Mamadou Dian Baldé, journaliste et éditorialiste craint que la Guinée ne renoue avec ses vieux démons à cause des velléités de changement constitutionnelles nourries par un pouvoir qui semble porter des œillères. Face à lui se dresse le Front national pour la défense de la constitution (FNDC) qui, en tant que porte-étendard de la vague anti-troisième mandat, se dit prêt à vendre chèrement sa peau, dans cette épreuve de force.
Talibé Barry : Bonjour Mamadou Dian Baldé. Ce dimanche on vous sent un brin pessimiste dans le bras de fer qui oppose le FNDC et le pouvoir exécutif autour du changement constitutionnel, dans votre chronique intitulé « le FNDC s’en va-t-en-guerre ». Pour vous c’est comme si le rubicond était franchi ?
Mamadou Dian Baldé : On assiste de plus en plus à une atmosphère de veillée d’armes entre le Front national pour la défense de la démocratie (FNDC) et les adeptes d’un changement constitutionnel. Ce qui rend le ciel lourdement chargé au-dessus de nos têtes. C’est dire qu’au train où vont les choses, le clash pourrait être inévitable.
Vu que le président Alpha Condé, bien qu’étant au couchant de son règne, semble porter des œillères, et ne fait plus mystère de son ambition de garder le pouvoir au-delà de 2020.
Aidé en cela par un entourage habitué à une vie de rente, et frileux de perdre le pouvoir.
Face à ces velléités de l’exécutif, le FNDC devenu le poil à gratter pour ce système, se dit prêt à en découdre. Les membres de cet avatar des forces vives semblent en effet, avoir intégré le fait que la politique soit une question de rapports de force.
Ainsi dans sa croisade anti-troisième mandat, le Front invite le peuple de Guinée à ne plus se laisser enfler par des dirigeants qui ne luttent que pour promouvoir leur sort personnel.
Des manifestations de rue ne seraient donc pas à exclure comme moyen de pression sur le pouvoir de Conakry. Pour le moment, le Front se contente de tirer la sonnette d’alarme sur les méfaits d’une présidence à vie. Mais n’écarte plus l’éventualité de battre le pavé dans les jours à venir.
Comme pour dire que la présidence à vie, on en voudrait plus chez nous aussi. Pratique qui sent d’ailleurs de la naphtaline dans la sous-région. Où les dirigeants ne jurent dorénavant que par l’alternance démocratique.
« L’exemple parle mieux que les plus beaux discours ». Et le président nigérien Mahamadou Issoufou a l’air de faire sien ce proverbe oriental. En réitérant dans un discours qui fera date, dans les annales de l’histoire africaine, sa volonté de quitter les affaires en 2021.
Extrait « Je crois à la nécessité de l’alternance démocratique qui permet la respiration démocratique. La respiration démocratique favorise la stabilité des institutions. Par ailleurs je reste convaincu que la stabilité des institutions réside dans leur légitimité et leur légitimité résulte des élections libres et transparentes.
Mon désir le plus ardent est de passer le pouvoir en 2021 à un successeur démocratiquement élu, ce sera ma plus belle réalisation, ce sera une première dans l’histoire de notre pays depuis son accession à l’indépendance. »
Allocution prononcée lors du récent sommet organisé à Niamey, pour la promotion de l’alternance en Afrique subsaharienne.
Rencontre lors de laquelle, le sort de la Guinée était au cœur de toutes les préoccupations. A cause de la volonté affichée du chef de l’État de se maintenir au pouvoir, après les deux mandats que lui consacre la loi fondamentale. Surtout que ces différents discours ne laissent entrevoir rien de nouveau sous le soleil.
C’est dire que pendant que l’on se fait du mouron en Guinée, les Nigériens, eux, peuvent se frotter les mains. Les délices de l’alternance étant désormais à leur portée, sans aucun obstacle.
Le pouvoir sabre au clair du pouvoir
Malgré la levée de boucliers provoquée dans la cité par les velléités de changement constitutionnel, le pouvoir selon vous veut aller au bout de son entreprise, sans détour ?
Dans sa tentative de faire avaler la pilule amère du changement constitutionnel au peuple de Guinée, le parti au pouvoir veut manier la carotte et le bâton. Par le biais d’un travail de débauchage dans les rangs de l’opposition. En provoquant l’hémorragie, afin d’affaiblir le FNDC.
C’est dans cette optique que des cadres du parti profitent de leurs discours manichéens à l’occasion de leurs assemblées générales hebdomadaires pour distribuer des bons et des mauvais points aux autres acteurs du landerneau politique. Quitte à faire des yeux doux à certains anciens membres de la mouvance présidentielle.
On a ainsi entendu Sanoussy Bantama Sow, ministre des Sports et de la culture, cacique du RPG, dans une de ses logorrhées, passer la brosse à reluire sur le dos de deux leaders, notamment celui du RGD, Me Kabèlè Camara, ancien membre du gouvernement et le Dr Ousmane Kaba du Pades. Les invitant dans la foulée à retourner à la « maison commune ».
Cet appel d’air réitéré par un certain Philan Traoré, ancien préfet sous Lansana Conté, qui a tourné casaque, avec l’avènement de la troisième république, n’a pour le moment pas produit l’effet escompté.
Car, et Kabèlè qui a dirigé respectivement les ministères régaliens que sont la Défense et la Sécurité (c’est après son limogeage qu’il s’est braqué contre le système Condé), et Dr Ousmane Kaba, ne cachent pas leur opposition à tout projet de tripatouillage constitutionnel.
Le clin d’œil fait à un groupe de partis dissidents du FNDC, par le Premier ministre, les conviant à ces fameuses consultations, s’inscrirait aussi dans cette campagne soft initiée par le système.
De l’autre côté, la sortie controversée du premier flic du pays, Alpha Ibrahima Kéira, dans laquelle le ministre de la Sécurité et de la protection civile menaçait de sévir contre d’éventuels « fauteurs de trouble », en dirait long sur la volonté du pouvoir d’user de méthodes à la hussarde, employées parfois dans le maintien d’ordre. En vue de dissuader les plus téméraires des opposants au système.
Sans surprise, l’épreuve de force autour des velléités de changement constitutionnel attire aussi les projecteurs des ONG de défense des droits humains sur notre pays. C’est le cas de Human Right Watch dont le dernier rapport épingle sérieusement le gouvernement guinéen. Accusé de restreindre les libertés par la mesure interdisant les manifestations de rue.
L’ONG craint que la situation ne dégénère à l’allure où vont les choses, entre pros et anti-troisième mandat. Les opposants n’écartent pas un remake du massacre 28 septembre 2009. Expédition punitive menée par la junte du capitaine Moussa Dadis Camara et dont aucune lumière n’a été faite à ce jour. Dix ans après le massacre.
Et comme l’a dit Winston Churchill, « un pays qui oublie son passé est condamné à le revivre ».
Elhadj Sekhouna Soumah, franc comme l’or
Dans la chute de votre chronique, vous tisser des lauriers au Kountigui de la Basse Guinée, ce qui n’est nullement dans vos habitudes ?
Le patriarche de la Basse Guinée Elhadj Sekhouna Soumah force aujourd’hui l’estime d’une bonne frange de l’opinion nationale. Le vieil homme a pu se racheter une virginité aux yeux de ses compatriotes, qui ne pouvaient plus le voir en peinture à cause de la vie de satrape qu’il menait au temps de Lansana Conté, dont il fut très proche.
Mais aussi pour ses tribulations sous la troisième république. Flirtant tantôt avec le président Alpha Condé, tantôt avec son principal opposant Cellou Dalein Diallo.
Tout ça ne serait plus qu’un lointain souvenir. Le patriarche s’étant en effet ravisé et pris soudain conscience de la déshérence des populations de la Basse Guinée. C’est l’image d’un Elhadj Sekhouna déterminé et mué en bretteur contre les promoteurs du projet de changement constitutionnel qui s’offre désormais à l’opinion.
Un Robin des bois en soit, qui en veut surtout aux cadres, originaires de la Basse côte, qu’il accuse de grenouillage. Référence faite à Kassory Fofana, Malick Sankhon, Taliby Sylla, Kiridy Bangoura, j’en passe et des meilleurs.
Le Kountigui ne rate plus aucune occasion pour tirer sur les promoteurs de la présidence à vie, et ameuter l’opinion sur les dérives que cela pourrait entrainer pour notre jeune état.
Face à cette prise de position osée d’un chef coutumier contre la présidence à vie, dans un pays où le culte de la personnalité fait partie des mœurs politiques, Elhadj Sekhouna Soumah, sauve l’honneur des coordinations régionales.
Ainsi, pour avoir forcé l’estime par son obstination de ne pas céder aux sirènes du palais, au FNDC on ne jure plus que par son nom.
Mamadou Dian Baldé
Journaliste et éditorialiste