Est-ce un hasard ? C’est au moment où de nouveau, son pays est à la une que Moustapha Dicko raconte de l’intérieur et avec le bout de la lorgnette, la chute du dictateur, Moussa Traoré.
Ce vieux loup de la politique malienne sait de quoi il parle : Il fut l’un des acteurs majeurs de la vie publique de ces 30 dernières années. Ancien ambassadeur à Ouagadougou, plusieurs fois ministre, il a collaboré avec Alpha Oumar Konaré et IBK, ATT et Dioncounda Traoré au gré des alliances et des brouilles qui ponctueront la valse des gouvernements.
Cet épisode de l’histoire du Mali mérite qu’on y revienne. Dans la foulée des changements politiques intervenus au début des années 90, l’expérience malienne est unique, en effet. Au Bénin, au Togo, au Congo, au Zaïre, tout en vacillant, les régimes en place se sont plus ou moins arc-boutés à leurs fauteuils malgré la saison chaude des révoltes populaires et des conférences nationales.
Au Mali, le système en place n’a pas tenu, il s’est effondré comme un château de cartes. Et pour cause, à Bamako, la poussée populaire tenait sa force de deux qualités indéniables : une conscience politique aigüe et un degré d’organisation rarement atteint dans cette portion du globe. Comme aujourd’hui, le grand tremblement malien avait touché toutes les classes d’âge et toutes les couches sociales. Et au final, les officiers les plus intelligents et les plus réalistes avaient rejoint le peuple et fait pencher la balance.
Moustapha Dicko nous restitue avec force détails, la genèse de ce mouvement qui a induit le régime démocratique que, cahin-caha, le Mali vit encore aujourd’hui. On y voit des enseignants, des employés de banque, des boutiquiers, des chômeurs et des garagistes, se hisser au rang de l’Histoire grâce à leur conscience civique, leur courage et leur détermination.
Quand commence le livre, personne n’avait entendu parler d’Alpha Oumar Konaré, d’IBK, de Soumaïla Cissé ou de Dioncounda Traoré. Ces grandes figures du paysage politique malien, Moustapha Dicko les a fréquentées aux premiers moments de la lutte, aux heures tardives des messages secrets et des réunions clandestines, notamment. Ces hommes amateurs et anonymes étaient loin de se douter que leurs fébriles agissements allaient aboutir aux folles journées de Janvier-Mars 1991 qui mirent fin au régime de Moussa Traoré après 23 ans de terreur et de léthargie.
Grâce à la rescousse de l’armée, on avait évité le chaos et la très belle transition d’ATT (Assimi Goïka s’en inspirera-t-il ?) avait favorisé une élection présidentielle plausible et incontestée. Le mandat d’Alpha Oumar Konaré n’en sera pas pour autant un long fleuve tranquille. Les gradés veillent au grain sitôt, son investiture et certains compagnons de lutte ont vite fait de tourner casaque. Après un premier mandat terne, celui-ci réussira cependant à impulser de profondes réformes structurelles dont le Mali continue de bénéficier encore aujourd’hui. Mais l’usure du pouvoir et les ambitions personnelles finiront par affaiblir l’Adema, le parti présidentiel : en 2002, IBK premier ministre et Soumaïla Cissé, le ministère de l’économie et des finances, claquent la porte et forment leur propre formation politique.
Le camp démocratique se fissure, épuisé par les querelles de personnes déguisées en contradictions idéologiques. Nombreux, opposés les uns autres, ses candidats sont battus aux urnes. ATT revient, dans un costume civil, cette fois. Celui-ci fait du consensus mou la doctrine de son pouvoir. Tout le monde va à la soupe. Il flotte dans le pays un air de parti unique. C’est le relâchement général. On renonce à tout ce qui hier, faisait sa gloire et sa renommée. On négocie ses convictions à bas prix contre un bakchich ou un strapontin. La démocratie malienne que l’on donnait en exemple, perd ses couleurs et vire au gris.
Pour Moustapha Dicko, c’est de là que datent les prémices de cet Etat malien décadent dont on mesure toutes les conséquences aujourd’hui. En ce sens, aussi rocambolesque que fut le coup d’Etat du capitaine Amadou Haya Sanogo découle d’une logique qui remonte à cette époque-là. Profitant de l’affaiblissement de l’Etat, des djihadistes lourdement armés (ils ont puisé dans le lourd stock laissé par Khadafi) passent la frontière, investissent Kidal, Tombouctou et Gao, proclament la République de l’Azawad.
IBK qui c’est vrai, ne maîtrisait aucun dossier, n’est cependant pas responsable de tout. Le ver était déjà dans le fruit. Les causes profondes du chaos malien ne datent pas d’aujourd’hui. Il a simplement manqué les bons yeux pour les percevoir et les bonnes mains pour les contenir. Reconnaissons cependant qu’il n’est pas facile de diriger un pays comme le Mali. Le pays est géographiquement trop grand, humainement trop divers (autant multiethnique, multiracial que multiconfessionnel !). Ses frontières sont trop longues et trop peu sûres. Quand on est entouré de pays aussi compliqués que l’Algérie, la Mauritanie, le Niger, la sécurité n’est jamais tout à fait gagnée même si elle peut être préservée avec un minimum d’intelligence politique.
Le livre de Moustapha Dicko nous montre justement avec le talent de l’écrivain et l’analyse pointue de l’homme d’Etat comment, combinée aux menaces du dehors, l’irresponsabilité de nos hommes politiques peut nous mener au gouffre.
Ouf, la révolte populaire appuyée par les religieux et par la frange la plus clairvoyante de l’armée, a eu raison du régime médiocre d’IBK ! Ce qui m’amène à poser deux questions :
-Le pays réussira-t-il, pour autant une transition constructive ? Rien n’est clair pour l’instant
-Cela risque-t-il d’arriver en Guinée ? J’en doute fort. Notre pays, hélas, ne dispose ni de soldats ni de marabouts dignes de ce nom.
En attendant, les nuages les plus sombres, les plus lourds, planent sur notre région. Au Sahel, sévit le virus du djihadisme ; en Guinée et en Côte d’Ivoire, celui du troisième mandat.
Avenir, où es-tu ?
Tierno Monénembo, in VisionGuinee.Info
Mes pensées perdues de Moustapha Dicko, 148 pages, Editions Jamana, Bamako.