Le concept « peuple » est apparu dans la littérature des sciences sociales et politiques dès la première moitié du XVIIIe et le début du XIXe siècle. Depuis lors, son sens n’a cessé de faire l’objet de diverses controverses et d’interprétations.
Selon le Larousse du XIXe siècle, le peuple est « la multitude d’hommes qui n’habitent pas forcément le même pays mais qui ont un lien qui les unis (origine, religion…) et aussi la partie la plus nombreuse et la moins riche ou la moins privilégiée de la population d’un Etat ».
Mais de nos jours, les glissements sémantiques et la montée en puissance du populisme dans le paysage politique de notre pays ont fait que le concept « peuple », sert davantage à désigner un groupe de personnes qu’à décrire les spécificités de toutes les composantes de notre société. Et de ce point de vue, son usage est devenu beaucoup plus chimérique qu’organique.
De là, les acteurs sociopolitiques qui, dans chacun de leurs discours ne cessent d’utilisent ledit concept pour soit désigner leurs corps : militants et sympathisants ; ou soit légitimer ou justifier leurs actions qu’ils mènent ou prétendent mener.
Nonobstant cet état de fait, l’on se doit à travers une démarche à la fois analytique et descriptive, orienter notre réflexion sur un certain nombre de questions à savoir :
Le « peuple », est-ce une forme d’appellation stratégique des politiques ? Est-il (peuple) en mesure de comprendre l’enjeu des questions sur lesquelles il est souvent appelé à se prononcer ou trancher ?
En effet, le terme « peuple » est polysémique. D’une part, il désigne l’ensemble des Hommes qui partagent une histoire et des idéaux en commun. Et d’autre part, la partie la plus nombreuse et la moins privilégiée de la population d’un Etat. (Gilles Boёtsch ‘’Le peuple, hier et aujourd’hui’’ dans Hermès, la revue 2005/2 no 42/p46).
Etant le dépositaire par excellence du pouvoir souverain dans les démocraties participatives (article 2 de la Constitution du 10 mai 2010), le « peuple » de Guinée peut soutenir ou s’opposer à tel homme ou telle conviction dans le processus évolutif de notre pays. Mais en rappelant la souveraineté du peuple dans le contextuel actuel de notre pays, il sied de souligner sans équivoque la recrudescence des contradictions entre les protagonistes et antagonistes d’un éventuel projet de nouvelle Constitution. Ces contradictions ont favorisé par conséquent, l’altération du concept « peuple » par l’ensemble des deux parties.
Toutefois, loin des hypothèses partisanes, cherchons à savoir qui qu’appelle-t-on « peuple » au sens strict du terme ? Ensuite, quel regard ce dernier porte-t-il sur les questions éminemment politiques ou institutionnelles ?
En fait, le « peuple », tel que j’entends, est la grande majorité (ouvriers, cultivateurs, commerçants, artisans, ménagers etc.) qui représente environ 70% de la population de notre pays. Et, cette grande majorité silencieuse vit malheureusement au rythme d’un train-train quotidien.
Sans arme ni armure, elle est prise en otage par les politiques. Certains parmi eux l’assimilent d’ailleurs à d’autres concepts similaires comme : la foule, les militants et sympathisants. De surcroît, ils vont jusqu’à confondre sa volonté à celle d’une franche partie qui ne représente que 10 à 15% de la population.
En plus, le « peuple » de Guinée, tel que nous venons de le voir précédemment a-t-il les qualifications requises pour évaluer l’enjeu des questions éminemment politiques : le référendum, la Constitution, le troisième ou quatrième mandat ? Ceux qui parlent en son nom se soucient-ils de son bien-être ou celui de leurs partis politiques ? Mieux, ont-ils la légitimité de représentants du « peuple » ?
Par rapport à la première question, nul n’ignore le taux élevé de l’analphabétisme, la pauvreté et la fragilité du tissu social dû à l’ethno-stratégie et le communautarisme en République de Guinée. Et ces trois fléaux constituent à bien des égards, l’une des taches noires qui mettent inéluctablement en cause la rationalité du choix du « peuple » de Guinée par rapport à certaines questions politiques ou institutionnelles ; d’où l’urgence pour notre Etat de prioriser l’éducation, lutter contre la pauvreté et encourager l’apprentissage de la démocratie participative. Car, le peuple en général, et les citoyens en particulier ne peuvent participer à l’animation de la vie démocratique de notre pays, et se sentir par la même occasion représentés au sein des institutions qu’à travers une bonne maîtrise du fonctionnement desdites institutions et le rôle de ses représentants.
Sur la deuxième question, force est de reconnaître qu’il existe de nos jours un énorme fossé entre les représentants et les représentés. (Marie-Anne Cohendet ‘’Une crise de la représentation politique’’ p14). Cette minorité qui se déclare par la force des choses comme représentante du « peuple » n’en sait en rien de tout ce dont le « peuple » aspire.
Par ailleurs, les acteurs de la vie politique de notre pays sont très différents du « peuple » pour lequel ils prétendent défendre. D’ailleurs, ces deux (représentants et représentés) ont diamétralement des visions des choses très différentes : quand les un pensent à se nourrir, s’habiller… ; les autres quant à eux pensent à leurs intérêts égoïstes. Mais comme dit Abraham Lincoln : « On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps, mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps ». Affaire à suivre…
Aly Souleymane Camara, Auditeur en Master science politique à l’Université Général Lansana Conté de Sonfonia.
Email : alysouleymanecamara66@gmail.com