Pour la première fois depuis l’annonce d’un référendum constitutionnel en Guinée, le président Alpha Condé s’exprime sur RFI et France 24. Le chef de l’État réplique à ses adversaires qui l’accusent de vouloir remettre les compteurs à zéro pour pouvoir se représenter à la présidentielle d’octobre prochain. Toutefois il n’exclut pas d’être candidat : « C’est mon parti qui décidera… »
RFI : Monsieur le Président, nous allons venir à l’annonce que vous avez faite récemment, celle d’un référendum pour une nouvelle Constitution. Cela doit se tenir le 1er mars, le même jour que les élections législatives. L’opposition affirme que c’est un stratagème visant à vous permettre de vous représenter pour un troisième mandat. Que leur répondez-vous ?
Alpha Condé : Vous savez, la Constitution actuelle, nous sommes obligés de la violer par les accords politiques. Et aujourd’hui, la Constitution guinéenne doit répondre aux besoins du monde actuel. Par exemple, la parité entre hommes et femmes, la lutte contre les mutilations génitales, le mariage des filles avant 18 ans, et surtout, le partage correct des ressources. Par exemple, aujourd’hui, nous consacrons 15 % des ressources minières aux sous-préfectures. Nous voulons qu’un fonds constitutionnel existe qui serait un fonds pour la jeunesse et un fonds pour les personnes vulnérables.
Maintenant, pour les élections, chaque parti est libre de présenter le candidat qu’il veut. Donc la Constitution c’est une chose et l’élection présidentielle c’est autre chose. Donc, si nous voulons une Constitution moderne, qu’est-ce qui est plus démocratique qu’un référendum ? Si le peuple est contre, il vote non. S’il est pour, il vote oui. Donc je ne vois vraiment pas où le problème, où il y a stratagème ? La Constitution n’a rien à voir avec l’élection présidentielle. Il s’agit de la Constitution de la Guinée, une Constitution qui réponde aux besoins actuels.
Simplement, l’opposition s’étonne – puisque cela fait déjà plus de neuf ans que vous êtes au pouvoir –, que vous ayez attendu la fin de votre deuxième mandat pour proposer un changement de Constitution. Et du coup, elle se dit aussi que vous auriez pu simplement modifier la Constitution actuelle. Elle se dit que le président Alpha change la Constitution pour remettre les compteurs à zéro et pour pouvoir se représenter.
N’oubliez pas, quand je suis arrivé au pouvoir, on a eu presque deux ans et demi l’Ebola qui a mis notre pays à terre. J’avais le pouvoir de faire une Constitution. Mais est-ce que la priorité des Guinéens c’était une Constitution ou d’abord de redresser le pays ? Quand je suis arrivé, il n’y avait pas d’hôtels, il n’y avait pas de courant, il n’y avait pas de routes, etc. Le niveau de vie était très bas. La priorité des Guinéens c’était quoi ? C’était d’avoir un État.
Mais ensuite, il faut donner à la nouvelle génération une véritable Constitution. Cette constitution est bâclée. Ce sont des groupes qui ont fait de la Constitution une Constitution à leur mesure et je l’ai critiquée bien avant l’élection. Donc, que je le fasse avant ou maintenant, cela ne change rien. D’autant que la Constitution autorise le président après consultation du président de l’Assemblée à proposer au peuple une nouvelle constitution. Si je l’avais fait en 2015 ou 2016, ça ne changerait puisque c’est le parti qui décide ou pas de me présenter.
Beaucoup avait demandé puisqu’il y avait déjà une nouvelle constitution : pourquoi faire une nouvelle constitution ? Attendez que le pouvoir qui vient là fasse une nouvelle constitution. Les opposants qui ont posé cette question, qui sont d’anciens premiers ministres, veulent me considérer comme une parenthèse pour revenir à l’ancienne gestion. Vous n’avez qu’à regarder comment était la Guinée avant que je sois venu et la Guinée aujourd’hui. Donc le peuple est là pour juger.
Monsieur le président, est-ce que vous allez vous représenter ?
C’est le parti qui décidera. Ce n’est pas un homme qui se présente, c’est le parti qui se présente. Le parti peut me représenter comme président ou quelqu’un d’autre… Pour le moment, ce n’est pas mon souci. Mon souci : j’ai un programme pour la Guinée, c’est sur ce programme que je me penche. Mais je veux doter le pays d’une Constitution qui réponde aux besoins du monde d’aujourd’hui.
Voulez-vous dire que le RPG pourrait présenter un autre candidat ? Visiblement, vous n’avez pas de dauphin…
Le RPG est libre. Aujourd’hui, le RPG peut présenter plein de candidats. Les partis sont libres. C’est comme au Togo. Le parti pouvait présenter Faure [Gnassingbé ndlr] ou un autre. On n’est pas encore aux élections présidentielles.
Oui, mais cela arrive dans quelques mois et visiblement il n’y a pas de dauphin…
Mais ce sont les partis… Pour le moment, c’est de doter la Guinée d’une Constitution qui réponde aux besoins du monde actuel. Les élections présidentielles, c’est les partis qui décident. La question que je me pose, c’est que vous avez des présidents qui ont fait quatre, cinq, six mandats et vous trouvez cela normal. Quand c’est le président de la Guinée, cela devient un scandale.
Mais cela devient aussi une préoccupation de la communauté internationale. Vous avez entendu le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, disant que cette réforme…
Jean-Yves Le Drian ne connaît pas… Il n’a pas été en Guinée, il ne connaît pas le point de vue de la population. Et comment peut-il savoir pourquoi il n’y a pas eu de vote ? Ce que les Américains ont dit…
Ils sont préoccupés…
Non, d’abord, le sous-secrétaire d’État a dit que le peuple guinéen doit faire une Constitution et qu’ils ont eu un président qui a fait quatre mandats. Il a dit seulement qu’il veut que les élections se passent sans qu’il y ait des violences. C’est tout, on l’a tous lu. Les gens qui disent cela, soutiennent des présidents qui ont fait trois, quatre, cinq mandats. Alors, pourquoi la démocratie à géométrie variable ? Les Guinéens doivent se poser la question. Pourquoi ? Nous connaissons la réponse.
La France est injuste avec vous ?
Moi, je ne juge pas la France, ni rien. Je n’ai pas été élu par la France ni par quelqu’un d’autre. J’ai été élu par les Guinéens. La Guinée a une tradition d’indépendance depuis 1958. La Guinée a l’habitude de prendre ses décisions. J’ai de bons rapports avec le gouvernement français et la Guinée aussi à de bons rapports. Je m’occupe de ce que le peuple guinéen pense et de ce qu’il décide. Si le peuple de Guinée dit « Non » au référendum, je m’incline. S’il dit oui, je l’applique. Je n’ai pas à juger le comportement de notre pays. Moi je ne juge pas ce qu’il se passe en France, je juge ce qu’il se passe en Guinée.
Vous avez parlé d’Ebola, vous avez parlé de tous les retards pris… Voulez-vous dire que vous n’avez pas pu faire en dix ans tout ce que vous vouliez faire ?
J’ai dit tout simplement que, pour le moment, la Guinée a besoin d’une nouvelle Constitution, parce que la Constitution actuelle n’est pas bonne, tout le monde le sait. On a été obligé de faire des accords politiques violant la Constitution. Pour le reste, là, c’est le peuple qui juge.
Mais je ne comprends pas, il y a beaucoup de pays qui ont changé de Constitution et cela s’est passé comme une lettre à la poste. Quand il s’agit de la Guinée, comme Alpha Condé est un homme indépendant et qui a son franc-parler, peut-être que cela gêne beaucoup de gens ! Je ne vois pas pourquoi on va avoir une démocratie à géométrie variable, que certains puissent changer de Constitution, se présenter autant de fois qu’ils le veulent, que l’on trouve cela normal, et que pour d’autres, on ne trouve pas cela normal.
Je pense que si l’on défend un principe, on doit le défendre de manière générale. Et pas seulement en fonction de certains intérêts. Et les Guinéens ne sont pas aveugles, ils suivent ce qu’il se passe dans le monde, ils savent.
Entretien réalisé par RFI et France24 depuis Addis-Abeba en Ethiopie