Tribune. Les pays africains sont confrontés à de multiples problèmes qui résultent essentiellement de la faiblesse des États. Cette faiblesse se traduit de manière concrète par l’incapacité des administrations à apporter des réponses aux besoins des populations. L’administration est ici appréhendée au sens large comme l’ensemble des pouvoirs publics, l’administration centrale et déconcentrée ainsi que les collectivités locales. La construction des administrations en Afrique, et particulièrement en Guinée, me paraît être un impératif pour rendre plus solides les structures de l’État et renforcer la résilience de l’économie en vue de mieux répondre aux aspirations des populations.
La Guinée est frappée par la pauvreté, l’insécurité, un système éducatif défaillant, des hôpitaux délabrés et des infrastructures routières extrêmement dégradées. Cette situation catastrophique s’explique par ce qu’il convient d’appeler « la mauvaise gouvernance » qui résume en fait l‘ensemble des pratiques déviantes de l’administration. Ce sont ces pratiques qui sont à l’origine de l’affaiblissement de l’administration et qui constituent conséquemment les causes profondes des multiples problèmes auxquels nous sommes confrontés en Guinée.
Compte tenu du niveau de déliquescence de l’État en Guinée, l’ambition tout à fait légitime de construire des institutions fortes passe par une meilleure gouvernance impulsée par un leadership de qualité
Durant de longues années, bon nombre de Guinéens avaient de manière consciente ou pas admis l’idée que les maux qui rongeaient et qui continuent de ronger la Guinée relevaient de la fatalité. Aujourd’hui, force est de reconnaître qu’une prise de conscience collective favorise progressivement une mutation des mentalités. De plus en plus de Guinéens, y compris ceux des régions rurales du pays, établissent une corrélation entre la qualité de la gouvernance et la qualité du leadership.
Sans vouloir contredire l’ancien président des États-Unis, Barack Obama qui a dit que « l’Afrique a besoin des institutions fortes et non d’hommes forts », j’estime qu’effectivement la finalité pour nos pays est d’avoir des institutions solides mais, dans le cas guinéen, nous avons besoin dans un premier temps d’un leadership éclairé et fort pour entrainer une véritable rupture avec les pratiques actuelles.
Compte tenu du niveau de déliquescence de l’État en Guinée, l’ambition tout à fait légitime de construire des institutions fortes passe par une meilleure gouvernance impulsée par un leadership de qualité. A cet impératif de leadership, il me paraît important d’énumérer cinq autres conditions pour construire une administration efficiente.
Il s’agit d’abord de la lutte contre la corruption : c’est le véritable cancer de nos États qu’il convient absolument d’éradiquer si nous voulons avoir dans nos pays des administrations capables de répondre aux attentes des populations et d’impulser un véritable développement socioéconomique. C’est, assurément, à mon sens, le premier facteur d’affaiblissement des administrations en Afrique, particulièrement en Guinée.
L’allocation des budgets ministériels n’est ni en relation avec les besoins de l’administration ni même avec les objectifs assignés à chaque département
Le deuxième impératif est celui de la définition, de la simplification et de la sécurisation des procédures par l’informatisation de l’administration. Il s’agit d’un facteur important pour rendre plus performante l’administration. Trop souvent, les dysfonctionnements administratifs s’expliquent soit par des imprécisions au niveau des procédures ou alors par le manque de sécurisation lié à la non informatisation des procédures. Cette situation favorise la corruption et rend le suivi extrêmement difficile par manque de traçabilité. Il convient de remédier à cette situation.
Troisième urgence, l’amélioration des capacités de l’administration, notamment au niveau de la coordination et du suivi. On est là au cœur même de l’action administrative. C’est le rôle principal de l’administration. Et, pour réussir cette mission, nous avons besoin à la fois de renforcer les capacités individuelles et les structures en vue de permettre une meilleure organisation et une efficacité plus accrue dans l’action administrative.
Le quatrième chantier est celui de l’élaboration et de l’exécution du budget. Pour accomplir sa mission, l’administration dispose de trois moyens, à savoir : les ressources humaines, les moyens matériels (équipements) et le budget. Ces trois ingrédients doivent être réunis et alignés pour que l’administration puisse accomplir sa mission. Tel n’est pas le cas en Guinée malheureusement. Non seulement le personnel et les équipements sont-ils insuffisants, mais surtout le mode d’élaboration et d’exécution du budget pose problème. L’allocation des budgets ministériels n’est ni en relation avec les besoins de l’administration ni même avec les objectifs assignés à chaque département. Il faut y ajouter le faible taux d’exécution du budget et le caractère aléatoire de cette exécution.
Il convient d’améliorer cet état de fait en élaborant des budgets qui satisfassent les besoins des départements ministériels et qui permettent d’atteindre les objectifs consignés dans les différentes lettres de missions des ministres. La précision dans les tâches et les missions des ministères devrait conduire progressivement à la mise en place des budgets pluriannuels. C’est de cette manière que l’on pourra rationaliser l’utilisation de nos ressources pour une grande efficacité dans l’action de l’administration publique.
Enfin, et ce n’est pas l’exigence la moins importante, il faut instaurer la reconnaissance du mérite. L’administration doit cesser d’être perçue comme un employeur peu ou pas du tout exigeant. Les agents publics, à commencer par les fonctionnaires, doivent se sentir davantage concernés par leur travail. Ceci passe à mon avis par une responsabilisation plus effective du personnel administratif entrainant donc des sanctions positives et négatives. Cette mutation de l’administration permettra d’introduire davantage de rigueur et d’engagement de la part des travailleurs.
Il existe de nombreuses opportunités de financement à travers le monde dont des pays comme la Guinée ne profitent pas car leurs administrations n’ont pas la capacité d’absorber ces financements à cause de la faiblesse des administrations
Il est important de rappeler que l’administration est le principal instrument permettant d’impulser un véritable développement économique. Sans une administration performante, toute politique de développement serait une gageure. Dans le contexte international, il est évident que les États africains pourraient tirer un grand avantage en ayant des administrations fortes. Il existe de nombreuses opportunités de financement à travers le monde dont des pays comme la Guinée ne profitent pas car leurs administrations n’ont pas la capacité d’absorber ces financements à cause de la faiblesse des administrations.
Pour ma part, je reste convaincu que la Guinée et d’autres pays africains pourraient saisir davantage d’opportunités si leurs administrations réussissaient à améliorer leur capacité de conception et de mise en œuvre des projets, améliorer leur planification, et améliorer la qualité des politiques publiques sectorielles. Au-delà des projets de société que les différents candidats aux élections pourraient proposer, il est impératif de mettre en place des administrations performantes pour un développement durable en Afrique.
Mohamed Tall
Ancien ministre, Mohamed Tall est directeur de cabinet du président de l’Union des forces républicaines (UFR), parti politique guinéen