En Tunisie, le dépouillement d’une majorité de bulletins de vote place Kaïs Saied en tête de l’élection présidentielle. Comment expliquer une telle popularité pour ce candidat austère, conservateur et antisystème, universitaire sans parti politique, qualifié par les observateurs d’« ovni » politique ?
Kaïs Saïed est apparu dans les sondages au printemps, mais son score aujourd’hui à la présidentielle tunisienne anticipée déroute pourtant les observateurs. Sa campagne a été discrète. Kaïs Saïed n’a pas cherché à organiser de meetings pour être dans la lumière. Il a misé sur le terrain et le porte-à-porte, avec peu de moyens : un siège de campagne modeste installé dans un petit appartement et une équipe de campagne réduite.
Il n’a tenu aucun meeting et présidé aucune réunion grandiose avant le premier tour. L’homme de 61 ans n’a eu de cesse de répéter qu’il était indépendant, qu’il refusait toute aide et qu’il assurait la campagne avec ses propres moyens. Cette sobriété a touché nombre de Tunisiens qui font face aux dégradations de leurs conditions de vie.
Un « Monsieur Propre » ascétique
Ses positions rétrogrades sur les questions de société, que ce soit la peine de mort ou l’homosexualité, n’en faisaient pas le favori. Mais son conservatisme n’a manifestement pas rebuté ceux qui veulent en finir avec le système. « Il a bénéficié du vent de « dégagisme », explique Mouhieddine Cherbib, un observateur de la vie politique. Kais Saïed jouit d’une image de « Monsieur Propre » et vit modestement. Les gens peuvent s’identifier à lui ».
Homme de l’ombre, Kaïs Saïed n’en a pas moins travaillé son image et sa notoriété ces dernières années, ce qui explique sans doute aussi son succès. Depuis 2011, il commente la vie politique dans les médias notamment sur la chaîne nationale. Son expertise de juriste l’a placé au-dessus de la mêlée et des querelles entre forces dites modernistes et islamistes. Durant toute la campagne, il a d’ailleurs critiqué ces élites politiques et l’hypercentralisation du pouvoir : un discours populiste qui a fait mouche, notamment chez les jeunes.
Il est connu du grand public pour avoir sillonné les médias en décryptant la mise en place de la démocratie postrévolutionnaire, puis à l’heure de l’adoption de la Constitution afin de vulgariser et d’expliquer ses moindres articles. Il a pu ces dernières semaines livrer ses analyses sans concession sur l’état de la Tunisie, prônant une décentralisation pour rendre le pouvoir au peuple. « Je ne suis pas là pour vous vendre du rêve », a-t-il martelé sur les marchés qu’ils visitaient, critiquant vertement les élites au pouvoir.
Son score vient aussi marquer une nouvelle étape dans la transition démocratique qui, huit ans après la révolution, a déçu les électeurs par son impact limité dans leur vie quotidienne. Après avoir épuisé les recettes des partis traditionnels pour relancer l’économie, les électeurs se sont donc tournés vers ce candidat hors cadre, déconnecté des élites, mais qui a su, par ses paroles franches et son mode de vie ascétique, marquer les esprits.
RFI