Un fait inédit dans l’histoire de l’humanité s’est produit à Conakry le mardi 22 août 2017. Les ordures ont tué des citoyens. L’éboulement d’une montagne d’ordure sa fait une dizaine de morts et plusieurs blessés.
La catastrophe a eu lieu dans le quartier de Dar-es-Salam, commune de Ratoma, l’une des zones les plus peuplées de la capitale guinéenne. Cette tragédie prouve une fois de plus qu’on aura tout vu et vécu en Guinée. Un pays, le nôtre, le seul au monde où les ordures immolent les citoyens. On pourrait s’attendre à tout sauf à cela.
Nous avons faussé l’indépendance en instaurant une dictature, raté la sortie de cette dictature par la prise du pouvoir par les militaires, aggravé ce ratage avec l’avènement du comité national pour la démocratie et le développement (CNDD) en 2008.
Le comble arrive sous le pouvoir du Rassemblement du Peuple de Guinée (RPG). Que reste-t-il pour nos populations maintes fois victimes de la répression des différents systèmes politiques de 1958 à nos jours et qui sont désormais exposées au danger des dépotoirs et des ordures ? Des déchets entassés dans tous les quartiers, toutes les communes et qui, sous l’effet de la pluviométrie, des inondations et autres intempéries, constituent désormais les nouvelles menaces pour la vie des gens.
Il est incontestable que les morts et blessés de Dar-es Salam ne sont pas des victimes comme les autres. Ce sont des victimes d’une mal gouvernance ordurière incapable d’assurer l’assainissement urbain de la capitale. Cette incapacité avait été constatée par le président turc qui, lors de sa visite d’Etat en Guinée en mars 2016 ne s’est pas gêné de faire une remarque très diplomatique à son homologue guinéen. Ce dernier rapporte lui-même les propos de Monsieur Erdogan : « (…)
Le président turc a eu le cœur très serré en voyant les maisons de Conakry. Lorsqu’on quittait l’aéroport pour Kaloum, il y avait beaucoup de drapeaux, mais il regardait les maisons, les ordures. Il m’a dit, mais président, ce ne sont pas ces maisons qu’il faut pour Conakry ». Cette information donnée par Médiaguinée dans sa publication du 4 avril 2016 montre l’état de la capitale guinéenne il y a déjà un an.
Un étranger de marque avait remarqué la « laideur repoussante, les saletés dans la rue ou flottant dans le caniveau, les embouteillages, le désordre que Conakry revend… à la pelle » dixit Médiaguinée et que les autorités nationales semblaient en pas voir.
La capitale guinéenne offre au visiteur un spectacle de désolation tant la ville est délabrée et mal entretenue. Pourtant, pour parier à ce « spectacle » d’une ville délabrée, des citoyens, en l’occurrence une citoyenne, a tout fait pour rendre Conakry ses lettres de beauté. Il s’agit de Mme Halimatou Diallo, l’épouse de Cellou Dalein, président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG).
Depuis des années cette dame se bat pour assainir la capitale en sillonnant quasiment tous les quartiers afin de sensibiliser et mobiliser les citoyens pour ramasser les ordures et rendre Conakry respirable. Elle est l’une des rares personnes, pour ne pas dire la seule, qui a tout fait pour que ce qui s’est produit à Dar-es Salam n’arrive pas. Elle s’est investie, donné l’alerte mais que peut-on dans un pays où la médiocrité est le meilleur gage de réussite ? Que peut une personne seule face à l’irresponsabilité de tout un système ?
A voir notre capitale, on se demande s’il y a d’institutions étatiques, de services d’assainissement, de ministère d’urbanisme, d’autorités gouvernementales, communales et de gouvernorat dédié à la ville. Même un pays, comme Haïti qui a été victime en janvier 2010 d’une des pires catastrophes naturelles de l’histoire est plus salubre que la capitale guinéenne. Conakry inspire tout simplement la honte pour notre peuple, témoin impuissant d’un fait tragiquement insolite : l’engloutissement d’humains par les ordures.
Les montagnes de déchets sont plus hautes que les maisons et rivaliseront sous peu avec le Mont Kakoulima située à une cinquantaine de kilomètres. Je parie qu’elles finiront par masquer la fumée qui en sort et qui donna la métaphore « le chien qui fume » attribuée à ladite montagne. Il ne serait pas étonnant qu’elles engloutissent la ville auparavant. Ironie tragi-comique ? Aucunement ! Constat amère et blessure d’un patriote fier de son pays et amoureux de Conakry naguère ville convoitée de toute l’Afrique occidentale française (AOF). Ressentiment d’un Guinéen triste de voir que le peu d’urbanisme laissé par les colons s’est inexorablement délabré avec le temps et à cause de l’irresponsabilité des autorités. Hélas, la capitale guinéenne, dont la beauté de la presqu’ile de Kaloum, figure dans les manuels scolaires de l’AOF, est en train de se transformer en cimetière ouverte.
L’absence d’égouts, la pluviométrie – l’une des plus élevées d’Afrique avec de 4000 millimètres en quelques mois -, les chaussées défoncées, le manque total d’entretien, l’irresponsabilité des gouvernants et l’incivisme des gens risquent de produire d’autres tragédies. Il est déshonorant pour les autorités guinéennes d’offrir au monde des images dignes d’un film d’horreur du fait de leur incapacité.
Ces images où des citoyens sont extirpés d’un éboulement d’ordures ne sont pas gratifiantes aux responsables gouvernementaux dont le premier parmi eux. S’empresser de pointer son nez au lien d’une telle tragédie qui n’avait pas lieu d’être pour promettre, s’apitoyer sur les sort des victimes et de leurs familles ne convainquent personne. A quoi ça sert de venir clamer aux victimes de la mauvaise gestion du pays que vous prendrez des mesures ? On aurait compris l’attitude votre attitude des si vous aviez fait le minimum pour que la capitale soit entretenue, pour maintenir un peu de salubrité.
En tout cas vous êtes avisés par ce qui vient de se produire. Mais cela servirait-il à quelque chose ? Cela empêchera-t-il d’autres Dar-es-Salam ? En effet, il y a exactement un an, le 8 août 2016, à Dar-es-Salam, le président de l’UFDG, chef de file de l’opposition, dénonçait la mal gouvernance et l’insalubrité de Conakry en ces termes : « … Notre pays est mal géré et c’est pourquoi nous souffrons. (…) Il faut qu’on sorte pour exiger la bonne gouvernance, la démocratie, le respect des accords, la propreté de la ville. Vous payez des impôts, partout. Où va l’argent ? Même les saletés ne sont pas dégagées pour être traitées. Et nous souffrons de maladies… ». Prémonition ? Point du tout.
Une mise en garde avisée qui aurait alertée toute autorité responsable. Malheureusement, plus que les maladies, c’est la mort qui s’est abattue dans Dar-es-Salam et ses habitants. Face à l’inertie de l’Etat et sachant que rien ne sera entrepris par le pouvoir, l’opposition devrait prendre des initiatives novatrices Ce que je propose à l’opposition guinéenne pour prévenir d’autres catastrophes du genre?
Qu’elle impose à tout parti politique devant présenter des candidats aux futures élections communales, communautaires et législatives une feuille de route sur l’assainissement des villes, des communes et des quartiers. Qu’elle exiger un programme précis et un projet de financement que ledit parti devra approuver sur le critère de faisabilité. Faire de ces critères, la condition sine qua none de toute validation de candidatures au sein des circonscriptions électorales. Avec une telle exigence, les candidats de l’opposition auront montré qu’ils se soucient du bien- être quotidien des électeurs et augmenteraient leur chance de victoire. Enfin, l’opposition prouvera une fois de plus qu’elle constitue l’alternance. En tout cas, il faudrait que cessent les larmes de crocodile d’autorités gouvernementales incapables d’assainir la capitale et n’importe quelle ville du pays et qui s’empressent d’aller présenter des condoléances ou assister à l’enterrement de victimes d’ordures. Si les responsables d’une nation sont incapables de gérer les décharges d’ordures, elles ne pourront aucunement être en mesure de faire le bonheur du peuple.
De telles autorités ne peuvent endiguer la misère et sont plus enclines à plonger les pays dans la dèche. On ne peut nier que c’est le cas à Conakry où les déchets ont décimé des familles entières. Quel paradoxe ! Ces dernières années on n’entendait parler que de Conakry Capitale Mondiale du Livre. Mon œil ! C’était mal connaître la réalité guinéenne. Désormais, il convient plus de parler de Conakry capitale mondiale des ordures. A moins que la fête promise du livre ne jette dans les ordures les tares du système.
Par Lamarana Petty Diallo lamaranapetty@yahoo.fr
Source : Le Populaire