TRIBUNE. À l’ombre de la crise sanitaire du Covid-19 couve la menace réelle de voir la démocratie du pays s’enliser dans les sables du 3e mandat du président Condé.
Comme ailleurs, la pandémie de Covid-19 fait peser la menace bien visible d’une nouvelle crise sanitaire sur la Guinée, un pays au système de santé fragile, qui a déjà été durement frappé par une épidémie due au virus Ebola en 2014. Cependant, à l’ombre de cette crise, un autre drame se joue : celui du déni démocratique par un pouvoir prêt à tout pour ouvrir la possibilité d’un 3e mandat au président Alpha Condé. La communauté internationale doit se remobiliser et se montrer proactive pour assurer le respect des droits fondamentaux et des principes démocratiques.
Un scrutin au forceps
Le 12 mars dernier, alors qu’un projet de changement de Constitution fait l’objet depuis un an d’une contestation massive menée par le Front national de défense de la constitution (FNDC), un premier cas de Covid-19 est recensé en République de Guinée. Malgré la menace sanitaire, le pouvoir organise au forceps un double scrutin législatif et référendaire le 22 mars, pour permettre la promulgation d’une nouvelle Constitution. Des centaines de milliers de manifestants dénoncent alors ce qu’ils qualifient de « coup d’État constitutionnel » et la communauté internationale (hormis la Chine et la Russie) remet en question la crédibilité des élections et du référendum. Quelques jours plus tard, l’état d’urgence sanitaire est décrété et différentes mesures sont mises en œuvre pour tenter de circonscrire l’épidémie à la capitale.
Répression sanglante par les forces de défense et de sécurité
Face à une contestation citoyenne inédite depuis l’arrivée au pouvoir d’Alpha Condé en 2010, les forces de défense et de sécurité ont recours à une répression sanglante. Les chiffres sont accablants : plus de 80 décès par balle en marge des manifestations, plus de 100 blessés graves et autant d’arrestations arbitraires, 40 disparitions forcées, intimidations, harcèlement et emprisonnement récurrents des leaders de la contestation… Aujourd’hui encore, un des leaders du FNDC, Oumar Sylla, est arbitrairement détenu après avoir dénoncé la répression à la radio. Le lendemain du référendum, des violences ont notamment éclaté à Nzérékoré où des témoignages rapportent que des personnes auraient été enterrées à la va-vite dans une fosse commune. Les dérives sont patentes et appellent à des enquêtes indépendantes. Dans ce contexte, toutes coopérations avec les forces de sécurité méritent d’être réinterrogées.
Missions d’anciens chefs d’État, communiqués conjoints des chancelleries occidentales, résolution du Parlement européen, retrait de l’OIF et de la Cedeao du processus électoral… autant d’initiatives qui se sont heurtées au jusqu’au-boutisme d’Alpha Condé. La communauté internationale, dont la diplomatie préventive a échoué à prévenir ces atteintes, est aujourd’hui absorbée par la gestion de la crise du Covid-19 et donc désormais absente.
Sous pression dans leur lutte contre le référendum ouvrant la voie à un troisième mandat présidentiel d’Alpha Condé, les Guinéens doivent maintenant gérer l’épidémie du Covid-19.
Le Covid-19 a alourdi l’épreuve des Guinéens…
Alors que le pouvoir redouble d’efforts pour museler la contestation, les mesures de lutte contre le Covid-19 sont difficiles à supporter pour la majorité de la population qui gagne sa vie au jour le jour. Les impacts sociaux et économiques s’annoncent violents. La Guinée manque déjà de ressources nécessaires pour faire face et une nouvelle crise de la dette guette le pays. L’annonce par le G20, le 15 avril, d’un possible report de la dette des pays pauvres, pourrait lui donner un peu d’air, mais ne réglera pas les difficultés auxquelles elle sera confrontée dans les années à venir, lorsqu’elle sera appelée à rembourser.
… qui n’ont pas baissé les bras
Cette situation alarmante n’est pas désespérée. Depuis le début de la contestation, des centaines de milliers de personnes ont manifesté régulièrement, de manière pacifique, malgré la violence de la répression. Les journalistes et acteurs de la société civile font preuve d’une résilience et d’une abnégation remarquables tant pour lutter contre l’impunité que pour dénoncer les détournements de fonds publics par des responsables politiques. Les forces sociales et politiques de Guinée sont là, prêtes à s’investir dans le renforcement de la démocratie. De nombreuses initiatives en témoignent : dialogues et contrôles citoyens, concertations locales, médiations entre communautés, syndicalisme puissant. Reste à leur ouvrir l’espace civique et leur garantir le respect des libertés publiques.
Toutes ces forces démocratiques ont un rôle primordial à jouer pour permettre à la Guinée de relever les défis sanitaires, politiques, économiques et sociaux. Il est essentiel de rebâtir le contrat social entre gouvernants et citoyens, de créer les conditions de la confiance.
Ne pas tourner le dos à la Guinée
La communauté internationale, mobilisée contre le Covid-19, ne doit pas délaisser les enjeux de démocratie et de gouvernance, indispensables pour éviter le drame sanitaire, économique et social qui s’annonce. Elle doit prendre position, soutenir les revendications légitimes de la population et défendre les droits de l’homme. Aujourd’hui, en Guinée, c’est tout autant la santé des citoyens que leurs droits fondamentaux qui sont en danger. Il y a urgence à sauver les valeurs démocratiques pour lesquelles le peuple se bat.
Par Jean-Baptiste Callebout, conseiller confédéral Afrique, CGT, Manuèle Derolez, délégué général, CCFD-Terre solidaire, Vincent Destival, délégué général, Secours catholique Caritas France, Fanny Gallois, coordinatrice, Plateforme Dette et Développement, Marc Ona Essangui, président, Tournons la page, Malik Salemkour, président, Ligue des droits de l’homme.