La bataille pour la succession du Tchadien Moussa Faki Mahamat à la présidence de la Commission de l’Union africaine (UA) a déjà commencé en attendant le scrutin en février 2025. Parmi les quatre candidats en lice, l’ex-Premier ministre kényan Raïla Odinga est considéré comme le favori. Mais bien qu’il soit un poids lourd de la scène politique régionale et qu’il soit soutenu par le président kényan William Ruto, son accession à la tête de la Commission n’est pas acquise, selon Paul-Simon Handy, directeur Afrique de l’Est à l’Institut d’Études et de Sécurité (ISS).
RFI : En février 2025, la présidence de la Commission de l’Union africaine reviendra à un pays de l’Afrique de l’Est, une première depuis 2001. Parmi les candidats, on compte Raila Odinga, figure historique de l’opposition au Kenya, et aussi trois ministres des Affaires étrangères, ceux de Djibouti, de Madagascar et de Maurice. Que dire de ces profils ?
Paul-Simon Handy : Nous pouvons dire qu’il y a trois candidats qui sont très similaires, qui correspondent tout à fait au profil particulièrement affectionné par les chefs d’État africains, plus enclins à élire un ancien chef de la diplomatie à la tête de l’Union africaine. À bien des égards, la candidature de Raila Odinga détonne. Raila Odinga est probablement l’homme politique le plus important des trois dernières décennies au Kenya. Il a essayé d’être président cinq fois, il a raté. Il a été un opposant capable de mobiliser massivement ses partisans, qui a toujours contesté de manière souvent véhémente les résultats des élections qu’il avait perdu. Pour résumer, on peut dire que Raila Odinga a certainement le profil de ce dont l’Union africaine – et notamment la Commission de l’Union africaine – a besoin, mais on peut être dubitatif quant à l’opportunité de ce profil lorsqu’il s’agit des préférences des chefs d’État.
Vous l’avez dit, son profil n’est pas celui qu’affectionnent les chefs d’État du continent… Comment compte-t-il s’y prendre pour les convaincre de le choisir ?
Disons que sa candidature, même si elle est celle dont on parle le plus, n’est pas évidente et son élection n’est pas acquise. Déjà, il est contesté au sein de la région Afrique de l’Est. Il va falloir bâtir des passerelles avec les pays francophones. Il faudrait qu’il étende ses réseaux en Afrique de l’Ouest, un peu plus en Afrique centrale et certainement, aussi, en Afrique australe. Il aura une forte concurrence : les candidats d’autres pays sont tous francophones. Certains, comme le Djiboutien, sont arabophones aussi.
Quand vous parlez du Djiboutien, il s’agit de Mahmoud Ali Yusuf. Le fait que Djibouti fasse partie de la ligue arabe, comme plusieurs États du continent africain, est-ce que cela joue en sa faveur ?
Oui, le fait que Djibouti fasse partie de la ligue arabe peut être un très bon point positif pour l’actuel ministre des Affaires étrangères djiboutien. Djibouti fait partie de l’Organisation internationale de la Francophonie.
Lors du dernier sommet de l’Union africaine à Addis Abeba en février 2024, l’actuel président de la Commission, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a ouvert la session avec un discours très alarmant sur l’état de l’Afrique : des changements constitutionnels et des coups d’État en série, le djihadisme, la grande dépendance financière et budgétaire vis-à-vis de l’Occident… Ces alertes ont été en grande partie écartées des débats. Alors, pourquoi autant de concurrence et de négociations pour cette présidence de la Commission si elle n’offre aucun réel pouvoir ?
Là, je pense que vous touchez du doigt le problème fondamental de l’Union africaine. Le rôle du président de la Commission reste très peu défini, soumis à des contraintes qui limitent sa capacité d’initiative et qui, littéralement, frustre tous les occupants de ce poste. Et le président Moussa Faki Mahamat n’est finalement qu’un parmi plusieurs anciens secrétaires généraux ou présidents de la Commission, qui estiment que, malgré le fait qu’on l’appelle Commission, en fait, la Commission reste un secrétariat général dont l’action est fortement entravée par les États membres, qui se refusent jusqu’à présent à donner un peu plus d’initiative à la Commission de l’Union africaine. Donc je pense que pour les vingt prochaines années, l’UA devrait se poser la question de savoir quelle Union africaine est-ce qu’on voudrait avoir à l’horizon de 2063 ?
Et Raila Odinga pourrait y changer quelque chose ?
Il a le réseau, il a la capacité, il est un fin tacticien, c’est un animal politique. Il connaît plusieurs chefs d’État personnellement. Mais ses avantages et sa position ont finalement les avantages de leurs inconvénients. Ces réseaux et cette capacité de parler d’égal à égal avec les chefs d’État est certainement aussi ce que les chefs d’État ne veulent pas. Rappelons-nous d’Alpha Oumar Konaré qui, après avoir été président du Mali, avait été élu comme président de la Commission de l’UA et qui se faisait souvent rappeler par certains chefs d’État qu’il était un secrétaire général et non plus un chef d’État. Donc, si c’est un atout d’avoir ces capacités – de pouvoir parler d’égal à égal avec les chefs d’État – c’est aussi un inconvénient, parce qu’on voit la manière dont ils ont élu les présidents de la Commission ces vingt dernières années, ce n’est certainement pas le genre de profil qu’ils préfèrent.
Interview réalisée par le service Afrique de RFI