CHRONIQUE. En renonçant à se présenter en 2020, le président ivoirien ouvre une séquence qui pourrait être profitable à la réconciliation de tous les Ivoiriens. Par Tierno Monénembo
Le président Ouattara a frappé un grand coup politique en renonçant à se présenter en 2020. La pression est forte pour les politiques de sa génération.
Qu’un président arrivé au terme de son mandat quitte le pouvoir, quoi de plus normal dans un pays normal ? Pourtant, en Afrique, continent où rien n’est jamais normal, sur le plan politique tout au moins, le fait pour un président élu deux fois de renoncer à un troisième mandat revêt tout de suite une dimension exceptionnelle. Rien que pour ça, l’auteur d’un tel geste acquiert le prestige d’un triomphateur romain. Avec l’annonce que le président Alassane Ouattara a faite ce 5 mars lors d’un congrès réuni à Yamoussoukro, on est exactement dans ce cas de figure. Banal, très banal, presque ridicule, me direz-vous. Pas si sûr ! Quand, comme moi, vous êtes né dans un pays où les deux premiers présidents ont régné (c’est le cas de le dire) à eux seuls plus d’un demi-siècle et où l’actuel chef de l’État, qui a plus de 82 ans, souhaite à l’évidence leur emboîter le pas, la moindre chance, la moindre possibilité d’alternance, doit être vécue comme une merveille. L’annonce faite par le président Ouattara aux Ivoiriens m’honore et me réjouit. Et je ne laisserai personne venir me gâcher mon plaisir. C’est sans retenue que je dis haut et fort : « Bravo, Président Ouattara ! »
Dans le sillage de Grands Africains…
Je ne cache pas que je vous acclame avec le secret espoir que d’autres (pourquoi, pas Alpha Condé ?) sortent de leur arrogance et de leur stérile entêtement pour atteindre la grandeur que vous avez acquise ce 5 mars. L’arrogance, cet apanage des petites gens, mène droit au mur. « La modestie va bien aux grands hommes, disait d’ailleurs Jules Renard. C’est de n’être rien et d’être quand même modeste qui est difficile. »
Vous partez par la grande porte. Vous venez d’entrer dans le top 6 des Africains que j’admire le plus : Nelson Mandela, Diallo Telli, Amilcar Cabral, Kofi Annan et Alpha Oumar Konaré. Sérieux, profondeur d’esprit, rigueur, amour de l’Afrique et, justement, un sens très… élevé de la modestie, ces messieurs ont bien servi l’Afrique et présenté au monde une image presque parfaite de l’Africain.
On ne peut pas dire que c’est le cas de tout le monde !
… ne pas oublier le chantier de la réconciliation nationale
Votre sortie est d’autant plus réussie que, si l’on en croit les spécialistes, votre bilan économique est flatteur. L’euphorie que votre geste auguste me procure ne m’empêchera pas cependant de signaler un bémol : la question délicate et toujours en suspens de la réconciliation nationale. Je suis de ceux qui pensent que Gbagbo n’avait rien à faire à la CPI. Il est la clé du verrou. Impossible d’imaginer une réconciliation sans lui !
Vous avez les moyens d’éviter à votre pays un remake du film d’horreur que les Ivoiriens ont vécu en 2010-2011. Votre prestige s’est accru. Vous êtes devenu une nouvelle personnalité avec, je suppose, un nouvel état d’esprit. Vos pires ennemis vont devoir vous regarder autrement. Profitez de ce moment privilégié pour parler aux Ivoiriens, à tous les Ivoiriens ! Profitez des mois qui vous restent pour jeter les bases d’une véritable réconciliation nationale. Je vous assure que votre bilan économique serait le premier à pâtir d’une réconciliation nationale bâclée.
Vous savez mieux que moi que la Côte d’Ivoire représente la pierre angulaire de la stabilité régionale surtout depuis que la crise libyenne a ouvert la boîte de Pandore. Appelez Bédié, Gbagbo, Soro et tous les autres ! Ensemble, sortez votre pays de l’atmosphère toxique qu’il a connue naguère. Désamorcez la bombe à retardement qui la menace.
Préservez ce beau et grand pays dont nous avons tous besoin !