La lutte contre le covid-19 exige une grande « coordination des forces » de la nation. Nous entendons cela presque tous les jours. Ce besoin de coordination est tel que les instruments mobilisés s’apparentent à une « logistique militaire ». Les Présidents presque de tous les pays ont crié haut et fort que leurs Nations sont en guerre.
Le recours au vocabulaire de guerre galvanise, mais il n’est pas sans risque. Il encourage le silence, conduit au recul de l’esprit critique et à des décisions émotionnelles non fondées sur des évidences.
Ces derniers jours, j’ai entendu beaucoup d’amis s’indigner avec sincérité :
• des critiques de certains, qualifiés souvent de sabotage ;
• du manque de « responsabilité individuelle, de discipline », appelant ainsi à une mobilisation des forces de défenses et de sécurité pour un « encadrement fort des citoyens » par l’Etat [1].
Cela est cohérant avec le discours martial et la peur que suscite la crise sanitaire. En effet, un pays en guerre a besoin de conserver l’enthousiasme des soldats. C’est pourquoi, les populations sont souvent exhortées à l’enthousiasme, à ne pas révéler les secrets (car les difficultés doivent restées secrètes) et les erreurs pour ne pas décourager les soldats. Globalement, les populations sont encouragées à ne parler de rien, sauf à se réjouir des efforts des soldats et du « commandement ».
Pour les mêmes raisons, une économie en guerre, comme c’est le cas avec covid-19, a besoin de conserver l’enthousiasme des travailleurs. Dans ce contexte le reflexe le plus partagé est la pratique de la censure, de la propagande et enfin de la répression des opinions « jugées réactionnaires » si les deux derniers instruments échouent.
Pourtant, lorsque les problèmes sont complexes et que les solutions ne sont pas évidentes, le débat conduit à des opinions éclairées, à alerter les décideurs et à l’identification les solutions fondées sur des évidences. C’est une force des sociétés démocratiques et plurielles. Une presse libre et le fonctionnement démocratique (notamment le respect des droits des individus) contribuent largement à la diffusion de l’information et celle-ci joue un rôle majeur dans les politiques de prévention, en rendant compte des risques de crise ou d’un début de crise. Ceci a été largement traité dans la littérature économique (voir notamment les travaux de A. Sen)
Même le Président Mao, fort apprécié par les adeptes d’approches autoritaires, voire dictatoriales de certains pays asiatiques, reconnait les vertus informationnelles de la démocratie. Il disait « sans démocratie, vous n’avez aucun moyen de comprendre ce qui se passe à la base, la situation reste obscure, vous êtes incapables de rassembler les opinions de tous les bords, il n’existe pas de communication entre le bas et le haut, les organes de direction s’appuient sur des données partiales et incorrectes pour prendre leurs décisions et il vous est difficile d’éviter le subjectivisme, il vous est impossible d’atteindre l’unité de compréhension et l’unité d’action, impossible de réaliser le véritable centralisme »[2] .
La lutte contre le covid-19 aussi bien en Chine et que dans les pays occidentaux a révélé que les positions des pouvoirs publics ont évolué au gré des débats. Les positions, qui étaient au début combattues par les pouvoirs publics, furent les leurs en quelques semaines. Dans ces pays, toutes les options, ou presque toutes, ont fait l’objet de débat à travers les médias et les réseaux sociaux : confinement ou pas, port de masque ou pas, chloroquine ou pas. Les guinéens et leurs dirigeants doivent s’inspirer de ces leçons.
En ces périodes difficiles, marquées par beaucoup de défiance à l’endroit des élites politiques et économiques de notre pays, il est important que les structures publiques engagées dans la lutte contre le covid-19 sachent que la confiance des populations est essentielle dans ce combat et qu’elle requiert de la transparence, de la pédagogie et de l’ouverture d’esprit de la part des acteurs publics.
Les médias doivent également être conscients qu’ils ont un majeur pour « coordonner efficacement » la société et conduire à des opinions majoritaires éclairées et guidées par des évidences. Il sera impossible d’espérer une quelconque unité d’action sans leurs concours.
Or ces médias, notamment ceux privés, seront dans le temps fragilisés par la crise. Avec la crise économique qui s’annonce à l’horizon, les recettes publicitaires des médias pourraient drastiquement baisser. Les recettes liées aux couvertures d’évènements vont disparaitre. C’est pourquoi, le plan de soutien de l’Etat devrait intégrer quelques lignes spécifiques pour ces médias. Cela étant dit, ce soutien devrait se faire dans le respect de l’indépendance des médias privés et de la pluralité des opinions. Il n’est pas question ici d’en faire des instruments de propagande.
Un tel soutien s’inscrirait juste dans un soutien à la diffusion de l’information dans un contexte de crise pour éviter que les rumeurs et les théories de complot ne prennent le dessus.
Dans cette même perspective les opérateurs téléphoniques devraient baisser les tarifs des appels et d’internet. Cela contribuerait d’abord à faciliter la diffusion de l’information et à rendre plus supportable le confinement qui s’imposera probablement dans les semaines à venir si la situation se détériore. Il faut savoir qu’à une certaine taille que le coût marginal de la production des services téléphoniques et des services d’internet est très faible.
Donc débattons, débattons et réduisons les coûts du débat et de l’accès à l’information.
Donc, débattons, car c’est aussi la preuve que nous sommes en vie malgré la peur de mourir et que chacun de nous est à la recherche de solution pour tous.
Mamadou BARRY, Economiste, PhD
Enseignant Chercheur
[1] La vérité est que même les Etats sont à la recherche de solution. Donc, confier tout à l’Etat correspondrait à plus une démission à un moment où la nation a besoin des idées et ressources de tout un chacun.
[2] Cité par A. Sen (1999) dans « Un nouveau modèle économique : Développement, Justice Liberté », Paris, Odile Jacob.