Est-ce l’effet Coronavirus ? En moi comme autour de moi, je sens les chimères flamber, notre bon vieil idéalisme d’antan, sentir le roussi.
Ce n’est plus le bûcher des vanités, cher monsieur Tom Wolf [1], c’est le bûcher des illusions. Impossible d’imaginer l’avenir avec le même entrain qu’avant le confinement général. Il commence à faire gris. On sent le mouron monter en nous. Un gros bouchon de liège vient d’obstruer le goulot de nos fantasmes et de nos rêves.
La vie continuera sûrement mais déjà, la ligne de démarcation saute aux yeux : il y aura un avant et un après.
Le confinement tire à sa fin. Bientôt, notre grande ruche humaine va se remettre à bourdonner : encore plus de bruits, encore plus de fumées, encore plus de convoitises, de faillites et de guerres. Mais le cœur n’y sera plus. Il y a quelque chose de fêlé dans le corps de nos idées. Cette sacro-sainte notion de progrès prend un arrière-goût de rouille.
Progrès pour quoi ? Progrès pour qui ?
On ne pourra plus contourner ces deux questions qui nous semblaient jusqu’ici dérisoires et vaines. Le progrès, ce Caterpillar des idées, « la machine de la machine » au bord de laquelle nous avons traversé les siècles les yeux fermées, mérite d’urgence une sérieuse révision technique. Et il ne suffira pas de faire la vidange et de revisser les boulons. Il faudra tout revoir : la culasse, le carburant, la vitesse et l’itinéraire.
Certes, nous avons beaucoup évolué depuis que nous avons perdu nos poils et cessé de nous tenir à quatre pattes à la manière de nos ancêtres, les singes. Nous avons marché sur la lune, vaincu l’Annapurna, inventé l’eau chaude et le fil à couper le beurre. Cela ne nous donne pas le droit de tirer sur tout ce qui bouge. Partout où nous avançons, la vie recule. Qu’on se tue ente nous, pourquoi pas ? Noirs et Blancs, Jaunes et Rouges, Chrétiens et Musulmans, rien ne nous oblige à nous aimer. Mais bon dieu, pour quoi s’en prendre à l’air et à l’eau, aux animaux et aux plantes ? Au bout du compte, cela aboutit à quoi, tout ce remue-ménage : au développement ou à la démolition ?
Démolir toute une planète pour les yachts de quelques-uns, est-ce du génie ou de l’aberration ? Je conviens que le genre humain a généralement profité de l’essor de la science et de la technique : dans la médecine, les transports, les télécommunications notamment bien que dans ces domaines-là aussi, les disparités l’emportent sur le reste. Sinon, le grand chambardement que l’on nous chante n’a produit que catastrophes naturelles et inégalités sociales Savez-vous que les 10 hommes les plus riches du monde ont plus d’argent que les 85 pays les plus pauvres ?
« Il ne peut y avoir de progrès véritable qu’intérieur. Le progrès matériel est un néant» disait, Julien Green. On pourrait dans la même veine, citer Rabelais, Gandhi, Stefan Wul, Philippe Meyer, Georges Bernard Shaw et quelques autres. En espérant toutefois que le vacarme du progrès ne nous a pas tous, rendus aveugles et sourds.
Tierno Monénembo, in Le Point
[1] Le bûcher des vanités : roman de l’américain Tom Wolf