Tribune. Faisant suite à l’annonce d’Emmanuel Macron et d’Alassane Ouattara du samedi 21/12/2019 à Abidjan, en ce qui concerne la grande réforme du franc CFA pour les 8 pays d’Afrique de l’Ouest qui l’utilisent, il nous est venu à l’idée de revenir sur ce sujet central qui préoccupe plus d’un. L’accord signé prévoit la fin de la centralisation des réserves de change à la Banque de France, le retrait de Paris des instances de décision de l’UEMOA et la création d’une nouvelle monnaie qui restera arrimée à l’euro.
À la lecture de cet accord, l’on se pose un certain nombre de questions notamment sur le fonctionnement de cette nouvelle monnaie qui n’est rien d’autre qu’un changement de façade comme l’affirme N’Dongo Samba Sylla. De nos, tous les économistes et activistes anti-Francs CFA se demandent qu’est ce qui expliquerait cet acharnement de certains chefs d’États de la CEDEAO à vouloir aller vers cette monnaie ECO sans les préalables du fédéralisme budgétaire.
Et pourtant, le comité ministériel de la CEDEAO indique dans son dernier rapport, qu’aucun pays de la région n’avait rempli en 2018 les critères de convergence (requis pour faire partie de la zone monétaire ECO. S’agissant des pays de l’UEMOA, cette situation est plutôt déplorable car, elle révèle qu’après tant d’années d’intégration monétaire (plus de 70 ans), ces pays sont dans l’incapacité notoire de satisfaire les préalables en vue de la création de la monnaie unique CEDEAO.
À cela, s’ajoute la faiblesse du commerce entre les pays de la sous-région. L’analyse de l’étude des données de la Base Régionale Eurotrace de la Commission de la CEDEAO fait ressortir une part très faible dans le commerce intra-CEDEAO qui se situe en moyenne à 12% ou encore 15% dans la Zone CFA après plus de 70 ans d’intégration monétaire contre un minimum de 60% dans la Zone EURO. Cela prouve à suffisance que l’existence du Franc CFA ne se justifie pas économiquement : les inconvénients à partager la même monnaie pour les pays membres pris individuellement sont supérieurs aux avantages à la maintenir. Partant de ce constat, il sera très difficilement de concevoir une union monétaire plus large permettant d’inverser cette tendance.
Dans le même sillage, les politiques monétaires, de change et budgétaires n’ont pas été totalement clarifiées jusque-là. Une fois dans la zone monétaire, les pays membres ne pourront plus recourir à la politique monétaire et de change pour s’ajuster. Dans les conditions normales, ils n’auront pour option que la dévaluation interne (politiques d’austérité). Jusqu’à preuve de contraire, ce scénario n’est pas prévu dans ce projet ECO. De plus, aucun mécanisme de solidarité budgétaire afin de faire face à des conjonctures différenciées entre les pays membres n’est prévu non plus. Pire, ce projet est conçu dans une optique d’orthodoxie budgétaire (limitation du déficit et de l’endettement publics). Laisser grossir les rangs des chômeurs et des sous-employés et ponctionner les classes moyennes sera le mode d’ajustement en cas de crise.
De plus, l’analyse des décisions prises par les pays membres de la CEDEAO révèlent que l’ECO est une copie conforme de l’EURO. Et pourtant, l’intégration Européenne, n’est pas du tout un bon exemple au regard des critiques qui ont été lancés à son encontre. S’il y a bien une leçon à retenir de l’Eurozone, c’est qu’une zone monétaire sans fédéralisme budgétaire est vouée à l’échec. Pour aller vers une monnaie unique, il faudrait d’abord mettre en place un gouvernement fédéral sur une base démocratique avec des pouvoirs fiscaux forts. Avoir la gestion monétaire au niveau supranational et laisser la gestion budgétaire au niveau national est une terrible erreur de conception (Joseph Stiglitz). D’où les crises récurrentes et sévères enregistrées dans la zone Euro au cours de ces dernières années (FMI). Dans le même sens, Kako Nubukpo estime que le projet ECO risque, tout comme la Zone de Libre-Echange Continentale (ZLEC), d’être un échec macabre parce qu’ils n’auront pas été fondé sur un socle politique fédéraliste.
Un autre phénomène non moins important est celui du régime de change. Lors du dernier sommet de la CEDEAO fin juin à Abuja, les chefs d’État membres se sont accordés sur le fait que le régime de change de l’ECO serait flexible vis-à-vis d’un panier de devises. Le président ivoirien Alassane Ouattara est revenu sur cette décision lors du sommet des États de l’UEMOA le 12 juillet 2019. Suivant son analyse, l’ECO devrait avoir un régime de change fixe par rapport à l’Euro. Il estime que le taux de change fixe par rapport l’EURO a fait ses preuves en assurant la stabilité des prix au sein de la zone UEMOA. Les propos d’Alassane Ouattara continuent toujours à faire polémique au sein de la CEDEAO et jusqu’à présent, aucune solution n’a été trouvée.
Bref, dans le processus de création d’une monnaie unique, la création d’une banque centrale communautaire est un préalable pour la coordination de politique monétaire commune. Jusqu’à preuve de contraire, cette banque centrale n’existe pas encore. De même, la question liée à la restitution des réserves de change des pays membres de l’UEMOA n’a pas été totalement résolue. De nos jours, le nouveau traité de l’union monétaire, ainsi que les statuts de la future banque centrale n’ont pas encore été clairement définis. De plus, la relation qui existera entre la future banque centrale communautaire et les banques centrales des pays membres n’a pas été évoquée. Enfin, la convertibilité de l’ECO par rapport aux autres monnaies n’a pas été clarifiée.
À la lecture de ces défis, l’on se rend compte que ce projet d’intégration monétaire est loin d’aboutir à sa finalité car, les prévisions de mise en circulation de l’ECO en 2020, sont obscurantistes, utopiques et prématurées. Nous ne réfutons tout de même pas l’idée selon laquelle la mise en place de l’ECO pourrait renforcer à terme les échanges commerciaux au sein de la CEDEAO. Ce qui occasionnera sans doute la suppression des risques de change mais aussi et surtout les risques de dévaluations compétitives. Une telle situation devra augmenter de la concurrence mais aussi la compétitivité prix de la zone. Des produits et services plus compétitifs permettent davantage de demande et cela amène à davantage de production et donc de croissance économique.
Mamadou Safayiou DIALLO
Analyste économique
Enseignant-Chercheur