Au Soudan, un nouvel exécutif est désormais au pouvoir, après la prestation de serment mercredi du président du Conseil souverain, le général Al-Burhan. Ce tournant historique est l’occasion de faire un premier bilan de huit mois de turbulences politiques. Et de dresser la liste impressionnante des défis à relever.
Avec le début, le 19 décembre 2018, d’une vague de manifestations protestant contre la hausse du prix du pain, le Soudan est entré dans un long épisode de soulèvement populaire qui a conduit, quatre mois plus tard, à la chute d’Omar el-Béchir le 11 avril dernier, puis un violent et périlleux bras de fer entre civils et militaires, conclut mercredi par l’installation d’un nouvel exécutif après 29 ans de régime autoritaire.
Une société civile qui s’est structurée
Au-delà du rappel des faits, quel bilan peut-on tirer de ces huit mois de crise ? D’abord, comme le souligne le directeur de projet Corne de l’Afrique de l’organisation International Crisis Group, Murithi Mutiga, que le peuple soudanais a conduit, une fois de plus après 1964 et 1985, une révolution réussie. « Avec l’intensité de la crise économique et le niveau de répression déchaîné pendant des années par Omar el-Béchir, explique-t-il, ainsi que la banqueroute de son propre mouvement politique, il n’est pas surprenant que les gens aient pris la rue, par centaines de milliers, malgré les tirs à balles réelles et la torture dans les commissariats, pour finir par réussir à faire tomber cet autocrate. »
Cette révolution a, par ailleurs, connu un niveau inédit d’organisation, à travers ce qu’on appelle la « société civile ». Car c’est elle, via la désormais célèbre Association des professionnels soudanais, qui a été le fer de lance du combat. Dans un pays où la classe politique, opposition comprise, inspire surtout le soupçon, c’est elle qui a structuré le mouvement populaire.
Les rouages du soulèvement soudanais ont, en effet, été des comités de quartier, parfois même des comités représentant simplement une rue. Mais aussi des corporations : on sait quel rôle ont joué par exemple les médecins, les ouvriers de l’électricité, les travailleurs du pétrole, du train, les fonctionnaires. Bref, si les partis d’opposition ont joué leur rôle, et particulièrement les puissants réseaux du Parti communiste soudanais et l’entregent du parti Oumma, il est intéressant de se pencher sur ce nouveau mode d’action, pacifique, qui a été mis en œuvre. Et qui inclut une arme redoutable, que les révolutionnaires ont utilisée avec prudence et méthode : la masse des « gens », le peuple soudanais, impressionnant, discipliné, qui a marqué les esprits et, sans doute, évité qu’un mécontentement populaire ne soit réduit, une fois de plus, à une suite de manifestations sans lendemain.
Le bras de fer politique va poursuivre
Mais pour autant, les militaires, qui étaient les piliers de l’ancien pouvoir, sont toujours là et toujours aussi puissants. C’est pourquoi l’on peut dire que la nomination d’un nouvel exécutif marque certes la fin d’une crise, mais aussi et surtout le début d’un immense chantier. Ou plutôt de plusieurs chantiers très compliqués qui attendent la transition.
Parmi eux, d’abord, la remise sur pied de l’économie, qui est totalement effondrée, et alors même que la Défense mobilise 70% du budget de l’État. Et puis le rétablissement d’une paix durable au Darfour, dans les États du Nil Bleu, du Kordofan du Sud, et donc aussi, logiquement, une réforme du secteur de la sécurité.
Il est évident que ces tâches promettent une lutte politique difficile dans les trois années qui viennent, sachant que, au Soudan, cohabitent l’armée régulière, mais aussi la police, des groupes armés politiques, les puissants services de renseignements qui disposent de leur propre milice, et puis aujourd’hui les redoutables Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdan Dagalo, surnommé « Hemeti », un membre important du Conseil souverain, parrainé par les pétromonarchies du Golfe, qui ont besoin de lui et de ses soldats pour mener la guerre au Yémen.
C’est donc le début d’un long bras de fer, avec des civils en position de force sur le papier, puisqu’ils disposent d’importants pouvoirs de réforme, mais aussi des généraux que rien n’incite à lâcher le pouvoir, ou à se laisser par exemple traîner en justice pour les crimes dont ils sont accusés.
Une économie exsangue à redresser
Les étapes obligatoires du nouvel exécutif sont donc nombreuses. Du point de vue diplomatique, il va falloir convaincre aussi l’Union africaine d’accueillir de nouveau le Soudan et conduire une politique étrangère, ce qui inclut la levée des sanctions économiques qui étranglent le pays, et peut-être l’impunité pour les criminels du Darfour par exemple.
Mais le plus lourd travail concerne la remise en route de l’économie, un chantier colossal, puisque le Soudan doit composer avec une inflation écrasante, une monnaie dépréciée, des pénuries généralisées, un chômage de masse endémique, des caisses vides. Et puis il va s’agir aussi de négocier avec les turbulents mouvements rebelles en exil, qui n’ont pas été explicitement inclus dans l’accord de partage du pouvoir : des pourparlers doivent être conduits dans les six mois qui viennent, selon le texte final signé le week-end dernier.
« Mais ce qui est important à retenir, c’est que les généraux ont signé cet accord sous une forte pression venue de l’extérieur, de l’Union africaine, de l’Union européenne, du Royaume-Uni, et d’autres, explique encore Murithi Mutiga de l’International Crisis Group. Il est important que cette pression soit maintenue. Cet accord de partage de pouvoir ne doit pas être vu comme un fait accompli. Ce n’est que le début. Les généraux n’ont aucune raison d’abandonner le pouvoir. Alors il va falloir maintenir la pression sur eux pour que la transition soit couronnée de succès. »
Au Soudan comme ailleurs, une fois qu’on a réussi la révolution, le plus dur commence.
RFI