Tribune. Au-delà des inquiétudes strictement médicales, le Coronavirus soulève des préoccupations sur le coût financier potentiel d’une épidémie mondiale et pourrait avoir des conséquences économiques beaucoup plus importantes. Les pays producteurs de pétrole seront les premiers touchés, car la Chine, première victime du virus, consomme plus de 10% de la production mondiale et contribue pour plus d’un tiers à l’accroissement de la demande en pétrole.
Depuis le mois de décembre 2019, et de façon plus en plus marquée, un phénomène plus inédit qu’inattendu est en train de bouleverser tous les pronostics et prévisions du marché international du pétrole pour l’année 2020. Au moment où les tensions commerciales se résorbent quelque peu entre la Chine et les États-Unis, et qu’une nouvelle crise fait son apparition entre le Président Donald Trump et l’Iran, voilà qu’une épidémie quelque peu méconnue fait son apparition à un rythme dévastateur, et avec un taux de contamination et de décès qui croît quotidiennement en flèche. L’épidémie de coronavirus de 2019-2020 est apparue en décembre dernier dans la ville de Wuhan en Chine centrale. Elle est causée par un virus de la famille de coronavirus, baptisé « nCoV-2019 » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ce 11 février 2020. Déjà exporté dans près d’une cinquantaine de pays, le coronavirus constitue désormais une menace internationale et au vu de sa très rapide propagation, l’on se pose déjà la question de son impact sur l’économie mondiale.
Impact des pandémies sur l’économie mondiale
De nombreux investisseurs et analystes ont vite fait des comparaisons avec les épidémies et pandémies que le monde a connues depuis le début de ce XXIe siècle. Mais les dernières importantes épidémies et pandémies ont eu pour conséquences des pertes économiques chiffrées à plusieurs milliards d’euros dans le monde. Ainsi, dans un rapport publié en 2018, le Global Preparedness Monitoring Board (GPMB), entité conjointe de l’OMS et de la Banque Mondiale, annonçait qu’entre 2002 et 2003, l’épidémie de SRAS (symptôme respiratoire aigu sévère) – qui avait enregistré 8096 malades, dont 774 décès, dans 26 pays dans le monde, a eu pour conséquences des pertes de productivité de 36 milliards d’euros. Aussi, en 2009-2010, la pandémie de grippe H1N1 avait touché presque toute la planète et provoqué la mort de près de 18.500 personnes. Selon le GPMB, l’impact financier se situerait entre 41 et 50 milliards d’euros (soit 27 à 33 milliards Fcfa). Récemment, entre 2014 et 2016, avec le virus Ebola en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone, il a été recensé plus de 28.000 personnes contaminées, dont plus de 11.000 décès ; ce qui a fait estimer l’impact économique et social à environ 48 milliards d’euros (31,5 milliards Fcfa). Le GPMB note que les échanges commerciaux et le tourisme, qui pèsent pour 18% environ de l’économie mondiale, sont les plus affectés dans le cadre d’épidémies et de pandémies.
Le coronavirus pourrait avoir des conséquences économiques beaucoup plus importantes. Au-delà des inquiétudes strictement médicales, le coronavirus soulève des préoccupations sur le coût économique potentiel d’une épidémie mondiale. Déjà, les grandes places financières mondiales ont enregistré des replis ces derniers jours en raison de la très rapide évolution de cette épidémie économiquement invalidante. S’il est encore trop tôt pour formuler des réponses précises sur les impacts économiques, financiers et sociaux, il est au moins un secteur qui en sent déjà les terribles conséquences ; c’est le pétrole. La logique est toute simple. La Chine est le premier importateur et deuxième consommateur mondial de pétrole brut derrière les États-Unis et la croissance de la demande chinoise tire à elle seule le marché du pétrole brut depuis des années. Si elle vacille, c’est tout l’édifice pétrolier mondial qui tremble.
La Chine poumon de l’économie mondiale
Le pays a donc besoin de toujours plus d’hydrocarbures pour alimenter sa croissance économique, alors qu’il en produit de moins en moins. Le virus de Wuhan qui, très certainement, réduira à court terme la consommation de pétrole de la Chine, a déjà un impact baissier significatif sur les prix du pétrole : en effet, depuis le début de l’épidémie, les cours du pétrole brut ont chuté, passant en une semaine de 62 dollars le baril à 57 dollars, pour atteindre 53 dollars le 2 mars. Sur la période du 15 au 22 janvier 2020, les importations chinoises de pétrole ont plongé de près de 2 millions de barils par jour par rapport à la moyenne de janvier 2019, et de 3 millions de barils par jour par rapport au début de l’année 2020. Depuis l’apparition de l’épidémie, les importations chinoises de brut sont en chute libre. Elles seraient passées de 11 millions de barils par jour à 8 millions à la fin du mois de janvier et pourraient descendre davantage si l’épidémie persiste. Plus l’épidémie se propage, plus l’impact économique potentiel et l’impact sur la consommation du pétrole sont importants.
La récession dans le secteur pétrolier s’observerait dans l’hypothèse d’une entrée dans un marché baissier définie par une baisse d’au moins 20% du prix par rapport à un sommet récent.
Les deux barils de référence mondiale, le WTI coté au NYMEX de New-York et le Brent coté à Intercontinental Exchange (ICE) de Londres, ont subi une baisse de respectivement 16% et 12% depuis le début de l’année. Très dépendantes de la Chine pour leurs exportations, les économies africaines sont les premières victimes par contagion de l’épidémie. Les pays producteurs de pétrole seront les premiers touchés car la Chine consomme plus de 10% de la production mondiale et contribue pour plus d’un tiers à l’accroissement de la demande en pétrole. Le Coronavirus a pratiquement sapé toute la confiance des marchés pétroliers et n’a laissé à sa place que la peur. Aujourd’hui, tout ce à quoi les traders et autres acteurs des marchés pétroliers pensent, c’est à quels niveaux les cours du baril vont descendre, car le « Covid-19 » poursuit son petit bonhomme de chemin. Corrélation n’est pas causalité, certes, mais le ralentissement de la demande chinoise est bien réel. Toute une province, celle de Hubei (60 millions de personnes) est placée en quarantaine et tout le pays en stricte observation.
L’industrie du voyage est la première à ressentir les contrecoups de cette éclosion.
Le verrouillage de la province du Hubei, empêche les voyages d’affaires ainsi que la circulation des biens et des travailleurs. Certes, le Coronavirus ne peut pas mettre à genoux l’économie chinoise, mais son impact sur le secteur des transports est très perceptible. C’est évident, il n’y a pas de croissance sans transport des personnes et des marchandises. Aujourd’hui, les accès routiers sont fermés, et dans les rues d’ordinaire bondées, les voitures ne circulent plus en Chine. Le ralentissement ou l’arrêt systématique du transport maritime en Chine va bloquer des millions de conteneurs, les transports ferroviaires en berne dans tout le pays et le trafic aérien national et international mis au ralenti, voire stoppé à Wuhan.
L’activité aérienne dans les cinq aéroports les plus proches de Wuhan a chuté de près de 50%, tandis que le trafic aérien à Shanghai et à Shenzhen a considérablement diminué. Les experts anticipent que la demande chinoise de pétrole pourrait diminuer de 300.000 à 400.000 barils par jour, voire davantage au premier trimestre.
En prenant en compte les autres pays, la demande mondiale sur la même période pourrait être sérieusement amputée – certains analystes sont allés jusqu’à évoquer la barre de 3 millions de barils par jour.
A ce tableau sombre du secteur des transports, le coronavirus, a mis d’autres secteurs de l’activité chinoise en berne. Cinémas des grandes villes fermés d’office, hôtels à moitié vides et restaurants obligés de rester portes closes faute de clients ; l’industrie du tourisme et des loisirs qui doit s’adapter à une situation hors norme. Mais, il n’y a pas que le pétrole, toutes les matières premières, dont la Chine est le premier importateur mondial, ont vu leurs prix baisser : le cuivre, le fer, l’huile de palme, le caoutchouc, etc… L’impact du coronavirus est tellement tangible que l’OPEP envisage d’avancer à février sa prochaine réunion, initialement prévue en mars pour tenter d’ajuster au mieux et au plus vite leur production afin de soutenir les prix de l’or noir et garantir l’équilibre du marché pétrolier. Le pétrole étant la première source d’énergie consommée dans le monde ; c’est plus de 35% de la consommation mondiale d’énergie. Aucune économie moderne ne peut s’en passer. Nous sommes certes en période de transition énergétique, mais les énergies renouvelables hors hydroélectricité ne représentent encore que 4% de l’énergie mondiale. Il y a donc des liens étroits entre l’économie mondiale, sa croissance et le marché pétrolier.
Par Mahaman Laouan Gaya, expert pétrolier et ancien secrétaire général de l’Organisation des producteurs de pétrole africains