La Guinée est devenue le troisième exportateur mondial de bauxite et possède près de la moitié des réserves mondiales. Mais cette manne financière profite peu à la population.
Malick Bah contemple en silence les excavatrices et les bulldozers racler le sol de ce qui fût une luxuriante forêt. La poussière ocre trouble l’horizon, soulevée par une colonne interminable de camions chargés de terre rouge.
C’est de la bauxite. Il y en a partout ici, on marche dessus en permanence, assène-t-il, un peu amer. Il y a encore deux ans, sa famille et lui vivaient ici, sur un immense gisement de minerai. Sur des terres ancestrales, sans véritable titre de propriété, que la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) n’a eu aucun mal à racheter. Dans la petite parcelle encore préservée, à quelques centaines de mètres de la carrière, Malick cueille des oranges. Vous voyez, ces orangers ? On en prend soin avec ma famille depuis des années. Ils seront bientôt rasés. »
L’enjeu de la transformation
Depuis cinq ans, le président Alpha Condé, l’ex-opposant historique à l’assaut d’un troisième mandat ce dimanche, a fait de la bauxite une priorité. Les exportations se sont envolées : 20 millions de tonnes en 2017, 70 millions aujourd’hui. Le secteur minier représente 13 % du produit intérieur brut (PIB) du pays. Mais compte seulement pour 3 % de l’emploi total. En d’autres termes, la bauxite ça rapporte… mais pas aux Guinéens.
Cela ne sert à rien de se taper sur la poitrine en brandissant des chiffres faramineux d’exportation, s’énerve le docteur Al-Hassane Makanera. Cet économiste s’insurge que la Guinée n’ait pas investi dans ses propres usines de transformation. La bauxite que l’on exporte, elle ne vaut rien. Elle est vendue 50 dollars la tonne. Si on avait la capacité ou la volonté politique de transformer cette matière brute en aluminium, on la vendrait à 2 000 dollars.
Quelques raffineries existent sur le territoire, mais l’essentiel de la production est exporté sans être transformée. Le code minier prévoit quant à lui que 0,5 % du chiffre d’affaires de la société exploitante alimente un fonds de développement local. Mais la gestion de cet argent reste opaque et difficile à mesurer sur le terrain.
Plan de compensation
À Sangaredi, le village d’origine de Malick Bah, la Compagnie des bauxites de Guinée a pris en charge le déplacement de tous les habitants et a reconstruit un village flambant neuf à quelques kilomètres de là.
Le site choisi pour la relocalisation est une ancienne carrière de bauxite. Le terrain a été remblayé et la compagnie s’était engagée à reboiser et à acheminer de la terre arable pour favoriser les cultures. Le responsable de la communication de la Compagnie des bauxites de Guinée affirme même que 2 963 arbres ont été plantés. Malick et sa famille ont rapporté des dizaines de boutures de leur ancien village. Mais que ce soit la papaye, la goyave ou les piments, rien ne pousse sur les cailloux. Pas même les orangers dont ils étaient si fiers.
Avec ouest-france