Tribune. Deux attitudes ont depuis longtemps condamné les gouvernements guinéens à une inefficacité létale : la négation du réel et le mimétisme.
La première attitude consiste, sous couvert de concepts économiques savants ( restructuration macroéconomique), à voiler l’incapacité de l’État en matière de justice sociale et économique.
Quant à la seconde, elle renvoie à cette légendaire paresse d’esprit qui porte les responsables politiques à parler un langage inadapté à la réalité du pays et à faire comme ce qui se passe dans les « pays des blancs ».
C’est le cas, par exemple, lorsque le ministre du budget Ismael Dioubaté, réagissant à l’approbation d’un décaissement de 23.5 milliards US par le FMI, évoque la mise en place des mesures d’accompagnement économique pour éviter que les « petites et les moyennes entreprises ne ressentent pas trop le poids de la crise ».
Autrement dit, ce secours financier du FMI, qui en dit long sur la précarité du budget de l’État, servirait à « soutenir le secteur privé ». Mais en cette période de crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID-19, le travestissement du réel et l’esprit mimétique représentent de mauvais compagnons.
Il est temps d’ouvrir grandement les yeux et voir ce qu’il faut voir, comme l’a humblement fait le président du Bénin en déclarant l’incapacité de son pays à imposer des mesures de confinement. Cette lucidité pour les autorités guinéennes devrait se traduire par un renoncement à faire usage des concepts trompeurs et dans un dispositif de riposte à laCOVID-19 qui serait décentralisé et inclusif de tous les acteurs de la société, surtout les opérateurs économiques. Car, lorsqu’on nous parle, en Guinée, « du secteur privé », de « restructuration macro-économique », « de dynamisme économique », de quoi parle-t-on en réalité ? Tout est privé en Guinée, même la fonction dite publique.
La personnalisation des fonctions et des responsabilités témoigne de la souveraineté indélogeable du domaine privé. D’un strict point de vue sociologique et à partir d’une analyse des pratiques du pouvoir, on peut dire que même l’existence des compagnies privées ne suffit pas pour souscrire à l’autonomie du « secteur privé » en Guinée. Donc, l’idée de « mesure d’accompagnement du secteur privé » n’a, confrontée au réel, aucun sens. Le gouvernement gagnerait plus de crédibilité et assumerait une responsabilité conséquente en mettant l’accent sur des mesures d’accompagnement de la population, dont le calvaire économique, sous l’effet du confinement envisagé, ne fait que commencer.
Quant au « dynamisme de l’économie guinéenne », on peut la mesurer, à certains égards, à l’Indice de développement humaine. Or, dans son rapport 2019, le PNUD, classe la Guinée 174e, donc parmi les bons derniers, dans la catégorie des pays à développement humain faible. De même, on sait que la jeunesse guinéenne est tyrannisée par un désir insatiable de désertion, en témoigne le nombre des demandeurs d’asile en Europe surtout. C’est très contradictoire qu’une économie dynamique conduise la jeunesse d’un pays à chercher ailleurs un sens à la vie.
Un rapport à la réalité s’impose dans le contexte actuel de la COVID-19, celui, minimalement, de prendre conscience que les autorités guinéennes ont échoué à faire de la Guinée un pays aimable et habitable, c’est-à-dire hospitalier à la dignité humaine, pour reprendre la philosophe Hannah Arendt. Ainsi, que le ministre du budget arrête ses stratégies d’enfumage et voit ce que représente l’aide du FMI : un soutien dans le cadre de la lutte contre la COVID-19. Ce n’est en rien une preuve du supposé dynamise de l’économie guinéenne. Mais avec ces 23.5 millions US, la question qui se pose désormais est la suivante : mettre cette aide au service de la population ou faire de la lutte contre la COVID-19 en Guinée un business politique rentable…?
Amadou Sadjo BARRY
P.h.D philosophie politique
Professeur de philosophie
Cégep de St-hyacinhte
Québec, Canada