En comparaison avec le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars, l’élection présidentielle du 18 octobre 2020 s’est déroulée pacifiquement. Mais, les différentes déclarations des responsables politiques relatives aux résultats du vote et les anomalies constatées dans certains bureaux de vote laissent présager une suite électorale conflictuelle et violente. Le test de réalité est encore devant nous.
Quel que soit le résultat du vote, il sera contesté. Tout d’abord, les principaux adversaires ne relèvent pas les mêmes constats quant aux anomalies et irrégularités enregistrées dans certains bureaux de vote, notamment en Haute-Guinée (selon l’UFDG mais aussi le PADES) et en Moyenne-Guinée (selon le gouvernement et les responsables du RPG). Or en l’état actuel du soupçon de partialité qui pèse sur la Cour constitutionnelle, il sera impossible de trancher pacifiquement les interprétations divergentes en lien avec les résultats du vote.
On sait aussi que l’indépendance de la Ceni est mise en cause par l’opposition et une partie importante de la population. Un manque de confiance qui ne date pas d’aujourd’hui et qui s’explique par le fait que le pouvoir exécutif en Guinée a toujours concentré l’ensemble des pouvoirs. Cette domination du pouvoir exécutif et l’affaiblissement des dispositifs d’arbitrage institutionnel et juridique qu’elle entraine jette un lourd discrédit sur la Ceni et par conséquent rend suspect les résultats électoraux qu’elle proclame.
Il n’existe pas une seule élection en Guinée, depuis 1993, qui n’a pas fait l’objet d’une contestation. Et tout porte à croire que celle du 18 octobre 2020 ne dérogera pas à cette pratique historique. Avant même les élections, l’UFDG avait fait savoir qu’il contestera les résultats en cas de défaite. Or, il est certain qu’Alpha Condé et le RPG n’ont pas battu campagne pour consentir à une défaite. À la lumière donc de ces deux positions et en l’absence d’institutions politiques dont la neutralité est reconnue par les protagonistes, il reviendra à la violence ou à l’intervention de la communauté internationale de jouer l’arbitre principal. Sans jouer les prophètes du malheur, on peut dire que la crise politique guinéenne a encore de beaux jours devant elle.
Car en dehors même des problèmes liés à la fiabilité des résultats de la Ceni et à la neutralité des institutions politiques, c’est aussi les destins de Alpha Condé (mais aussi de ses soutiens) et de Cellou Dalein Diallo qui se jouent dans cette élection présidentielle. On sait que le président sortant et candidat pour un troisième mandat a été symboliquement et politiquement fragilisé par les contestations et les violences qui ont accompagné le double scrutin du 22 mars.
Cette fragilité ira grandissante en cas de victoire à cette présidentielle et plongera le pays dans une profonde et durable instabilité. Si on ajoute à cela les critiques de la communauté internationale, disons que pour Alpha Condé, il ne sera plus possible de gouverner sans un renforcement des dispositifs de domination et des moyens de contrôler du pouvoir.
Quant au chef de l’UFDG, sa victoire ne sera pas non plus synonyme de gouvernance tranquille. Il devra composer avec une armée dont la hiérarchie n’a jamais caché son dévouement au RPG et son soutien à Alpha Condé. Faire face à un corps militaire historiquement politisé et ethnicisé requerra de la part de Dalein une ingéniosité et un sens du dialogue sans lesquels il ne pourra affranchir le pouvoir exécutif de sa dimension prétorienne.
Il y a aussi les problèmes que poseront le rapport aux députés de l’Assemblée nationale issus des législatifs du 22 mars, et enfin toute la question de la Constitution qui faudra resoumettre à débat.
Mais, l’avenir de Cellou Dalein Diallo dépendra aussi de la nature et de la gravité de la crise postélectorale. Car, il n’est pas exclu qu’un éventuel arbitrage de la communauté internationale prenne la forme d’une mise en place d’un gouvernement de transition- une idée de plus en plus populaire auprès de la classe politique guinéenne. Une telle possibilité risquerait de mettre fin aux aspirations du chef de l’UFDG à l’exercice de la fonction présidentielle.
Amadou Sadjo Barry, Ph.D
Québec, Canada