Mesdames, Messieurs,
Vous caressez le rêve de diriger la destinée de la Guinée, votre pays ? Rien de plus normal car vous en avez le droit. Une recette de cuisine politique simple à suivre vous est proposée dans les lignes suivantes pour assurer votre réussite politique sans faille.
- Présenter votre candidature au concours de la meilleure bouillabaisse politique adaptée à la situation sociopolitique guinéenne en vous référant autant que possible à l’expérience des années 1952 à 1958 des luttes politiques du PDG pour le contrôle du pouvoir. Fidèle à cette expérience inédite, envoyer en banlieue la police et/ou l’armée pour renverser des marmites sur le feu ; utiliser comme paravent des femmes enceintes contre les jets de pierres de jeunes en furie ; tirer à bout portant sur des gamins sans se soucier d’une conscience morale. Il ne faudra surtout pas oublier au passage d’incendier quelques maisons, voitures et boutiques. Il s’avère important de vous rappeler que le Responsable Suprême de la Chose Populaire et Révolutionnaire a largement fait usage de cette recette qui a changé qualitativement et durablement la vie des Guinéens.
- A défaut de poudre de tabac (djamba mougou), une pincée de poivre sera nécessaire pour exciter l’odorat de la population analphabète de votre communauté ethnique. Pendant ce temps, gavez-les d’une dose suffisante d’idéologie de la différence identitaire ; gonflés à bloc, ils seront suffisamment conditionnés pour commettre des actes inouïs, telle l’expérience vécue en Guinée au cours de la présidentielle de 2010.
- Puis, accuser dans le même sillage vos adversaires de tout et de tout, même d’avoir empoisonné de l’eau dans le seul dessein de tuer les militants de votre Parti. Soupoudrez le tout d’ail et cannelle afin que la situation soit bien épicée et que l’expérience ainsi acquise fasse mouche. Rien de plus normal lorsque quelques années plus tard, on incendie des maisons entre voisins au grand dam de douze gamins innocents qui y laissent tragiquement leur vie. C’est ainsi qu’on rend service à sa patrie après plusieurs années d’exil !
Mesdames, Messieurs les candidats à la candidature, ça n’est pas tout, il vous reste encore beaucoup à faire !
- Distribuez des liasses de billets de banque à quelques notables, aux plus grands gueulards du pays et à la junte militaire. Promettez à ces derniers monts et merveilles, ils y adhéreront aveuglement sans faute, même si vous nourrissez par la suite l’ambition d’éliminer les plus valeureux d’entre eux en utilisant quelques recettes de vieilles sorcières du village.
Quant aux pauvres ménagères, un sac de riz et cinquante mille francs glissants suffisent largement. N’oubliez surtout pas, par un tour de passe-passe verbal, de vous faire passer pour le Saint-Sauveur d’un pays en proie à la dérive. Rappelez-vous que c’est ce discours creux qui vous fera gagner l’empathie de quelques personnalités étrangères à la Guinée dont la voix porte. Ainsi, même lorsque vous n’aurez eu que 18% au premier tour des élections, rien n’arrêtera votre course pour atteindre la félicité en tant « qu’opposant historique ». Cela ne vous empêchera guère de porter quelques accusations incongrues contre la France.
- Une fois installé au perchoir, il vous suffira tout simplement de reproduire les habitudes déjà acquises : nommer une meute d’une cinquantaine de ministres, en exigeant d’eux d’être bedonnants comme des femmes enceintes de neuf mois. Pendant ce temps, fouler toutes les lois du pays aux pieds. Et ne respecter aucune d’elle. N’organiser des législatives que lorsque vous serez suffisamment prêts pour un nouveau mandat.
Parallèlement, taper fort sur tous ceux qui essayent de vous contrarier. C’est cela la vraie démocratie !
- Et si vous caressez le rêve d’un peu plus de charisme pour plus de mandats, la règle est assez simple. i) envoyer un petit gars, bien costumé ; mais il vous faudra surtout choisir un passe-muraille entre les ethnies guinéennes. Ce double visage, mi-figue, mi-raisin est susceptible de convaincre tous vos adversaires, même ceux que vous avez contraint de prendre la poudre d’escampette. Au final, vous gagnerez doublement : i) en ralliant vos adversaires les plus irréductibles, ii) puis en les opposant les uns aux autres dans le seul dessein de les affaiblir durablement.
- 7. Il reste cependant une autre petite étape à franchir pour pimenter davantage la bouillabaisse. En effet, à chaque manifestation publique contre votre pouvoir, cherchez à rallier à votre cause celui de vos adversaires le plus en vue : quelques promesses de passation du pouvoir entre aîné et cadet en fin de mandat, le sanankouya et de petites blagues de droit d’aînesse suffiront pour assaisonner à volonté le menu. Assurer-le de votre bonne foi.
Hypnotisé par de belles paroles qui enchante le cœur, il vous sera docile comme un agneau et prendra dans cette ambiance d’extase une décision fatidique sans avoir consulté ses pairs.
Ainsi, une fois qu’il aura mordu à l’hameçon, comme cela se passe dans une pêche à la ligne, vous atteindrez votre but comme sous l’effet d’un coup de baguette magique : i) vous aurez réussi à amadouer avec une facilité déconcertante la carpe -votre principal adversaire le plus redoutable, ii) d’autre part agissant inversement vous récupérez tous les autres opposants politiques en les nommant à de petits postes juteux. Le tour est bien joué dans la mesure où vous aurez réussi votre pari en affaiblissant ceux qui sont susceptibles de ralentir votre course. C’est en mettant en œuvre cette recette d’art culinaire, consistant à tourner en dérision leurs rivaux, comme des gamins, que bon nombre de chefs d’Etat africains ont réussi à annihiler avec dextérité l’ambition de tous les téméraires qui se sont enfoncés dans une forêt infestée de fauves sans aucune arrière-garde. Dans une telle mésaventure, les rugissements des lions se taisent dans la cité pour laisser place aux miaulements attendrissants de chats sans secours. Un lourd silence s’abat alors sur la cité car personne ne peut empêcher le chapelet des mandats, tel un cours d’eau en furie, de couler à grands flots. Ainsi va la vie, à chacun son tour chez le coiffeur !
Mesdames, Messieurs les candidats à la candidature, il reste encore une dernière étape à franchir avant la fin des fins.
- Chauffer jusqu’à ébullition l’abreuvoir principal du pays afin que les opposants à votre projet traînent derrière eux des casseroles suffisamment bruyantes pour tympaniser tout le pays ; puis faites voter dans la foulée des lois républicaines en agissant dans le sens contraire à l’esprit des lois prôné par Montesquieu. Ramenez à votre cause tous les gros poissons à l’aide de promesses fallacieuses et quelques millions de francs glissants de notre monnaie nationale. Avant de mettre dans votre bouillabaisse une pincée de fraude électorale, recommander à des petits godelureaux à la taille ondoyante d’abattre des arbres sur le chemin pour empêcher vos concurrents de sillonner le reste du pays. Prenez soin de bien rincer la cocotte avant de présenter la bouillabaisse dans cette grande soupière. Il n’est plus besoin d’y jeter une pincée de safran, ce ragout amer, que vous aurez servi aux Guinéens sur un plateau d’or, pourrait être bien plus amer qu’on n’y croit.
Mesdames, messieurs, si la politique se réduit à cela, je renonce de m’y engager ; pour la raison bien simple que ça n‘est pas la recette de la vraie bouillabaisse dont les Guinéens ont besoin. Tout d’abord parce qu’on ne promet pas à ses concitoyens la démocratie pour les soumette à la violence. Ensuite on ne joue pas non plus avec le feu dans le seul dessein de conquête et de conservation du pouvoir. Il sied plutôt à un homme éclairé d’entretenir la concorde autour d’une conscience nationale solide. On ne commande pas aux forces de l’ordre de tirer sur une jeunesse qui manifeste sa colère, mais on propose plutôt à cette frange virile de la population un système éducatif performant afin de lui assurer un avenir garanti. Enfin, le discours d’un chef d’Etat ne doit pas se réduire à des promesses sans lendemain, mais il devra plutôt afficher des ambitions visant à assurer le bien-être de ses concitoyens. Et comme la nuit est longue, il faut réfléchir avant de dormir !
Alpha Ousmane Barry
Professeur des Universités (France)