenses publiques supplémentaires ainsi que le report et/ou l’arrêt de certains projets d’investissements. Le secteur touristique a été fortement éprouvé en raison de la suspension des vols de certaines compagnies aériennes à destination et en provenance de Conakry. Cette situation a été lourde de de conséquences et nécessite forcément à notre sens une stratégie de relance socio-économique post-épidémies notamment pour la Covid-19.
La baisse de l’activité économique constatée ces dernières années en Guinée dans les secteurs formel (hôtels et tourisme, activités aéroportuaires sont restés longtemps à l’arrêt au moment pendant la Covid-19) et informel ont été pleinement touchés par ces pandémies. Toutes choses étant égales par ailleurs, cette situation induirait à notre avis une baisse du PIB tout au moins de 40% ou plus en raison de la perte des recettes de l’Etat. Ce qui, en retour, priverait l’Etat de ses moyens d’interventions habituels, surtout qu’à la fin du troisième trimestre 2020, l’Etat n’avait mobilisé que près de 2 000 milliards, soit 60% du total de son plan de riposte défini contre la Covid-19.
De l’accroissement de la masse monétaire suivie de la dépréciation de la monnaie nationale :
L’émission des billets de GNF 20 000, mais aussi des nouveaux billets de GNF 5000, GNF 1000, GNF 500 et GNF 100 aurait eu un impact considérable sur l’offre de monnaie (la masse monétaire est passée de 10 366 en 2010 à 29 829 milliards à fin décembre 2019, soit un accroissement de 185% avec un taux de liquidité de l’économie qui frôle les 30%) et de surcroit sur l’évolution du Niveau Général des Prix.
Par ailleurs, au cours de ces dernières années, nous avons assisté également à une dépréciation sans précédent du Franc Guinéen à tel point que nous avons cherché à plusieurs reprises à analyser les facteurs explicatifs de la dégringolade de notre monnaie. La restauration de la valeur extérieure de la monnaie guinéenne ne sera effective à moyen et long terme qu’en résolvant le problème de notre déficit commercial structurel.
En effet, la Guinée reste caractérisée par l’existence des déficits jumeaux (budgétaire et commercial) avec une faiblesse du taux de croissance économique. La pression exercée par la demande de devises des agents économiques en contrepartie du Franc Guinéen fera toujours grimper le taux de change, en affaiblissant la monnaie nationale dont l’offre est abondante.
De la hausse des salaires des secteurs privé et public
Nul besoin de rappeler que nous avons observé une hausse considérable de certains salaires notamment, pour les magistrats, les militaires, les Inspecteurs de finances ou encore ceux du secteur privé et cela en raison de la perte du pouvoir d’achat. Par ailleurs, au cours de ces 10 dernières années, à chaque fois que le Niveau Général des Prix (NGP) a augmenté jusqu’à un certain seuil en Guinée, il y a eu des bras de fer entre syndicats et gouvernement pour l’augmentation des salaires.
Par ailleurs, plus de salaires, c’est plus d’impôts sur le revenu des ménages, sur les profits des entreprises et cotisations sociales perçus sur les employés/employeurs. Ce qui donne des marges de manœuvre à l’Etat pour se désendetter mais aussi de lancer des investissements publics notamment les Infrastructures Economiques et Sociales (IES) : routes, ponts, barrages, centre de santé, éducation, etc.
Il ne faudrait tout de même pas oublier que dans le cas particulier du secteur privé guinéen, toute augmentation de salaire se fait au détriment de la marge bénéficiaire de l’entreprise si elle n’est pas accompagnée d’une baisse des impôts (ce qui n’est pas le cas en Guinée). C’est pourquoi, nous assistons inéluctablement à une répercussion progressive du coût supplémentaire des salaires sur les prix des produits et services vendus.
S’agissant du secteur public, toute hausse de salaire signifie également une augmentation des charges du gouvernement. Or, il se trouve qu’en Guinée, les ressources publiques sont largement insuffisantes pour faire face en même temps à la couverture des charges salariales, le service de la dette et les investissements publics notamment les Infrastructures Economiques et Sociales (IES).
Cette situation s’expliquerait en partie par la hausse de la dette avec un encours ne représentant que 36% du PIB (Produit Intérieur Brut) de 2019 pour un stock de 4,29 milliards de dollar (cf. note BCRG de mars 2019) et un service de la dette extérieure qui tourne autour de 100,9 millions de dollars (contre 300 millions de dollars pour 2011). Soit environ 17% des exportations des biens et services du pays et plus de 40% des budgets des 10 dernières années en moyenne. Ce qui est énorme pour un petit pays comme le nôtre.
Dans le même sillage, la masse salariale des 108 674 fonctionnaires représenterait également près de 40% du budget avec 200% d’accroissement entre 2010 et 2017 (cf. détail dans la presse en ligne et la fiche de paie des fonctionnaires) pour la majeure partie des fonctionnaires et plus pour d’autres notamment les magistrats et les Inspecteurs des finances.
Autre poste qui représenterait aussi plus de 40% du budget de l’Etat, est celui des dépenses militaires (il est pratiquement impossible d’accéder à des telles informations en raison des diverses mesures de restriction prises à ce niveau). Tout le monde aura compris qu’en Guinée, les principaux postes de dépenses totalisant plus de 120% du budget de l’Etat sont le service de la dette extérieure, la masse salariale et les dépenses militaires.
De la perte de la compétitivité de l’économie guinéenne en raison la faiblesse de la production
La perte de la compétitivité de notre économie s’explique par le déséquilibre de la balance commerciale. Par ailleurs, une économie est dite compétitive lorsqu’elle exporte des produits d’une valeur équivalente ou supérieure aux produits qu’elle importe. D’où la constitution des fortes réserves de change qui soutiennent la monnaie nationale. Or, la Guinée étant une économie extravertie (nous ne consommons pas ce que nous produisons et nous ne produisons pas ce que nous consommons), duale et mono-exportatrice de matières premières l’impact de la hausse des prix sur le marché international sera toujours ressenti sur le marché domestique.
C’est pourquoi, nous avons besoin d’une révision totale de la politique économique en place de manière favoriser un climat d’affaires permettant la création, l’émergence et la survie d’entreprise capable de vendre à l’extérieur de la Guinée car, le principal produit d’exportation de la Guinée reste encore de nos jours, comme à l’époque coloniale, les produits miniers.
Suggestions de politique économique
Au cours de ces dernières années les autorités politiques ont mis en place diverses mesures pour arrêter cette hausse des prix en Guinée. C’est dans ce cadre qu’elles se sont transformées en opérateurs économiques. Elles ont également effectué des opérations de subventions des denrées alimentaires tout en interdisant leur exportation. Enfin, elles ont procédé à une augmentation des salaires de base des fonctionnaires de 200%.
Si en dépit de tous les prix continuent à augmenter, c’est parce que nous n’avons pas encore touché les véritables solutions. Pour arrêter la hausse des prix en Guinée, nous suggérons la revue pour un départ des 4 points fondamentaux ci-dessous.
Aux autorités publiques :
- L’expansion de l’offre permettrait de faire face aux pressions que la demande exerce sur les prix. Ces voies d’expansion de l’offre sont donc à rechercher pour assurer une croissance non inflationniste à l’économie. Le développement de la production agricole et de l’élevage pourrait notamment permettre d’accroitre la disponibilité des produits vivriers d’origine locale, et de réduire ainsi l’impact négatif lié à la hausse des prix des biens alimentaires importés et pouvant permettre de stabiliser les prix.
- Diversifier les secteurs de croissance de notre économie. Cette mesure devra permettre de réduire graduellement sa dépendance aux recettes minières, mais de plus, elle fera tourner l’économie de manière à réduire le taux de chômage et la pauvreté, à augmenter les ressources publiques et les réserves en devises, toutes choses qui réduiront l’exposition de la Guinée aux fluctuations des prix sur les marchés internationaux.
Autorités monétaires
- Revoir le taux directeur à la baisse le niveau de 15% fixé par la BCRG à l’avènement de la Covid-19 paraît particulièrement élevé, surtout dans un contexte de ralentissement de l’inflation. Une baisse sensible devrait être envisagée par la Banque Centrale en réduisant par exemple le taux directeur de moitié pour le porter à 7,5% afin de favoriser la relance des activités économiques des PME.
- La Banque Centrale devra à notre avis restructurer le marché de change de manière à autoriser dans le futur son intervention sur ledit marché en injectant de la devise quand le taux de change dévie de sa trajectoire par rapport au fixing (d’autant que notre régime de change actuel ne le permet pas) sans quoi, les agents économiques à l’image des cambistes agréés de la place auront toujours la possibilité de spéculer sur le Franc Guinéen.
Conclusion
Tout au long de cette analyse, nous avons exposé quelques facteurs explicatifs de la hausse des prix en Guinée notamment ceux des denrées alimentaires de première nécessité. Nous comprenons ainsi que la hausse des prix en Guinée est due à des éléments qui sont à la portée des autorités politique et monétaire. C’est dans ce cadre que nous avons défini les mesures à adopter pour garantir la stabilité des prix en Guinée.
Au bout de cette tribune, nous espérons avoir été à la hauteur de notre objectif principale qui consiste à éclairer la lanterne des autorités politiques mais aussi l’opinion publique sur les véritables enjeux des réformes à entreprendre.
Contrairement à la pensée de nos vaillants syndicalistes qui ont dédié leur vie à la défense des intérêts des travailleurs, l’augmentation de salaires nominaux ne résout pas le problème. Il faudrait désormais se battre pour réclamer une augmentation du pouvoir d’achat. Or, ce dernier n’augmente que lorsque nous avons une stabilité des prix. C’est pourquoi, nous avons besoin de renforcer les pouvoirs de la Banque Centrale de manière à lui permettre de continuer les réformes afin de défendre la monnaie nationale car, il y va de l’intérêt de tous.
Safayiou DIALLO
Citoyen Guinéen