Il lui reste un an avant la fin de son troisième mandat controversé. Mais il garde toujours le suspense, comme c’était le cas au Sénégal durant tout le dernier quinquennat de Macky Sall, en Côte d’Ivoire, un débat est déjà soulevé autour d’un quatrième mandat du président Alassane Ouattara, en 2025. Mais, le suspense est, jusqu’ici, maintenu par l’homme fort d’Abidjan.
« À l’occasion de l’inauguration du pont Henri-Konan-Bédié, mon aîné avait dit : “Cet ouvrage, ce pont, vaut un autre mandat.” […] Donc moi je dirais : “Ce pont vaut plusieurs autres mandats.” », affirme avec enthousiasme Alassane Ouattara, sous les applaudissements. Ces deux phrases, qui peuvent paraître anodines, sont rapidement reprises dans tous les médias, rapporte Jeune Afrique, dans un article intitulé « En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara candidat en 2025 ? »
À deux ans de la prochaine présidentielle, chaque prise de parole du président est aussitôt disséquée, commentée, analysée. Ce 12 août, a-t-il voulu faire passer un message politique ou était-ce un simple trait d’humour ? S’est-il déclaré candidat ou fallait-il, au contraire, comprendre l’inverse ? En Côte d’Ivoire, le grand jeu des pronostics politiques, sport national, est ouvert, selon le journal panafricain.
Sur la candidature d’Alassane Ouattara, 81 ans, à un quatrième mandat, la réponse des poids lourds du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) est invariablement la même : la Constitution lui permet de briguer un nouveau mandat, il est le candidat naturel de son camp et il sera, in fine, le seul décisionnaire. « Si, pour une raison ou une autre, le président décide de ne pas y aller, nous avons des textes. Les statuts et les règlements intérieurs du parti prévoient des dispositions qui s’appliquent en la matière : une désignation ou des primaires. Pour nous, le problème de la candidature ne se pose pas actuellement », explique ainsi le secrétaire exécutif du RHDP, Ibrahim Cissé Bacongo, dans un entretien accordé à Jeune Afrique mi-novembre.
De son côté, le président du directoire du parti présidentiel, le ministre d’État Gilbert Koné Kafana, propulsé haut représentant du président de la République avec rang de chef d’institution début octobre, livre une réponse similaire : « Nous sommes à mi-mandat, il est trop tôt pour que nous nous en préoccupions. » « Notre candidat naturel reste Alassane Ouattara », ajoute-t-il toutefois.
« Dans la culture africaine, il est très mal vu de donner l’impression de vouloir le fauteuil de celui qu’on a servi. Le président préférera toujours être celui qui désigne, face à ceux qui s’agitent. Les membres de la jeune génération sont ainsi entrés dans une sorte de jeu de séduction vis-à-vis d’Alassane Ouattara pour être celui qui sera potentiellement choisi », explique Francis Akindès, professeur de sociologie politique à l’université Alassane-Ouattara de Bouaké.
« Au sein de cette nouvelle génération, plusieurs noms se démarquent », estime le spécialiste. Adama Bictogo, haut cadre du parti un temps mis sur la touche pour avoir trop tôt affiché ses ambitions, de retour en grâce depuis sa victoire à Yopougon lors des dernières locales – largement remportées par le RHDP au plan national -, ou encore Cissé Bacongo, « très actif dans vie du parti et qui a fait ses preuves dans sa commune de Koumassi ». « Ce sont ceux qui sont en première ligne, mais cela n’exclut pas que des personnes qui se trouvent en seconde ligne fassent un jour état de leurs ambitions », poursuit Francis Akindès.
« Il aime garder le secret… »
Un autre homme, longtemps en première ligne, a brusquement disparu de la photo : l’ex-Premier ministre Patrick Achi, débarqué deux mois après l’inauguration du pont Alassane-Ouattara, durant laquelle il avait été félicité par le chef de l’État. A-t-il fait les frais d’ambitions politiques trop grandes ? Ou a-t-il payé les couacs et les retards accumulés dans les chantiers de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qu’organise la Côte d’Ivoire du 13 janvier au 11 février 2024 ?
« Alassane Ouattara est très sensible à l’opinion publique, il ne pouvait pas ne rien faire », confie un ténor de la majorité en référence aux polémiques successives autour du stade d’Ebimpé, à Abidjan, qui accueillera certains des matchs les plus importants de la compétition et dont l’inondation de la pelouse, le 12 septembre, lors d’un match amical, avait suscité de nombreuses critiques et railleries sur les réseaux sociaux.
JA rapporte également que le débarquement d’Achi, en poste depuis 2021, a étonné en Côte d’Ivoire, mais pas autant que la nomination de son successeur, Robert Beugré Mambé. « Quel message a bien voulu nous envoyer le patron ? », se demande toujours un cadre régional du RHDP. L’arrivée de l’ancien gouverneur du district d’Abidjan à la tête du gouvernement continue de nourrir les conversations du cénacle politique ivoirien. Une promotion que personne n’avait vu venir. « C’est l’une des rares fois où le président n’a pas été lisible sur ce qu’il voulait faire », confie un ministre à « Jeune Afrique ». Certes, Beugré Mambé a supervisé les Jeux de la Francophonie avec succès en 2017, mais de là à le propulser à la Primature, beaucoup ont eu du mal à comprendre. « Comme tous les Ivoiriens, j’ai été très surpris, mais agréablement », se souvient Kafana. « Le président a abattu sa carte au dernier moment. Il aime garder le secret, il voulait surprendre », abonde un proche du chef de l’État.
Alassane Ouattara a « dribblé » tout le monde, entend-on souvent au bord de la lagune Ébrié à propos de cette nomination surprise. Beugré Mambé, discret vice-président du RHDP, s’est aussi vu confier par le président le portefeuille des Sports – à la place du ministre des Sports, Claude Paulin Danho, évincé du gouvernement lors du remaniement. Le chef de l’État ne cesse de faire savoir qu’il ne tolérera aucun raté lors de la CAN. C’est l’image de la Côte d’Ivoire qui est en jeu, mais aussi – surtout – la sienne.
Avec Seneweb