Une démocratie se nourrit du débat contradictoire et respectueux des règles préalablement définies. Il est une évidence aujourd’hui que les campagnes électorales en Guinée focalisent plus l’attention par son aspect exhibition (meeting de propagande) et démonstration (distribution d’argent) que par la qualité des projets présentés par les compétiteurs politiques.
Tout porte à croire que cela passionne les militants et sympathisants qui se mobilisent beaucoup plus pour le spectacle que pour apprécier la qualité de l’offre politique déclinée en termes de programmes par les candidats.
Ainsi, une observation dépassionnée du paysage politique guinéen laisse apparaître que la fonction politique en général et celle présidentielle en particulier attire plus par les privilèges qu’elle accorde que pour le challenge et la responsabilité qu’elle symbolise.
L’absence de débats sérieux permet à n’importe quel prétentieux de rêver aux plus hautes fonctions de l’Etat. Peu importe son parcours professionnel, sa moralité, son expérience ou son niveau d’étude. Dans ces conditions, on s’éloigne de l’essence même de la démocratie : la concurrence pour un service public répondant aux besoins quotidiens de l’ensemble des citoyens d’une nation sans distinction aucune.
Bref, le profil des candidats ne semble pas avoir de l’importance ou du moins n’est pas une priorité parmi les exigences des électeurs.
Comment nous en sommes arrivés là ?
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait. D’abord, la première explication pourrait trouver son origine dans notre histoire politique. En effet, il est évident que les parcours académiques et professionnels des présidents guinéens de 1958 à nos jours ne sont pas exemplaires au regard du standard de l’excellence.
D’ailleurs, c’est ce qui fait admettre à la mentalité collective qu’il est normal que n’importe qui puisse devenir président de la République, ministre ou dirigeant politique; notre pays, de par son histoire politique, ayant été toujours exceptionnellement déréglé.
Ensuite, le manque d’ambition du législateur guinéen limite la contrainte des lois encadrant l’organisation du processus électoral dans notre pays. Dit autrement, les lois de la République ne sont pas assez contraignantes aussi bien sur le mode de désignation des candidats aux élections (nationales et locales ) que sur les mécanismes de fonctionnement des appareils politiques et sur le profil des potentiels candidats.
Ajouter à cela, l’instrumentalisation des identités ethniques au détriment de la promotion et de la consolidation de l’identité nationale. Cette dernière, sans être la somme des autres devrait les rassembler en vue de créer l’unité dans la diversité.
Les débats ethnique et sectaire sont intentionnellement entretenus par les acteurs politiques installant ainsi un climat de peur et de frustration en lieux et place de l’espoir. Le seul objectif de la stratégie étnico-régionale est de contraindre l’électeur à faire le choix du repli identitaire en faisant en sorte que sa perception de la politique s’apparente beaucoup plus a une question de survie qu’à toute autre chose.
En termes simples, tout est fait pour l’amener a croire qu’il peut être plus protégé par son ‘’parent’’ (dans le sens d’appartenir au même groupe ethnique ou régional) que par un “autre’’. L’Etat ne jouant pas son rôle de protecteur comme il se doit, le citoyen se sent alors obligé de faire un choix de survie en se repliant sur sa communauté ethnique en lieu et place d’une communauté politique soudée par des causes et des valeurs. Ainsi, les stratèges de la peur et du chaos permanent profitent du vide ou des insuffisances que laissent les institutions Etatiques pour installer un système de domination psychologique sur l’électeur.
Pourtant, l’histoire et les faits nous ont démontré que cela s’apparente beaucoup plus à une manipulation des mentalités qu’une réalité dans les actes. En paraphrasant le linguiste américain Noam Chomsky qui disait : « la violence est dans les dictatures ce qu’est la propagande dans les démocraties », on comprendra que le pouvoir politique guinéen s’est toujours distingué par la combinaison maladroite de ces deux instruments. C’est pourquoi à ce stade, l’absence de ligne politique claire est de plus en plus problématique.
Que faut-il faire pour y remédier ?
Conscient qu’il ne peut y avoir de démocratie sans démocrates, la culture démocratique doit commencer au sein des formations politiques avant de s’étendre dans les autres sphères de l’État. On peut ici proposer quelques initiatives pouvant constituer des pistes de solutions :
- Encourager et promouvoir des espaces de dialogue et de discussion sous forme de débat. A ce niveau, le rôle des acteurs de la société civile est d’une importance capitale. À l’instar des grandes démocraties de ce monde, la société civile guinéenne ne doit pas se soustraire de ses obligations ;
- Organiser des débats structurés pour faire évoluer les mentalités vers le choix de l’objectivité. Un système démocratique doit nourrir l’espoir et non la peur (symbole même des régimes totalitaires) ;
- Encourager la diffusion d’émissions à caractère socio-politiques aussi bien à la télévision nationale que sur les radios et télévisions privées ;
- Légiférer, c’est à dire rendre obligatoire par la loi le débat contradictoire dans les élections en général et le face à face entre les candidats au second tour des présidentielles en particulier. Une telle mesure aura l’avantage d’’éliminer à priori, par l’effet de dissuasion, tous ceux n’ont rien de concret à proposer et elle permettra à l’opinion publique de disposer de plus d’éléments d’appréciation sur les candidats et leurs programmes pour fonder un choix objectif.
- Organiser des primaires opposant les potentiels candidats au sein même des différentes formations politiques. Cette initiative aura pour effet de structurer l’opinion publique d’abord à l’échelle interne des partis en dépersonnalisant les appareils politiques.
- Par la loi, renforcer également la rigueur sur la gestion des dossiers de candidature aux différents scrutins. Par exemple veiller au respect scrupuleux des critères définis pour les candidatures aux élections. Ces critères peuvent être appréciés sur les profils des candidats indépendamment des partis politiques qu’ils représentent ; l’Etat moderne et démocratique reposant sur l’impersonnalité et le mérite.
- Le professionnalisme de la presse à travers les investigations sur le parcours et la vie des candidats peut être un atout capital pour assainir les listes des compétiteurs politiques. Il faudrait bien que chacun subissent les conséquences positives ou négatives de son passé politique et professionnel.
- Rendre obligatoire l’audit et la certification des comptes de campagne des candidats et donc des partis politiques. Ceci a l’avantage d’éviter le gaspillage des fonds souvent publics à des fins électorales et de responsabiliser les leaders politiques sinon de sanctionner les partis qui se soustrairons aux règles du jeu démocratique. L’autre avantage d’un tel dispositif consiste à permettre aux citoyens de comprendre l’origine des fonds utilisés par les candidats lors des campagnes électorales et d’en tirer les conclusions. Enfin, une telle mesure evitera aux candidats élus d’être pris en otage par des réseaux mafieux et des lobbys véreux comme c’est souvent le cas en Afrique.
Au regard de la situation actuelle, l’enjeu majeur du processus de démocratisation en Guinée ne doit pas résider dans la différence d’opinions ou d’origine, mais dans la recherche et la préservation du bonheur (essence même d’une société démocratique) pour chaque guinéen.
Donner la chance à chacun de s’épanouir doit être la finalité de notre projet démocratique. Une société ouverte et juste vis à vis de ses citoyens est une société non pas de chance, mais de l’ambition et de l’innovation. En d’autres termes, une société qui repose sur des valeurs et des principes applicables et opposables à tous.
Aliou BAH
Homme politique
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