Seul chef d’État africain présent à Madrid, le président de la République du Congo ne manque pas une occasion de s’afficher en héros de l’écologie. Très pratique pour faire oublier les accusations d’autoritarisme et de dilapidation des richesses de son pays.
Au moment de conclure, il se perd un peu dans les pages de son discours. Certaines s’envolent du pupitre, précipitamment ramassées par l’officier galonné debout à ses côtés. La vidéo de la conférence de Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo, le 3 décembre à Madrid en marge de la COP 25, a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux. De même que celle où il échange une passe de ballon avec le patron de ses services secrets sur la pelouse du stade Santiago-Bernabéu, lors d’une visite «VIP» organisée par le Real Madrid. L’occasion de prendre aussi quelques photos avec Zinédine Zidane. Enfin, c’est le secrétaire général de l’Organisation mondiale du tourisme (OMT) lui-même, le Géorgien Zurab Pololikashvili, qui tweetera avec enthousiasme sur la visite de Sassou-Nguesso au siège madrilène de l’OMT, exhibant la plaque dévoilée à cette occasion en l’honneur du président congolais. Denis Sassou-Nguesso ne sera resté que quatre jours à Madrid pendant la COP 25, mais il aura été visiblement choyé.
Lui, le seul chef d’Etat africain présent. Même si ce n’est pas en cette qualité qu’il s’y trouvait, mais en tant que président de la Commission climat du bassin du Congo, créée en marge de la COP 22 à Marrakech en 2016. Une fonction idéalement taillée pour son costume vert, celui qu’il préfère ces temps-ci. Il l’a d’ailleurs rappelé lors de la séance inaugurale de la COP 25, le 2 décembre à Madrid : «Je reste plus que jamais fidèle à ma signature de l’accord de Paris et j’ai décidé d’aller plus loin dans notre engagement concret contre la déforestation.»
Banqueroute
Rebelote, le lendemain lorsqu’en se perdant un peu dans les pages de son discours, il a invité les bailleurs de fonds et, au-delà, tous les «amis de l’Afrique» à investir dans le Fonds bleu pour le bassin du Congo, conçu comme «l’instrument financier» de la Commission climat du bassin du Congo, a-t-il rappelé. Ce Fonds bleu, auquel ont adhéré douze pays de la région, c’est lui qui l’a lancé en mars 2017. Avec le soutien de la Fondation Brazzaville, créée en 2015 par son vieil ami le Français Jean-Yves Ollivier. Basée à Londres, cette fondation s’investit beaucoup, elle aussi, en faveur du bassin du Congo. Parmi les membres de son conseil consultatif, on trouve Cecilia Attias, ex-madame Sarkozy ou l’ancien juge Jean-Louis Bruguière.
Jusqu’à l’élection d’Emmanuel Macron, y figurait également Jean-Paul Delevoye, l’actuel haut-commissaire aux retraites. Commission climat, Fonds bleu, Fondation Brazzaville : l’imbrication de ces différentes structures a pu soulever quelques questions sur les intentions réelles du maillage, dont l’habillage vert pourrait aussi bien évoquer celui des dollars qu’il compte attirer. D’autant que le troisième producteur de pétrole d’Afrique est confronté à des difficultés financières abyssales. «Nous avons compris que les revenus du pétrole sont trop aléatoires et qu’il faut diversifier l’économie», faisait-on valoir il y a deux mois dans l’entourage du Président.
Ce qui semble également aléatoire, ce sont les relations du pays avec le Fonds monétaire international (FMI). Après moult reports, dus en partie à la difficulté d’évaluer le niveau réel de la dette, un nouvel accord (les précédents n’ont jamais empêché la banqueroute du pays) a été conclu en juillet. Avec à la clé, un prêt de 449 millions de dollars (403 millions d’euros). Mais après le versement d’une première tranche de 45 millions, la mission d’évaluation envoyée en novembre à Brazzaville a rendu un bilan mitigé, notant en particulier les retards en matière de lutte contre la corruption et de protection des populations les plus vulnérables. Résultat : vendredi, le FMI a annoncé qu’il reportait le versement de la seconde tranche de 48 millions de dollars, prévu pour janvier.
Faut-il alors croire qu’en misant sur le vert, le régime joue son va-tout au casino de l’aide internationale ? Le soupçon est depuis longtemps rejeté par les proches du Président, qui rappellent que Sassou-Nguesso a «toujours eu la fibre écolo», ayant notamment instauré, dès les années 80, «une journée nationale de l’arbre au Congo».
Reste qu’en matière de «fibre», le président âgé de 76 ans, dont 35 au pouvoir, dispose d’une vaste panoplie. Une «fibre» autoritaire par exemple, qui l’a conduit à modifier la Constitution pour se représenter aux élections de 2016. Scrutin controversé à l’issue duquel son principal challenger, le général Jean-Marie Michel Mokoko, a été emprisonné. Puis condamné à vingt ans de prison après un procès expéditif organisé deux ans plus tard. Un rapport confidentiel de la Banque mondiale daté du 9 novembre, dont Libération a eu connaissance, souligne par ailleurs que «le premier facteur de fragilité» du pays «est la nature hautement centralisée de l’Etat congolais». Expliquant que c’est ce «modèle» qui «a biaisé la répartition de la richesse et sapé l’émergence d’institutions étatiques transparentes, efficaces et inclusives». Et pour enfoncer le clou, le même rapport note que «la population se trouve exclue de la sphère politique et économique du pays». A la différence du Président et de sa famille, souvent critiqués, eux, pour leur «fibre» dépensière.
«Congo bashing»
En avril, l’ONG Global Witness a ainsi accusé deux des enfants du Président, son fils Denis Christel et sa fille Claudia, d’avoir récemment détourné à eux deux 70 millions de dollars des caisses de l’Etat. Une partie de cette somme, (7 millions) aurait permis à Claudia d’acheter un luxueux appartement dans la tour Trump à New York. En septembre, c’est la petite république de Saint-Marin qui aurait ordonné, dans le cadre d’une enquête sur le blanchiment d’argent, la saisie de 19 millions d’euros sur les 69 millions déposés sur 36 comptes différents par la famille Sassou-Nguesso dans ses banques entre 2006 et 2014.
A Paris, quatre membres du clan, dont Julienne, une autre fille du Président, ont été mis en examen depuis 2017 dans le cadre de l’enquête sur les «biens mal acquis» (lire aussi pages 16-17) visant plusieurs chefs d’Etats africains. Des propriétés immobilières ont également été saisies. Du moins officiellement. Car les propriétaires n’ont apparemment pas été délogés. «Toute cette instruction, c’est du Congo bashing ! Pour prouver qu’un bien a été acquis sur des fonds détournés, il faudrait venir enquêter à Brazzaville. Pourtant, aucun juge français n’a jamais sollicité de commission rogatoire pour se rendre au Congo», affirme-t-on dans l’entourage du président congolais.
Depuis son élection, le président Emmanuel Macron n’a, en tout cas, pas semblé très pressé de rencontrer son homologue congolais. Il a fallu attendre début septembre pour que celui-ci franchisse enfin le perron de l’Elysée. Et la rencontre a été, comme il se doit, habillée de vert. Avec l’annonce anticipée d’un accord de 65 millions de dollars versés dans le cadre de l’Initiative pour la forêt de l’Afrique centrale (Cafi) dont la France assure la présidence cette année. Des fonds destinés à soutenir la lutte contre la déforestation, dont le Congo se veut désormais le champion. Ce que certains mettent en doute.
En mars, un rapport intitulé «Commerce toxique», émanant de l’Environmental Investigation Agency (EIA), une ONG internationale qui enquête sur les crimes environnementaux, dénonçait les pratiques de l’exploitation forestière au Congo et au Gabon voisin, évoquant le versement récurrent de pots-de-vin pour faciliter l’exportation illégale de grumes de bois au profit d’un consortium chinois, ainsi que le détournement de millions de dollars d’impôts sur les sociétés. Le rapport a été rejeté, qualifié de «bâclé» par les autorités des deux pays concernés. Mais d’autres témoignages confirment ces inquiétudes.
D’innombrables vidéos, certaines relayées par la chaîne France 24, circulent sur les réseaux sociaux, révélant les effets dévastateurs sur l’environnement de l’exploitation minière des richesses du sous-sol congolais. A Elogo, près de la frontière camerounaise, comme à Kéllé, dans le Nord, des villageois désespérés montrent des rivières souillées et des forêts éventrées à cause de cette exploitation brutale. Or, l’octroi en juin d’une nouvelle série de concessions à des entreprises chinoises nourrit les inquiétudes sur l’impact environnemental de ces activités mal contrôlées.
Développement contre protection de l’environnement ? Le dilemme vient de ressurgir de façon inattendue dans la défense du bassin du Congo, ce «deuxième poumon du monde après l’Amazonie», comme le rappelle souvent le Président. Car désormais, il ne s’agit plus uniquement de préserver les réserves d’oxygène pour «la survie de l’humanité». Il y a quelques mois, en annonçant la découverte de fabuleuses réserves en hydrocarbures dans ces forêts fragiles, des entreprises proches du régime ont laissé entrevoir un autre péril. Selon leur raisonnement implicite, si les nouvelles réserves d’hydrocarbures étaient exploitées, elles menaceraient de détruire les tourbières, ces amas de décomposition végétale qui empêchent 30 milliards de tonnes de CO2 de se libérer dans la nature et qui sont stockés sur une surface de 145 000 km². Peu importe que l’essentiel du territoire concerné par ces tourbières se trouve en réalité dans le pays voisin, la république démocratique du Congo (RDC).
«Violences politiques»
Peu importe également que l’importance des réserves «découvertes» ait été contestée par de nombreux experts pétroliers. Dans l’immédiat, le président congolais se pose en gardien de ce bouton nucléaire végétal, «nonobstant les contreparties financières annoncées et qui continuent à se faire attendre», a-t-il averti à Madrid. D’où il est reparti à bord de son avion privé, un Boeing 787 Dreamliner, dont l’heure de vol serait facturée à 68 000 euros. De retour dans son pays, il aura pu constater les effets dévastateurs des pires inondations qu’ait connues le Congo depuis vingt ans. Le résultat du réchauffement climatique ? Peut-être. Mais les conséquences sont forcément décuplées quand «une grande partie de la population [est exclue] de tous les aspects du développement», comme le dénonce le rapport de la Banque mondiale qui évoque également les «violences politiques répétées» et la «pénurie des services de base». L’arbre vert brandi par le Président cache mal une forêt de misère et de frustrations.
Maria Malagardis in Liberation