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Pourquoi faut-il dire non aux consultations engagées par le Premier Ministre ?

Plusieurs éléments de réponse peuvent être apportés à cette question. Mais avant, il convient de préciser que les membres du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) et tous les citoyens qui se battent pour le respect de la Constitution, du Code électoral et du Code des Collectivités locales ne font que leur devoir en application de l’article 22 de notre Loi fondamentale en vertu duquel « chaque citoyen a le devoir de se conformer à la Constitution, aux lois et aux règlements ».

Les consultations engagées par le Premier ministre, dès lors qu’elles visent à l’élaboration d’une nouvelle Constitution, sont illégales, inopportunes et contraires à la Constitution en vigueur, aux principes démocratiques et à l’État de droit.

En effet, le caractère illégal résulte du fait que pour initier un projet de loi référendaire, aucune procédure consultative du peuple n’est prévue par la Constitution et les autres lois de la République. En conséquence, le recours aux consultations nationales n’intervient que pour manipuler l’opinion et préparer les esprits à un passage en force visant à légitimer des opérations de tripatouillage constitutionnel. L’idée voulue est de faire croire que le peuple de Guinée est favorable à une nouvelle Constitution après les consultations d’un groupe de citoyens ou plutôt de fonctionnaires ou militants zélés du RPG qui sont loin de représenter la collectivité nationale dans son ensemble. Il n’est pas superflu de rappeler que les consultations nationales doivent, comme les questions à soumettre à un débat national, avoir un objet licite, un questionnement non contraire à la Constitution et aux autres lois de la République. Est-il normal, dans ces conditions, de consulter officiellement un ou plusieurs citoyens sur l’opportunité de changer de Constitution et en violation de cette dernière? Dans un État de droit, est-il normal de discuter des modalités d’assassinat et d’enterrement d’une Constitution que rien ne voue aux gémonies ? Aller à des consultations visant à remettre en cause le principe de l’alternance démocratique équivaudrait à se rendre complice de parjure et de coup d’état constitutionnel. Il convient, en outre, de s’interroger sur la pertinence du fondement légal du recours aux consultations nationales par le Premier ministre. Ce dernier que l’article 58 de la Constitution investit de la responsabilité de la promotion du dialogue social est-il fondé à y recourir sur cette base juridique ? Toute consultation dont l’objet porterait sur un changement de Constitution se situerait immanquablement en dehors du dialogue social que l’OIT définit comme « incluant tous types de négociation, de consultation ou simplement d’échange d’informations entre les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs selon des modalités diverses, sur des questions relatives à la politique économique et sociale présentant un intérêt commun ».

Si personne ne dénie au peuple de Guinée sa souveraineté et donc le droit de changer de Constitution lorsque certaines conditions sont réunies (rupture de l’ordre constitutionnel en vigueur : guerre, révolution, coup d’état, création d’un nouvel Etat, etc.) ou de la réviser dans le respect des procédures prévues à cet effet, il convient, cependant, de retenir qu’aux termes des dispositions de la Constitution en vigueur, le peuple n’a pas l’initiative de la loi et aucune procédure consultative du peuple n’est prévue en dehors du référendum. Mieux, le référendum d’initiative populaire n’est pas prévu dans notre Constitution et la liberté d’opinion et d’expression reconnue aux citoyens guinéens ne leur confère pas, en temps normal, un droit d’initiative pour convoquer un référendum législatif ou constitutionnel.

Notre Constitution dispose en son article 2 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants élus et par voie de référendum. Aucune fraction du peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».Ce qui signifie que notre modèle démocratique est du ressort de la démocratie représentative et non de la démocratie directe.

Le référendum étant une consultation du peuple dans sa diversité et sa globalité exclusivement initié par le Président de la République ou les députés, pourquoi alors consulter une fraction du peuple sur un éventuel projet de loi référendaire si ce n’est pour tromper l’opinion.

De même, le recours éventuel à l’article 51 de la Constitution qui prévoit un référendum de type législatif pour donner une base légale au projet de nouvelle Constitution constituerait une fraude à la Constitution en vigueur et une forfaiture de la part du Président de la République. Conformément aux articles 35, 118 et suivants de la Constitution, ce dernier, coupable de parjure, pourrait être poursuivi pour haute trahison du fait de la violation de son serment de respecter et de faire respecter scrupuleusement les dispositions de la Constitution de mai 2010.

En effet, les dispositions combinées de l’article 51 de la Constitution et de l’article 22 de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle qui prévoient un contrôle de constitutionnalité des projets ou propositions de lois référendaires ne laissent aucun doute possible sur l’absence de base légale au projet de nouvelle Constitution que le Gouvernement entend initier. Il reste entendu que ce contrôle de constitutionnalité est exercé dans le cadre des attributions juridictionnelles de la Cour constitutionnelle. Il est donc différent de la procédure consultative proprement dite aménagée devant ladite Cour.

Il s’agit donc d’une démarche illégale et plus précisément inconstitutionnelle. A cet égard, l’article 51 alinéa 4 de la Constitution dispose : « En cas de non-conformité, il ne peut être procédé au référendum. » et l’article 22 de la Loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose également que : « La Cour constitutionnelle exerce un contrôle de constitutionnalité du projet ou de la proposition de loi référendaire préalablement au vote du Peuple ».

On n’a pas besoin d’être juriste pour comprendre qu’il serait difficilement imaginable qu’un contrôle de constitutionnalité de la nouvelle Constitution à l’ancienne puisse être opéré alors même que la nouvelle conduirait à l’abrogation de l’ancienne. Ce qui sous-entend que cet article 51 ne peut servir de base légale pour proposer une nouvelle Constitution.

Le régime juridique applicable au référendum est fixé par les articles 51 et 152 de la Constitution du 7 mai 2010. Le recours au référendum strictement encadré par ces articles ne peut servir de fondement légal à l’élaboration d’une nouvelle Constitution étant entendu que dans les deux cas, le référendum ne peut avoir lieu que conformément à la présente Constitution, notamment en son article 2 qui dispose : « La souveraineté s’exerce conformément à la présente Constitution qui est la Loi suprême de l’État. Toute loi, tout texte règlementaire et administratif contraires à ses dispositions sont nuls et de nul effet… ».

Le débat sur la nécessité de doter la Guinée d’une nouvelle Constitution a été introduit par les seuls tenants du pouvoir dont le but ultime est d’empêcher l’alternance démocratique pour maintenir au pouvoir le Président actuel au-delà de son second et dernier mandat. En effet, le peuple n’a pas exprimé de rejet quant à la Constitution actuelle et, en l’espèce, rien de valable ne justifie l’élaboration d’une nouvelle Constitution au détriment de la révision. Il est de notoriété publique que les présentes consultations sont entreprises par le Gouvernement non pas dans l’intérêt du peuple de Guinée, mais dans celui d’un individu ou groupe d’individus.

Enfin, il convient de préciser que ces consultations qui visent à justifier la forfaiture du Gouvernement sont également contraires aux principes de convergence constitutionnelle communs aux Etats membres de la CEDEAO. Cela est d’autant plus vrai que le principe de l’alternance démocratique est garanti aussi bien par la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la Gouvernance, que par le Protocole A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne Gouvernance. Il n’est pas inutile de rappeler que ces instruments internationaux prévoient aussi des sanctions contre les auteurs de changement anticonstitutionnel.

La Constitution est une œuvre humaine et comme telle, elle est perfectible, d’où la possibilité de la réviser. En attendant, elle demeure l’une des meilleures Constitutions d’inspiration française dans la mesure où elle garantit mieux que n’importe quelle autre Constitution des pays francophones d’Afrique les principes démocratiques et de l’État de droit.

En élargissant la liste des dispositions constitutionnelles intangibles au nombre et à la durée des mandats du Président de la République, le Constituant guinéen, le CNT en l’occurrence, a simplement voulu tirer les leçons d’un passé récent de notre pays et des changements politiques intervenus depuis l’indépendance.

Une Constitution qui garantit les droits fondamentaux de l’homme et les principes de la démocratie et de l’Etat de droit, notamment le principe de l’alternance démocratique, est une constitution moderne qui est en phase avec les standards régionaux et continentaux. Ainsi, les Constitutions de 21 pays d’Afrique de l’Ouest prévoient expressément des dispositions limitatives de mandat. Sur les 55 États membres de l’UA, 35 contiennent de telles dispositions. Ce qui indique que deux tiers des États africains se soucient de garantir l’alternance politique à travers leur Constitution. La volonté observée de remettre en cause le principe de l’alternance démocratique va donc à contre-courant de la dynamique générale de limitation des mandats.

 

Par Nadia Nahman

 

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