Le 28 septembre 2009, le monde fut témoin de viols et d’assassinats en plein jour contre des guinéens non-armés dans un stade sportif à Conakry en Guinée. Ces guinéens manifestaient pacifiquement pour exiger que la junte militaire du CNDD qui s’était emparé du pouvoir en Décembre 2008 restaure la constitution et organise des élections.
Par suite des assassinats et viols, une commission de l’ONU fut mise en place pour conduire des enquêtes. Elle conclut que les massacres et les viols étaient prémédités et étaient des crimes contre l’humanité. Elle mandata que les coupables soient traduits en justice. Des examens préliminaires furent ouverts par la Cour Pénale Internationale.
Dix ans d’efforts de la communauté internationale foulés à pied
Durant les 10 dernières années, le procureur de la CPI, Madame Fatou Bensouda a effectué plusieurs visites en Guinée pour évaluer l’avancement des enquêtes. À chaque visite elle a fait le même constat : celui de manque de progrès et elle a considéré l’éventualité d’une enquête officielle de la CPI.
En même temps, il y a eu des visites d’experts de l’ONU qui constatèrent la situation lamentable des victimes et l’inadéquate préparation des enquêteurs actuels. Pour y remédier, ils promirent de l’aide pour la protection des témoins ainsi que l’assistance d’expertise légale aux juges nommés par le gouvernement guinéen. Ces juges sont des magistrats anonymes. Ils indiquent avoir entendu plus de 400 victimes et inculpé une vingtaine d’officiers et de fonctionnaires. Toutefois, tous les inculpés sont, non seulement en liberté, mais ils occupent des postes élevés dans l’administration et dans les forces de sécurité.
Madame Zainab Bangoura, alors représentante spéciale de l’ONU sur la violence sexuelle dans les conflits et Madame Sarah Sewall, sous-secrétaire d’état américain effectuèrent une visite conjointe en Guinée. À son issue, elles invitèrent les autorités guinéennes à accélérer la justice pour les victimes des crimes du 28 Septembre 2009. Une assistance financière de 1,4 millions de dollars des États-Unis fut allouée au ministère guinéen de la justice.
Dix ans de manœuvres dilatoires du gouvernement guinéens
A ces efforts de la communauté internationale, M. Alpha Condé et les ministres de la justice guinéens ont répondu par des manœuvres dilatoires. Ils ont déployé une panoplie de mesures pour un sabotage concerté du processus judiciaire.
Ils ont fait de l’amalgame avec des crimes passés. En particulier, on peut noter la déclaration du président guinéen en octobre 2014 par laquelle, il demanda publiquement que les poursuites contre des accusés de crimes contre l’humanité soient purement simplement abandonnées. La raison qu’il avança fut que de nombreux crimes ont été commis dans le passé par les gouvernements en Guinée.
Ils ont fait des promesses de tenue des procès qu’ils ont systématiquement trahies avec des multiples excuses dont des contraintes financières. Ceci, en dépit des soutiens conjugués de l’Union Européenne, de l’ONU et des États-Unis pour l’organisation des procès.
Il y a plus de trois ans, lors d’une visite au siège de l’ONU en mars 2016, M. Check Sako, le ministre de la justice eut une rencontre avec des représentants de la communauté guinéenne. Il annonça les procès pour l’année suivante. Peu de temps après le ministre repoussa à la fin de l’année 2017 sans donner une date précise. À cette occasion, le ministre fit flotter le spectre de risques venant des forces de sécurité comme raisons du retard. Il lui fut rappelé que des soldats guinéens ont été accusés de tentative de coup d’état et rapidement condamnés par son gouvernement sans aucune réaction de l’armée.
- Alpha Condé et les ministres de la justice guinéens ont cherché à assimiler ces crimes à des ethnies. Le président guinéen a décidé de faire des massacres une arme de divisions tribales et d’affaiblissement des forces sociales de la nation à des fins politiciennes. Il dilue les responsabilités individuelles des présumés coupables derrière des culpabilisations ethniques collectives
On pourrait multiplier les exemples d’obstruction de justice sur ces crimes contre l’humanité par l’administration de M. Alpha Condé. Durant les 10 dernières années, plusieurs organisations guinéennes et africaines, des institutions de l’ONU, ainsi que des agences de l’Union Européenne et des USA ont rappelé au gouvernement guinéen l’impérieuse nécessité de radier de l’administration les officiers, de juger les accusés et de compenser les victimes. En vain.
Récemment, dans un acte de moquerie à la communauté internationale, les autorités guinéennes ont disqualifié les conclusions de l’ONU et ravalé les crimes de septembre 2009 en simples crimes ordinaires.
Dix ans de mépris et d’abandon des victimes !
Les femmes violées sont les victimes d’une forme abjecte de violence politique. Elles vivent traumatisées, dans un état d’abandon total, sans soutien social et sans support économique. Ce manque de protection de victimes au bas de l’échelle social se double d’une collusion du gouvernement avec des criminels présumés. Cette situation est une forme de banqueroute morale que notre collectif condamne sans appel.
Dix ans de déni de justice– ça suffit !
Pour marquer les dix ans de déni de justice et d’impunité des crimes contre l’humanité de 2009, des femmes guinéennes et africaines ont décidé de constituer un Collectif solidarité femmes violées pour interpeller les organisations des droits de l’homme, les agences multilatérales et bilatérales de développement ainsi que les citoyens guinéens dans leur ensemble.
Le gouvernement guinéen a été sourd à tous les appels sur son devoir de protection des citoyens. En vue de le rappeler à l’ordre, nous demandons au conseil de sécurité de l’ONU de voter une résolution conditionnant toute aide multilatérale ou bilatérale au gouvernement de M. Alpha Condé à des progrès tangibles sur la protection des innocentes victimes, en particulier les femmes.
En même temps, nous demandons à l’ONU de mettre en place un comité humanitaire ad-hoc pour soutenir les victimes et leurs familles.
Étant donnée la volonté manifeste du gouvernement guinéen de saborder la justice sur le dossier des crimes contre l’humanité de 2009, nous exigeons que la CPI prenne en charge les enquêtes et procède à l’organisation des procès des accusés ; à l’instar des procès de la Sierra-Léone.
Avec 10 ans de déni de justice dans notre pays, les criminels politiques sont devenus plus que jamais arrogants. Nous voudrions rappeler aux dirigeants politiques et à la société civile que leur léthargie au cours des dix années de déni de justice a enhardi Alpha Condé et ses complices. L’impunité dont ils ont bénéficié a conduit à la tentative illégale du coup constitutionnel en préparation.
Plus que jamais, la vie et l’avenir de millions de citoyens guinéens sont en danger. Cependant, le chaos qui se profile n’est pas inévitable. Pour le prévenir, il est essentiel d’intensifier la lutte pour que justice soit rendue aux victimes de viols et d’assassinats politiques et – plus généralement – d’éliminer l’impunité en Guinée.
Par le Collectif solidarité femmes violées