Le 20 février dernier, le ministère des Finances du Cameroun (MINFI) organisait à Douala un atelier national sur le socio-financement, avec pour triple objectif de sensibiliser les porteurs de projets locaux, dynamiser ce secteur utile au développement inclusif et ouvrir une consultation publique en vue d’élaborer la politique nationale en matière de socio-financement.
Avec un tissu économique composé à 90 % de PME et un faible financement bancaire (18 % du total des crédits bancaires accordés par les institutions financières locales), le système financier local est défaillant. En l’absence d’une confiance établie entre les établissements de micro-finance, l’écosystème financier informel s’est organisé autour des associations d’épargnes et de crédits rotatifs aussi appelés Tontines.
En effet, selon le ministère des Finances, ce sont plus de 190 milliards de Fcfa qui circulent via ces réseaux de financements communautaires, dont certains offrent la possibilité à leurs membres de faire des emprunts sans intérêt. Parallèlement à cette dynamique, l’essor des services de paiements mobiles est venu renforcer la capacité des acteurs à financer leurs projets auprès d’un large public.
Cette stratégie de financement est aussi visible dans les médias et sur les réseaux sociaux. En effet de nombreuses chaines de télévision et radios disposent dans leurs grilles de programmes d’émissions dites sociales et humanitaires dans lesquelles ce moyen de financement est utilisé. À titre d’exemple l’émission « regard social », les téléspectateurs ont la possibilité d’apporter leurs aides financières à des projets sociaux ou humanitaires. Un autre exemple serait celui des campagnes de financement électoral par paiement mobile. Les Camerounais sont donc habitués à recourir au financement par la communauté et utilisent de plus en plus internet et les solutions mobiles pour atteindre leurs objectifs.
Pour ce qui est du socio-financement comme méthode de financement au Cameroun, les chiffres publiés par la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) en 2017 nous révèlent que les PME et entrepreneurs PME camerounais ont réussi à récolter 1,1 milliard de Fcfa par socio-financement. Ce chiffre reste faible comparativement au reste du continent. Il ne représente que 0,74% des fonds levés par les entreprises africaines.
Bien que le socio-financement ne soit pas nouveau au Cameroun, les nouvelles approches de financement participatif via internet et le mobile sont des innovations qui peuvent permettre une plus grande efficacité de l’écosystème financier local. Cependant au Cameroun comme dans la majorité des pays africains, il n’existe pas de régulation pour ce secteur. Ainsi, créer un écosystème sain et capable de soutenir les plateformes locales de socio-financement nécessite un cadre légal et une forme de contrôle. En effet, encourager la circulation de l’épargne publique vers l’économie réelle via ce type de plateforme n’est pas sans risques.
Dans l’optique de créer un environnement sain et propice à l’essor des projets finançables par socio-financement, le gouvernement devra produire une vision montrant qu’il encourage cette pratique. Cela peut notamment se faire par la création d’incitatifs fiscaux pour les individus et entreprises qui investissent dans des projets via le socio-financement. Afin d’éviter que cette solution ne devienne un canal de blanchiment d’argent et de fraude, le gouvernement devra choisir s’il limite ou non le montant investi par personne par projet, le montant maximal collecté par projet par année, mais aussi le type de contrepartie offerte par les promoteurs de projet.
Afin de garantir la confiance dans cet écosystème, le gouvernement devra définir comment les différents acteurs se partagent des données, effectuent leurs échanges monétaires tout en protégeant l’identité et l’argent des investisseurs et porteurs de projets. Des mesures en matière de cybersécurité mais aussi de structuration de l’écosystème devront être définies et contrôlées par une autorité qui en aura la charge. A titre d’exemple, le gouvernement devra répondre à la question suivante : les plateformes seront-elles limitées à l’activité de mise en relation ou pourront-elles élargir leurs services en incluant le conseil, les paiements, l’hébergement et la rétention de fonds et de garanties ?
Dans le même ordre d’idée, l’État devra légiférer sur le type de socio-financement autorisé avec ou sans agrément. Enfin pour les porteurs de projets passant par le socio-financement par prévente, la question de l’imposition de la vente doit être évaluée, les ventes réalisées dans le cadre de campagne de socio-financement sous forme de vente à l’avance seront-elles soumises aux taxes ?
En répondant à ces questions, le législateur devra aussi prendre en considération que l’un des principaux avantages de cette nouvelle approche est qu’elle offre à l’ensemble de l’écosystème y compris l’État, une quantité de données économiques jusqu’alors restée confinée dans l’informel. Il est donc important de créer un cadre sain sans toutefois créer de nouvelles barrières qui limiteraient le potentiel de cette solution pour le développement économique inclusif dans un cadre formel.
Par Maxime Jong, consultant en stratégie, entrepreneuriat et développement économique inclusif