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Le vice du mandat présidentiel de trop…

C’est un désir refoulé, un tabou qu’on se jure de ne jamais transgresser, comme l’envie de s’offrir le verre de trop. Et pourtant…

En matière de mandat présidentiel, tout se complique quand arrive l’échéance. C’est en général le moment où les pulsions se lâchent. Adieu veaux, cochons, belles promesses et scrupules ! Nos chefs d’État sont comme vous et moi, pudiques et respectables en apparence, mais lubriques et incontrôlables dans le fond. Ils perdent la tête, ils jettent le cache-sexe dès qu’apparaissent les formes généreuses du pouvoir.

La question du troisième, quatrième, voire cinquième mandat tient lieu de divan : elle nous révèle la part la plus obscure des êtres qui nous gouvernent. Seraient-ce les traumatismes subis dans leur passé d’opposants qui les poussent à reproduire trait pour trait les travers de leurs persécuteurs ? Sitôt au trône, ils jettent aux orties leurs discours de patriote et leurs serments de justicier.

Ils reproduisent exactement ce que, hier, ils vouaient aux gémonies. Ils commencent par caporaliser les institutions, ce qui leur permet de réprimer à leur guise et d’organiser les élections qu’ils veulent. Pis, ils vont jusqu’à copier les tics et les accoutrements de leurs prédécesseurs : les sahariennes de luxe, les boubous d’une moustiquaire de volume, les titres ridicules et les Ray-Ban de parrains.

Pour rester au pouvoir, des manipulations

Plus rien ne compte que le pouvoir, tout le pouvoir, et ad aeternam, de préférence. La tentation d’un mandat de plus à laquelle presque plus personne ne résiste n’est, pour ces messieurs, qu’une simple petite étape. Ils visent plus loin, la présidence à vie et, pourquoi pas, la république monarchique. C’est d’autant plus préoccupant que l’on n’en est plus à l’ère des « enfants de troupe » et des syndicalistes autodidactes : aujourd’hui, ce sont des intellectuels de très haut niveau, paraît-il, qui occupent nos présidences. On se sentait en droit d’exiger d’eux un minimum de déontologie.

Hélas, nos sorbonnards n’hésitent pas eux aussi à user des odieux stratagèmes qui empoisonnent l’Afrique : la manipulation ethnique, le tripatouillage institutionnel, le culte sans frein du népotisme et de la médiocratie. Et comme chez nous, l’Histoire n’a jamais servi de leçon, ces gens vont tomber dans le piège qui a englouti Dadis Camara et Blaise Compaoré, à force de cupidité et d’entêtement. Et comme toujours, c’est notre soif de démocratie qui en fera les frais.

Garder les mêmes règles pendant tout le match

On sait que les goinfres – et ils sont armés de rhétorique, ceux-là ! – ne manquent jamais d’arguments pour exiger leur triple, quadruple, voire quintuple ration. Ils se présentent comme les garants de la stabilité. Stabilité ou immobilisme ? Ils veulent plus de temps pour soi-disant terminer ce qu’ils ont commencé. Mais qu’ont-ils vraiment commencé, à part les fausses promesses et les coups tordus ? On ne modifie pas les règles du jeu en cours de match, le plus malveillant des footballeurs le sait. Et puis, les grandes nations sont là pour nous prouver que la stabilité institutionnelle est la seule qui vaille.

Prenons les États-Unis, par exemple. Votée en 1788, leur Constitution, qui est toujours en vigueur, n’a subi que vingt-sept amendements. Et Dieu seul sait ce que coûte en experts et en joutes oratoires le moindre remaniement de ce qu’on appelle là-bas avec une déférence de moine « la loi suprême ». Non, le pouvoir illimité n’apporte que désordre et régression. Prenons la Guinée et les États-Unis, par exemple ! De 1958 à 2009, deux présidents pour l’une, onze pour l’autre ! De quel côté, la stabilité ? De quel côté, le progrès ?

 

Par Tierno Monénembo

 

* 2017, Grand prix de la francophonie pour l’ensemble de son œuvre ; 2013, Grand prix Palatine et prix Ahmadou-Kourouma pour Le Terroriste noir ; 2012, prix Erckmann-Chatrian et Grand prix du roman métis pour Le Terroriste noir ; 2008, prix Renaudot pour Le Roi de Kahel ; 1986, Grand prix littéraire d’Afrique noire ex-aequo, pour Les Écailles du ciel.

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