Alors que les ralliements s’enchaînent du côté de l’opposition pour empêcher une réélection du président sortant Macky Sall, ce dernier compte sur une large coalition politique, mais surtout son bilan économique.
La nouvelle était attendue. Vendredi 8 février, l’ex-maire de Dakar Khalifa Sall et principal opposant politique de Macky Sall, écarté de l’élection présidentielle au Sénégal pour raisons judiciaires, a annoncé son soutien au candidat d’opposition Idrissa Seck.
Dans une déclaration écrite, Khalifa Sall, qui purge une peine de cinq ans de prison pour escroquerie portant sur des fonds publics, annonce avoir décidé « d’accepter l’offre d’alliance du candidat Idrissa Seck ». Ainsi l’ancien Premier ministre d’Abdoulaye Wade entré en disgrâce, qui fédère autour de lui plusieurs pontes de l’opposition, apparaît de plus en plus comme le principal concurrent du président sortant sénégalais.
« Idrissa Seck a l’expérience. Il a le soutien d’une centaine de partis politiques et de mouvements de la société civile. Le peuple cherche des réponses. Et avec l’invalidation des candidatures de grosses pointures de l’opposition, tout le monde se regroupera autour d’Idrissa Seck pour créer la clé du changement et redresser le Sénégal », affirme à France 24 Malick Gakou, leader du Grand Parti, opposé à Macky Sall et qui n’a pas passé l’étape des parrainages.
Appel au boycott
Arrivé, jeudi à Dakar après deux ans d’absence, Abdoulaye Wade, à défaut d’une candidature de son fils Karim, écarté lui aussi de la présidentielle en raison d’une condamnation pour enrichissement illicite, a appelé au boycoot du scrutin du 24 février, qu’il dit « verrouillé » par le pouvoir. « Je voudrais que les quatre candidats face à Macky Sall sachent qu’il s’est déjà proclamé vainqueur », a-t-il affirmé devant une foule surexcitée. « Macky Sall a déjà son pourcentage, 55 % ou 65 %. Le sachant, ne vous ridiculisez pas en participant à cette élection », leur a-t-il lancé, douchant ainsi les espoirs des candidats qui convoitaient l’électorat de Karim Wade.
Entre ralliement autour d’Idrissa Seck et tentative désespérée de reporter le scrutin, l’opposition tente de se poser en réelle alternative au régime de Macky Sall, qui multiplie les meetings à l’intérieur du pays depuis l’ouverture de la campagne officielle et vante son bilan positif marqué par un vaste programme d’infrastructures.
Ces dernières semaines Macky Sall a d’ailleurs inauguré, à grand renfort médiatique, aéroports, autoroutes et, pour la première fois dans une capitale d’Afrique subsaharienne, une ligne de train qui devrait relier Dakar à la toute nouvelle ville sortie de terre Diamniadio, étalée sur près de 2 500 hectares. Projet phare du Plan Sénégal émergent (PSE) initié par le gouvernement, qui devrait refléter le développement économique du pays, Diamniadio est un condensé d’infrastructures modernes dont le coût est évalué à près de 2 milliards de dollars.
Ce chantier pharaonique a pour but de désengorger le centre-ville dakarois et comprend des blocs ministériels, des pôles d’affaires, parcs technologiques, des milliers de logements sociaux auxquels doivent aussi s’ajouter une dizaine de complexes hôteliers.
Lancé en 2014 et déjà à 80 % de taux de réalisation selon le gouvernement, cette nouvelle ville doit être entièrement opérationnelle en 2020. « Le retard de nos économies était en partie liée aux faibles investissements dans les infrastructures depuis les indépendances », défend Abdou Aziz Mbaye, conseiller spécial du chef de l’État sénégalais, contacté par France 24. Et d’ajouter : « En créant par exemple, la nouvelle ville de Diamniadio, qui sera le cœur de l’activité économique d’ici quelques années, on utilise mieux le territoire et on ouvre la géographie vers l’intérieur du pays. Savez-vous que jusqu’en 2015, 25 % de la population du Sénégal vivait sur 0,3 % (Dakar et sa banlieue) du territoire sénégalais ? »
Une croissance non inclusive
C’est d’ailleurs à Diamniadio, dans le tout nouveau stade omnispots Dakar Arena, que le président Macky Sall a été investi début décembre 2018 candidat par la coalition au pouvoir Benno Bokk Yaakaar (BBY), confortée aussi par une croissance économique de 6,8 % en 2018, selon la Banque mondiale.
« Macky Sall a un bilan positif. Quand il était venu en 2012, le taux de croissance était de moins de 2 %. Il l’a relevé à près de 7 %. Il a mieux fait que tous ses prédecesseurs », explique Mohammad Fall, acteur politique soutenant le chef de l’État sénégalais. « C’est à son actif qu’on peut mettre la réalisation du pont Sénégambie, attendu depuis près de 20 ans et qui n’avait pas encore vu le jour. »
Financé essentiellement par la Banque africaine de développement à hauteur de 77 millions d’euros, le pont Farafenni, long de 942 m, doit permettre de désenclaver la Casamance en reliant Dakar à Ziguinchor par la route à travers la Gambie. L’infrastructure doit aussi faciliter l’accès à la capitale gambienne Banjul et doper les échanges commerciaux entre les deux pays. « C’était une infrastructure très attendue. Avant, il fallait attendre plusieurs heures ou une journée, un bateau pour traverser le fleuve Gambie », explique Eli Man Ndao, journaliste à RTS, la télévision publique.
Mais selon l’opposition, cette croissance n’est pas inclusive et ne profite pas aux Sénégalais. « Le bilan de Macky Sall est extrêmement négatif. Certes, il y a des infrastructures, mais le bilan d’un président se mesure à l’aune de la qualité de vie des populations. La croissance du Sénégal est totalement en porte-à-faux avec le développement humain. C’est une croissance non inclusive. La croissance que les Sénégalais attendent, c’est celle qui amène le bien-être social », critique Malick Gakou.
« Bien sûr que notre croissance est inclusive », rétorque un brin moqueur Abdou Aziz Mbaye. « Regardez les programmes sociaux mis en place : les bourses de sécurité familiale qui permettent d’inscrire son enfant à l’école, la couverture maladie universelle qui fait que l’essentiel des Sénégalais peuvent aller se faire soigner, la protection sanitaire gratuite pour les enfants de moins de cinq ans. Tous ces programmes sont effectifs et marchent. »
Selon les notes de la Banque mondiale, le taux de pauvreté, qui était de 47 % en 2011, a reculé de 4 à 7 %. Selon l’institution financière, le pays a progressé en matière de santé infantile, mais des efforts doivent être consentis sur le plan de la santé maternelle, néonatale, reproductive et adolescente. « Même en France, les problèmes liés à la couverture sociale existent », balaie le conseiller spécial.
« Pourquoi pas des élections transaparentes ? »
Autres griefs formulés par l’opposition à l’encontre de la présidence de Macky Sall, la réduction du train de vie de l’État, le manque de transparence et l’instrumentalisation de la justice pour écarter des candidats. « Le président dit qu’il a un bilan positif. Mais pourquoi n’organise-t-il pas des élections transaparentes ? », s’interroge Malick Gakou. « Quand on veut être président de la République de son pays, la moindre des choses est d’être en bonne santé et d’éviter d’avoir des problèmes avec la justice », lui répond Abdou Aziz Mbaye.
Pour la seconde phase du Plan Sénégal émergent, un tour de table à Paris en décembre 2018 avec les bailleurs institutionnels a permis d’obtenir des engagements de financement d’une valeur de 14 milliards de dollars, dont 3,5 milliards de dollars promis par la Banque mondiale. Fort de cela, les partisans de Macky Sall voudraient le voir être réélu au premier tour.
Mais c’est peut-être sans compter sur le vent de ralliement autour d’Idrissa Seck et des trois autres candidats de l’opposition dont Ousmane Sonko, 44 ans, « très populaire au sein de la jeunesse et sur les réseaux sociaux », explique Eli Man Ndao. « Avec la volonté politique fortement exprimée par les populations et les jeunes, la question n’est plus de savoir si le président va gagner au premier tour. Il va au contraire perdre au premier tour. C’est cela la réalité politique du Sénégal aujourd’hui », affirme, plus tranché, l’opposant Malick Gakou.
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