Corruption, contrebande, évasion fiscale, sous-facturations : le montant des pertes équivaut à la somme de l’aide publique au développement et des investissements directs étrangers, selon de nouveaux calculs de l’ONU.
Pour ne rien manquer de l’actualité africaine, inscrivez-vous à la newsletter du « Monde Afrique » depuis ce lien. Chaque samedi à 6 heures, retrouvez une semaine d’actualité et de débats traitée par la rédaction du « Monde Afrique ».
L’hémorragie de capitaux d’origine illicite dont l’Afrique est le théâtre sape la capacité de nombreux gouvernements à assurer les services de base à leur population. Cette perte serait d’au moins 76 milliards d’euros (88,6 milliards de dollars) par an selon la dernière évaluation retenue dans le rapport 2020 sur le développement économique de l’Afrique, publié lundi 28 septembre par la Conférence des Nations unies sur le développement (Cnuced). Une somme qui avoisine le cumul annuel de l’aide publique au développement et des investissements directs étrangers reçus par le continent entre 2013 et 2015.
« Ces flux, qui privent les Trésors publics de ressources nécessaires au financement du développement, sont considérables et ne cessent de croître », déplorent les auteurs du rapport, en précisant qu’ils représentent aussi la moitié des 200 milliards de dollars par an jugés nécessaires pour que l’Afrique soit en mesure d’atteindre les Objectifs du développement durable (ODD) d’ici à 2030. La précédente estimation, publiée en 2015 par la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, avançait le chiffre de 50 milliards de dollars en moyenne par an sur la période 2000-2008.
Ces sorties de capitaux empruntent différents canaux. La corruption, la contrebande, l’évasion fiscale en font partie, mais c’est de loin la manipulation des facturations dans le secteur des industries extractives qui alimente le plus généreusement cette délinquance. La Cnuced estime que le maquillage de ces flux commerciaux permet de soustraire 40 milliards de dollars par an aux yeux des administrations douanières. L’opération consiste pour les entreprises – souvent des multinationales – qui s’y adonnent à sous-facturer le montant des exportations afin de percevoir le bénéfice de la transaction sur un autre compte ouvert dans un pays tiers. La surfacturation des importations permet, de son côté, de faire sortir des revenus acquis de manière occulte.
Le secteur de l’or en tête
« Plus le poids d’un minerai est faible et sa valeur élevée, plus il concentre » les activités criminelles, détaille le rapport, en montrant que le secteur de l’or est à l’origine de plus des deux tiers des détournements, à partir de chiffres obtenus en rapprochant, selon une méthode dite « en miroir », les données déclarées par le pays exportateur d’un côté et le pays importateur de l’autre. Le commerce du diamant génère, lui, 12 % des fraudes et celui du platine 6 %. En volume, plus de la moitié des flux illicites de capitaux proviennent de contrats réalisés au Nigeria, en Afrique du Sud et en Egypte, même s’il faut prendre ces chiffres avec précaution compte tenu de la fragilité des données statistiques.
D’ailleurs, seuls 43 pays sur le continent publient régulièrement des données auprès de la base du commerce international des Nations unies. Junior Davis, directeur du bureau Afrique de la Cnuced et coordonnateur du rapport, regrette que « cette méthode permette mal d’appréhender les flux illicites liés à l’exploitation pétrolière. Les exportations de brut qui passent par les pipelines ne sont pas enregistrées auprès des autorités douanières et une fois raffiné, le pétrole perd toute trace de ses origines, ce qui rend très difficile son traçage dans les statistiques internationales. Notre estimation est en conséquence certainement assez inférieure à ce qu’elle aurait été si les chiffres manquants du pétrole et du gaz avaient pu être intégrés à cette analyse », pointe-t-il.
Le rapport de la Cnuced se veut l’occasion de rappeler que la présence de cette économie souterraine dans un Etat va souvent de pair avec une faiblesse des ressources consacrées aux services de base. « Les budgets sont en moyenne inférieurs de 25 % dans le domaine de la santé et de 58 % dans celui de l’éducation dans les pays où les flux illicites de capitaux sont importants », pointent les auteurs. De plus, dans ces pays, les méthodes d’exploitation des ressources minières sont aussi parmi les plus « sales » pour l’environnement.
L’enjeu d’un contrôle accru de cette économie mafieuse n’est donc pas seulement financier. Face à cette criminalité organisée, les initiatives pour contrôler ces mouvements de capitaux ont jusqu’à présent connu peu de retombées, constate le rapport qui, en conclusion, insiste sur la nécessité de renforcer la collecte des données douanières et fiscales pour permettre de mieux identifier les sources de détournements.
Avec Le Monde Afrique