Tribune. En Afrique, il est un domaine où nous sommes plus prospères qu’ailleurs, c’est celui du nombre d’institutions, de services, de politiques ou de stratégies créés pour faire face aux différents défis.
Dans nos pays, on multiplie ainsi les politiques, on cède à la création effrénée des services et des départements ministériels, souvent pour faire la même chose. Ceux-ci finissant davantage par se concurrencer plutôt que d’agir, plus préoccupés par la justification de leur existence que par la recherche de l’efficacité. Nous oublions ainsi que le plus important est le résultat et non les moyens engagés. On en vient, comme le déplore l’économiste togolais Kako Nubukpo dans son dernier livre, à célébrer les moyens, voire les intentions plutôt que les résultats !
A l’échelle régionale, les mêmes constats sont malheureusement de mise. Nous sommes champions dans la création et la superposition d’institutions, souvent du fait de circonstances particulières, voire de décisions exogènes. L’exemple de la CENSAD, une organisation qui ne doit sa création qu’à la volonté de l’ancien Guide libyen en est la preuve. Dans une certaine mesure, c’est également le cas du G5 Sahel qui ne serait sans doute pas ce qu’il est aujourd’hui sans la forte induction de la France.
Alors que sur le même espace, existent des organisations ayant des fonctions similaires à certaines du G5 Sahel comme le Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS), le Liptako Gourma, le Comité du bassin du lac Tchad, voire l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ou la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Il en est également des similitudes entre l’UEMOA et la CEDEAO obligeant d’ailleurs ces deux institutions à mettre en place un cadre de coopération et un secrétariat technique commun de manière à rationaliser leurs interventions. Quid de l’Union du Mano River et de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) avec des vocations de développement autour des fleuves, ou encore du Conseil de l’entente et de la CEDEAO ?
Rationaliser les dispositifs institutionnels
Si toutes ces organisations devaient réunir régulièrement et distinctement les sessions de leurs Conseils des ministres, et de leurs sommets des chefs d’Etat, les leaders ouest-africains n’auraient pas le temps de s’occuper de leurs pays respectifs, et iraient de sommet en sommet ; pour dire souvent la même chose et prendre les mêmes décisions ! C’est d’ailleurs ce qui les oblige parfois à jumeler les sessions des instances de ces différentes organisations ; c’est la preuve que nous devons aller vers une rationalisation des dispositifs institutionnels en Afrique de l’Ouest.
Il est donc urgent de restructurer l’environnement institutionnel régional pour lui donner une cohérence indispensable à ses ambitions politiques et socio-économiques. Il est souhaitable de baliser le chemin vers ce nouvel ordre politique et institutionnel dans la région ouest-africaine.
Pour ce faire, une vision claire et commune de l’intégration politique et économique est indispensable afin de lui donner un visage institutionnel approprié. Ce qui ouvrirait des perspectives claires en termes de processus de réalisation.
Stopper la tendance à la création d’institutions
La vision pourrait être de disposer en une décennie (horizon 2030), sur l’espace ouest-africain, d’une seule organisation politique inter-étatique compétente sur toutes les questions que les Etats souhaiteraient aborder ensemble. Ceci baliserait le chemin vers la réalisation, dans un second temps, de la fédération ouest-africaine des Etats.
Dans cette optique, notre institution commune, la CEDEAO, préfigure cette organisation. Elle doit être dotée de la légitimité nécessaire pour cela.
Le processus de rationalisation institutionnelle doit partir de la décision stratégique de stopper la tendance à la création d’institutions, d’agences, de projets régionaux susceptibles de contraindre la réalisation de la vision définie et partagée par les Etats.
Une seule organisation politique
Dans un second temps, il conviendra d’ouvrir une période transitoire relative à la transformation progressive des organisations actuelles en agences techniques de la CEDEAO sur les questions pour lesquelles elles disposent de compétences avérées et qui sont jugées pertinentes par les Etats.
En parallèle, il conviendra de supprimer celles dont la justification n’est pas probante, notamment celles ayant une compétence territoriale et non sectorielle (G5 Sahel, Conseil de l’Entente,…). Le regroupement de certaines autres entités, plus homogènes et efficientes, peut être envisagé. En outre, il sera nécessaire de transférer certaines attributions des unes aux autres avec le souci d’éliminer toute concurrence et rationaliser au maximum les organisations et les coûts.
À la fin de ce processus de réformes, pouvant durer une décennie, l’Afrique de l’Ouest pourrait disposer d’une seule Organisation régionale politique, exerçant des missions confiées par les Etats, dotée de politiques et de stratégies mises en œuvre par ses structures y compris ses agences techniques spécialisées. Elle disposera d’un système de financement stable avec des compétences claires : le pilotage politique de la région, la mise en œuvre de la solidarité entre les Etats, le soutien à l’intégration et surtout la facilitation du développement économique et socioculturel endogène et harmonieux. Elle sera forte et orientée uniquement vers les intérêts de la zone.
Après cette étape, cette Institution pourrait engager une phase de plus forte intégration conduisant au fédéralisme ouest-africain. Avec l’ambition de réaliser, sur une autre décade, à l’horizon 2040, une Afrique de l’Ouest politiquement unie et qui sera la première puissance économique du Continent. Cet espace, le plus peuplé du Continent, profondément intégré, entraînera les autres communautés régionales vers l’unité à laquelle aspiraient les fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963. Peut-être sera-t-il possible de parvenir à cette unité politique continentale d’ici le centenaire de la défunte organisation, afin de faire converger l’intégration africaine avec la prospérité économique déclinée dans l’Agenda 2063 ?
Par Moussa Mara
www.moussamara.com