Le chef de cabinet du président de l’Union des Forces Républicaines (UFR) Sidya Touré, Mohamed Tall a accordé une interview à la rédaction d’Afriquevision.info.
Une interview dans laquelle l’ancien Ministre de l’Élevage a fustigé la ‘’gestion’’ du Comité National pour le Rassemblement et le Développement (CNRD). Il est revenu également sur plusieurs questions notamment sur son exil, le discours du Colonel Mamadi Doumbouya au siège des Nations-Unies et l’organisation des prochaines élections présidentielles prévues fin 2024.
Afriquevision.info : comment vivez-vous cet exil forcé ?
Mohamed Tall : C’est toujours un goût amer de vivre en exil. C’est une forme de privation de liberté dans la mesure où on n’est pas libre de rentrer chez soi, mais ça ne m’empêche pas de suivre avec une grande attention l’actualité en Guinée. Et je crois que l’exil est difficile pour tout le monde. C’est vrai que je m’estime par rapport à quelqu’un qui se retrouverait tout seul sans famille à l’étranger contraint et forcé. Moi l’avantage d’avoir la famille ici atténue un peu la souffrance de leurs yeux.
Afriquevision.info : qu’est-ce qu’on vous reproche pour que vous soyez en exil ?
Mohamed Tall : Aujourd’hui vivre en Guinée pour un acteur politique qui ne partage pas les avis du CNRD est devenu un vrai risque. Un risque pour l’exercice de liberté, même pour sa vie tout simplement. Je crois que depuis l’avènement du CNRD en dépit du discours de rupture qui a été tenu par le CNRD à son avènement on a vu un régime se durcir notamment vis-à-vis des acteurs sociopolitiques et de toute voix qui ne serait pas alignée au CNRD. Donc je ne suis pas le seul acteur politique dans cette situation. Et la violence d’état est-elle vis à vis des acteurs sociopolitiques que beaucoup ont été emprisonnés, pas mal qui ont été contraint d’être en exil. C’est malheureusement la situation dans laquelle se trouve notre pays.
Afriquevision.info : à quand votre retour au pays ?
Mohamed Tall : dès que la situation s’y prêtera. Je ne suis pas seul à être impatient de retourner au pays. Dès que les conditions de sécurité seront créées et que tous les acteurs politiques qui sont aujourd’hui contraints de vivre à l’extérieur retourneront au pays pour reprendre leur activité.
Afriquevision.info : aujourd’hui comment voyez-vous la Guinée à distance ?
Mohamed Tall : C’est un pays qui est en danger, qui est entre les mains d’une junte militaire qui est d’abord jeûne, qui n’a aucune expérience, aucune formation et qui malheureusement est d’une extrême violence. Nous sommes malheureusement en train d’assister à la naissance d’une dictature militaire. C’est malheureux à dire mais c’est ça la réalité. Surtout les plans, nous sommes en difficulté. Sur le plan social des foyers de tensions qui se multiplient dans le pays, des tensions communautaires n’ont pas été apaisées bien au contraire. Économiquement vous avez tous suivi depuis une vingtaine de jours la série des scandales financiers. De détournement de deniers publics qui sont dénoncés. Sur le plan politique nous avons vu un blocage complet du processus électoral. Rien n’a été fait. Le chronogramme qui a été vraiment fait pour plaire au CNRD n’arrive pas à être déroulé. Donc vous avez une situation de blocage complet dans un contexte sous-régional extrêmement difficile.
Afriquevision.info: pourtant le Premier Ministre Bernard Goumou avait annoncé qu’il n’y a aucun politicien qui est inquiété par le pouvoir en place. Et d’ailleurs que vous êtes libre de rentrer quand vous voulez. Pour vous ce n’est pas une parole rassurante ?
Mohamed Tall : le CNRD et le gouvernement ne sont pas du tout crédibles. Ce que dit le Premier Ministre n’engage que lui. Mais tous les observateurs sont conscients que ça ne va pas depuis que le CNRD est là. Beaucoup d’hommes politiques sont retournés en prison, d’autres ont été mis sous contrôle judiciaire. C’est une manière de les empêcher de parler et d’autres se retrouvent à l’étranger. Donc le Premier Ministre dit ce qu’il veut, mais ça ne correspond pas à la réalité malheureusement. Si le CNRD et le gouvernement s’engagent aujourd’hui réellement dans la bonne direction je crois que ça ne serait pas des mots comme ça. Ça serait dans les faits. On verra le changement s’opérer et malheureusement on n’en est pas là.
Afriquevision.info: de quel changement faites- vous allusion ?
Mohamed Tall : C’est d’abord créer un cadre de discussion, de permettre aux différents acteurs politiques d’exercer librement leurs métiers. C’est de permettre aux Guinéens d’être libres et que ces libertés-là soient garanties, effectives. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Et quand ces garanties seraient données et qu’on aura constaté réellement qu’on est en train d’aller dans cette direction parce qu’on voit des acteurs politiques agir, faire des manifestations qui sont autorisés sans que l’armée ne tire sur les manifestants, sans qu’il n’y ait d’emprisonnement, les assemblées générales se tiennent librement etc. sans conséquence avec un cadre de dialogue ouvert aux différents acteurs politiques notamment les plus importants qui sont les premiers concernés par le dialogue politique qui aura pour objet de discuter du cadre institutionnel et juridiques des élections. Si on n’a pas ces éléments-là, il est difficile de dire qu’on est en dans une transition positive.
Afriquevision.info : le CNRD a célébré ses deux ans au pouvoir le 05 septembre dernier. Quel bilan tirez-vous de sa gestion ?
Mohamed Tall : C’est un échec malheureusement. Les engagements n’ont pas été respectés. On voit que le service public est en train de disparaître. Économiquement ça ne va pas. Les activités sont en baisse. Et le dialogue politique n’existe pas. Les libertés sont très malmenées. C’est juste pour vous dire que rien ne va et que le CNRD après avoir suscité de réels espoirs à son avènement est une déception pour le Guinéen.
Afriquevision.info : quelle analyse faites-vous au discours du Colonel Mamadi Doumbouya lors de la 78e Assemblée Générale au siège des Nations-Unies lors ?
Mohamed Tall : C’est un discours malheureux qui ternit l’image de la Guinée. On ne peut pas aller à la tribune des Nations-Unies pour s’attaquer à la démocratie. C’est une preuve d’ignorance très grave parce que les Nations-Unies ont pour mission essentielle, la préservation de la paix et de la sécurité. La démocratie est un facteur qui favorise la paix. On ne peut pas dire comme il l’a dit dans son discours qu’il fonde beaucoup d’espoir que l’ONU règle les problèmes auxquels le monde est confronté et qu’il refuse d’accepter le principe cardinal qui est la démocratie qui permet à l’ONU de réussir ces missions. C’est le premier problème que ça pose. Le deuxième problème c’est qu’il fait, une corrélation qui est extrêmement grave et qui traduit son ignorance de concept de réalité et même qui traduit une forme de malhonnêteté de sa part lorsqu’il dit la »démocratie est le problème en Afrique et que c’est à cause d’elle que les élites sont devenues corrompues ».
C’est absolument faux. Si on prend son cas à lui avec son CNRD depuis qu’ils sont là, la démocratie a disparu progressivement. Mais ce n’est pas pour autant que la corruption a disparu bien au contraire. Au fur et à mesure qu’on avait moins de démocratie, il y avait de plus en plus de corruption. Donc lui-même apporte la démonstration que la démocratie n’est pas la cause de malversations ou de détournement au niveau des élites de l’Afrique. La démocratie qu’on le veuille ou pas c’est le système qu’on a qui repose fondamentalement sur deux choses. Vous avez la représentation c’est-à-dire la possibilité offerte aux populations de désigner leur responsable par un système de représentation que chaque pays est libre de définir. C’est un des principes de la démocratie. Le deuxième, c’est le principe de redevabilité. Vous êtes mandaté par vos populations et en retour vous leur devez des comptes. On peut adapter le système à nos réalités autant qu’on veut. Mais nous devons préserver ces grands principes. Et malheureusement il s’attaque à la démocratie sans dire quel système on doit adopter à la place de la démocratie. Il n’a pas dit. Et puis ce qui est extrêmement grave dans son cas quand il s’attaque à la démocratie. Mais lui est venu par les armes. Est-ce qu’il est en train de passer un message comme quoi la voix de la population ne compte plus. Les élections ne comptent plus. Donc si vous voulez le pouvoir il faut prendre les armes ?
En fin de compte dans son discours lorsqu’il dit « les vrais putschistes sont ceux qui manipulent les textes pour se maintenir au pouvoir ». Là aussi j’aimerais prendre son cas où notre cas en Guinée. Si Alpha Condé a modifié la constitution c’est parce qu’il s’adossait sur une frange de l’armée qui réprime les manifestations. Donc il est extrêmement mal placé pour donner des leçons même par rapport aux chefs qui ont modifié la constitution puisque lui fait partie des ceux qui avaient aidé Alpha Condé à réussir à modifier la constitution et faire son troisième mandat. Il est donc doublement putschiste complice d’un putsch constitutionnel et putschiste militaire.
Donc c’est extrêmement grave. Parler de son discours, on sent un ton souverainiste qui est utilisé à des fins bien précises. C’est pour simplement préserver son pouvoir qu’il devienne subtilement souverainiste un peu à la manière africa-ruisse pour utiliser un néologisme que j’aime bien. C’est-à-dire les nouveaux panafricains qui sont en train de nous dire le bonheur des pays africains se trouvent en Russie. Une chose que je ne partage pas. Donc Doumbouya semble se rallier à ce camp. Ce qui est extrêmement curieux. Et puis le discours pour terminer n’a pas de perspective. Ce que Mamadi Doumbouya nous propose c’est d’enterrer la démocratie et de s’asseoir définitivement.
Afriquevision.info : donc vous doutez de la sincérité du chef de la junte Mamadi Doumbouya de faire seulement les 24 mois ?
Mohamed Tall : Il a dit clairement. Il n’y a plus de doute. Doumbouya a levé tous les doutes possibles et imaginables et il a fait aux Nations-Unies. Il dit que la démocratie n’est pas bien. Donc s’il pense que la démocratie n’est pas bien que cela cause tous nos problèmes, malheureusement voulez-vous qu’il organise des élections ? Il ne le fera pas. Ce n’est pas moi qui doute. Plus personne ne doit douter. Il a dit clairement sa volonté de confisquer le pouvoir.
Afriquevision.info : Ce délai est-il tenable sachant que le gouvernement n’a pu mobiliser que 40 millions sur 600 millions de dollars programmés pour ces élections ?
Mohamed Tall : après le discours de Doumbouya tous ces détails deviennent secondaires voir même inutile dans la mesure où tout ça quand on parle d’élections on fait allusion à la démocratie. Or, lui est anti démocratie. Donc c’est un dictateur dans l’âme en réalité. Il faut qu’au-delà même des Guinéens que l’ensemble des acteurs nationaux et internationaux en tirent toutes les conséquences. Doumbouya a décidé de confisquer le pouvoir. Et il a décidé de combattre la démocratie mais sans pour autant nous dire par quoi il va remplacer cette démocratie.
Afriquevision.info : lors du cadre de dialogue organisé par les facilitatrices, les acteurs ont émis le souhait de limitation du mandat des candidats à 70 ans. Et si cela arrive à être maintenu, votre président Sidya Touré n’aura aucun sens de se présenter. Est-ce que vous travaillez déjà dans ce sens pour trouver son successeur ?
Mohamed Tall : la question ne se pose pas. La démocratie même si Mamadi Doumbouya est contre et on voit pourquoi, il a ces genres d’approche. La démocratie veut que ce soit les électeurs qui expriment leur volonté, qui choisissent leurs dirigeants. Et l’UFR est un parti ou la démocratie est vivante. Donc nous sommes derrière notre candidat, notre leader Sidya Touré et on a opté pour ça d’une manière volontaire. Et le jour où le l’UFR décidera que Sidya Touré n’est plus le bon candidat n’incarne pas les meilleures chances, les militants aviserons. Mais pour l’heure, il bénéficie de la confiance totale et sans réserve des militants de l’UFR. Donc par rapport à l’imitation d’âge au niveau de la constitution pour écarter certains candidats ce n’est pas normal. La démocratie ne recommande pas ces genres de pratique. Une fois de plus, il faut laisser les Guinéens compétir et choisir leurs chefs. Ce n’est pas Mamadi Doumbouya qui est contre la démocratie et qu’il ne comprend pas la démocratie de faire la sélection des candidats. Il n’est pas le peuple. Il n’est rien qu’un putschiste.
Afriquevision.info : imaginez-vous une élection présidentielle en Guinée sans la présence de votre leader et celui de l’UFDG Cellou Dalein Diallo ?
Mohamed Tall : Ce sont les deux principaux leaders actuellement en Guinée. Aucune élection ne peut être envisagée sans la participation de ces deux partis. Ça me paraît évident. À moins qu’ils renoncent demain. Mais les écarts me paraissent un peu compliqués. On ne peut pas les écarter d’autorité.
Afriquevision.info : au cas où ces deux figures politiques soient écartées, lequel des politiciens voyez-vous être un bon dirigeant ?
Mohamed Tall : On est loin de tout ça. On ne va pas se lancer dans la politique de fiction. On est face à une junte militaire qui ne veut pas céder le pouvoir.
Afriquevision.info : la Guinée célèbre ses 65 ans d’indépendance ce lundi 02 octobre. Que signifie cette date pour vous ?
Mohamed Tall : C’est comme le nom l’indique. C’est notre indépendance. Mais malheureusement, à 65 ans, force est de constater que le bilan des années de l’indépendance est extrêmement négatif. Je crois qu’il est temps pour qu’il y ait un sursaut national. Et il faudrait que les Guinéens comprennent que la Guinée peut-être autonome, qu’il y des gens bien en Guinée. Il y a des cadres capables de gérer correctement ce pays, capables de faire en sorte que les Guinéens vivent mieux. Mais malheureusement comme dans beaucoup de pays africains notre principal problème c’est le leadership. Il est temps que les Guinéens prennent consciences pour qu’à l’avenir que ce soit dans l’armée, en politique, dans la société civile bref que les élites soient constituées par des gens de qualité. Et surtout celui qui aura la charge de diriger le pays soit quelqu’un qui soit à la hauteur de tout point de vue.
Afriquevision.info: vous avez vu un bain de foule accueillir le Président Mamadi Doumbouya alors qu’il avait interdit les manifestations. Quand dites-vous de cette mobilisation ?
Mohamed Tall : Ça c’est le propre des régimes populistes qui n’ont rien à proposer qui veulent tromper l’opinion publique. C’est ce qu’ils font généralement. Ils mobilisent l’administration à coup d’argent parfois même par contrainte de donner l’impression qu’ils bénéficient de la popularité. Or vous savez que les guinéens savent que tout le monde en a assez du CNRD. On aspire totalement à autre chose. Le populisme là on n’en a assez. On veut un régime responsable qui prend en compte les préoccupations et les aspirations des Guinéens, mais non pas un régime qui va continuer à faire du folklore qui va laisser derrière lui les préoccupations de nos compatriotes
Afriquevision.info : Si vous avez aujourd’hui une opportunité de rencontrer le président de la transition, qu’allez lui dire ?
Mohamed Tall : Est-ce que ce n’est même pas trop tard. Je ne sais pas. Du point de vue de la conception des choses, on est très éloigné de l’un à l’autre. Je ne sais ce que je vais lui dire.
Afriquevision.info : Il y a de suspicion que Sidya Touré a été nommé en Côte d’Ivoire. Est-ce une vraie information ?
Mohamed Tall : Non. Il n’a pas été nommé du tout. Sidya Touré est le président de l’UFR. C’est notre candidat pour la prochaine élection présidentielle. Il a des ambitions nationales en Guinée. Donc il s’occupe de son parti et de l’avenir. Ce n’est pas vrai. Il n’en bénéficie d’aucun décret en Côte d’ivoire. Retrouverez l’intégralité de l’entretien en vidéo ci-dessous.
Entretien réalisé par A. Tidiane DIALLO & Mamadou DIALLO pour Afriquevision.info
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