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Guinée : Simandou, le projet qui menace l’accès des communautés à l’eau et à la terre

Le développement du projet du minerai de fer du sud de la Guinée, Simandou attise les appétits du régime militaire de Conakry. Mais derrière ce gigantesque gisement, un des plus grands inexploité au monde se cache un désastre écologique considérable. Certes l’exploitation de cette montage pourrait permettre à l’administration centrale du pays de combler un gap financier, en revanche elle sera une source de détérioration de l’environnement de la région, privant ainsi de nombreux citoyens de l’eau et des espaces terrestres cultivables. 

L’exploitation des 2,4 milliards de tonnes de minerai de fer, repoussée durant des décennies, doit démarrer fin 2024. L’enjeu est considérable pour l’économie guinéenne.

Ce fut l’un des premiers actes de Mamadi Doumbouya après son coup d’État du 5 septembre 2021 contre le président Alpha Condé, élu en 2010, mais coupable d’avoir voulu faire le mandat de trop en s’essuyant les pieds sur la Constitution guinéenne. Quelques jours seulement après son putsch, l’ancien de la légion française avait réuni tous les miniers, petits et grands, présents dans le pays pour leur délivrer un double message. Primo, il garantissait la pérennité des conventions minières accordées jusqu’alors, dans la limite de leur conformité légale bien évidemment. Deuzio, il les enjoignait de respecter leurs engagements en termes de production et de respect fiscal et environnemental sous peine de perdre les permis accordés.

« Et, en effet, le pire n’est pas arrivé, ils ne sont pas revenus sur les conventions minières », reconnaît Fadi Wazni. En disant cela, le patron du groupe guinéen United Mining Supply (UMS), présent depuis des années dans le secteur de la bauxite, pense à Simandou. « La montagne de fer » forme la plus grande réserve identifiée au monde de minerai de fer, encore inexploitée et estimée à 2,4 milliards de tonnes. Soit « suffisamment pour construire 500 000 tours Eiffel », a calculé Jim Wormington, chercheur senior de l’organisation de défense des droits humains Human Rights Watch et auteur d’un rapport sur les risques environnementaux du projet.

Perdue à 800 km de Conakry aux confins sud-ouest du pays frontalier du Liberia, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire, la montagne alimente les fantasmes des miniers et des autorités guinéennes depuis plusieurs décennies. Mais le projet Simandou menace également l’accès des communautés voisines à la terre et à l’eau, et émettra de grandes quantités de carbone dans l’atmosphère. « Le projet Simandou est sans précédent pour la Guinée, non seulement par sa taille et sa complexité, mais aussi par la menace qu’il représente pour les droits et l’environnement des communautés locales », avertit le chercheur. « Une surveillance inadéquate du projet pourrait avoir des effets catastrophiques sur les droits humains et l’environnement », ajoute-t-il.

Entrée tonitruante

L’alerte n’est pas inutile au regard des dernières années. En l’espace de dix ans, la Guinée a fait une entrée tonitruante dans le paysage minier mondial propulsée au sommet par l’explosion de sa production de bauxite. Ce petit pays d’Afrique de l’Ouest qui affiche parmi les pires indices de développement humain a relégué, en 2022, l’Australie à la deuxième place au classement des exportateurs mondiaux de cette roche sédimentaire indispensable à la production d’aluminium. L’industrie chinoise absorbe l’essentiel des 100 millions de tonnes extraites chaque année (contre 17 millions en 2015) en Guinée. Mais Simandou et ses milliards de tonnes de minerai de fer s’apprête à bouleverser sans doute plus profondément encore l’économie guinéenne.

À la hauteur de son potentiel colossal, la « montagne de fer » a aussi généré pas mal de coups tordus au gré des convoitises des miniers parmi les plus puissants du monde. Le feuilleton judiciaire de Beny Steinmetz en atteste. Le 15 avril 2023, la chambre d’appel de Genève a confirmé la condamnation – à trois ans de prison, dont dix-huit mois ferme, et 50 millions d’euros d’amende – de l’homme d’affaires franco-helvético-israélien, qui a fait fortune dans le secteur diamantifère, pour corruption d’agents publics étrangers.

Il était accusé d’avoir versé 10 millions de dollars (9,2 millions d’euros) de pots-de-vin en 2006 à l’une des épouses du président guinéen de l’époque, Lansana Conté (chef de l’Etat de 1984 jusqu’à sa mort le 22 décembre 2008) pour obtenir, à vil prix, des droits miniers sur Simandou. Par cette manœuvre, il évinçait Rio Tinto, l’un des leaders mondiaux du secteur avant de revendre ses actifs au groupe brésilien Vale – autre mastodonte minier – et d’empocher au passage une plus-value étourdissante de plusieurs milliards de dollars.

L’élection d’Alpha Condé à la présidence guinéenne, en 2010, avait lancé un processus de remise à plat du projet titanesque qui, outre l’activité minière concentrée sur quatre blocs d’exploitation, inclut la construction du Transguinéen. Soit 679 km de voies ferrées dans cette région enclavée partant du gisement dans les montagnes jusqu’à l’océan Atlantique et le port minéralier de Matakong (sud). Ce projet structurant pour l’économie guinéenne, évalué à 14 milliards de dollars, devrait se traduire, à terme, par un gain de croissance de 5 % du PIB.

Rebondissements

Mais il a fallu attendre le coup d’Etat pour que les travaux démarrent réellement. Mamadi Doumbouya a en effet multiplié les coups de menton et les menaces pour inciter à l’action les détenteurs des concessions et défendre les intérêts du pays. Deux acteurs se partagent les quatre blocs ouverts à l’exploitation. A savoir pour les blocs 1 et 2, le consortium WCS, déjà présent en Guinée dans le secteur de la bauxite, formé par le groupe guinéen, précité, UMS, le singapourien Winning Shipping et le chinois Shandong Weiqiao. Les droits pour les blocs 3 et 4 sont quant à eux détenus par Rio Rinto Simfer (filiale de Rio Tinto).

Après avoir gelé toute activité sur la mine, la junte a considéré comme opportun de forcer les deux groupements à s’associer au sein de la Compagnie du Transguinéen (CTG), créée en juillet 2022, pour la construction de la voie ferrée. Le colonel Mamadi Doumbouya a aussi obtenu la concession gratuite à la Guinée de 15 % des actions de la CTG. Cette infrastructure ferroviaire, construite essentiellement par WCS, sera aussi utilisée par Rio Tinto pour le transport des minerais. Elle sera également disponible pour l’acheminement d’autres biens produits le long de la voie et ouverte au transport de passagers. A terme, le train et le port, également construit par WCS, devraient être rétrocédés à l’Etat. Un comité de suivi interministériel, dirigé par Djiba Diakité, directeur de cabinet du chef de la junte, assisté par des cabinets d’avocats étrangers a également vu le jour.

Malgré tous ces rebondissements, le projet est enfin sorti des limbes et a convaincu les plus sceptiques de sa réalité. « Tous les ponts et tunnels du Transguinéen ont été construits », nous affirme une très bonne source soumise aux règles de confidentialité. Celle-ci observe toutefois que la création de la CTG associant Rio Tinto, WCS et l’Etat guinéen, scellée par la signature d’un pacte d’actionnaires le 8 mars 2023, « alourdit les prises de décision et ralentit donc les travaux ». Le calendrier fixant à fin 2024 la fin des travaux et l’entrée en production sera sans doute difficile à tenir et pourrait bien glisser de quelques mois.

« Économie au ralenti »

D’autant que Rio Tinto n’avance pas au même rythme que WCS. « Ils font toujours preuve d’une certaine tiédeur et d’une forme d’attentisme », nous confie un homme d’affaires au fait du dossier. « Rio Tinto, c’est du capitalisme à l’ancienne, ajoute-t-il. Sa longue histoire n’est pas exempte de scandales sociaux ou environnementaux, mais un régime de putschistes envoie sans doute une mauvaise image aux actionnaires du groupe et appelle à la prudence. »

Fondé en 1873, Rio Tinto figure parmi les groupes miniers les plus importants au monde. Ses actifs sont concentrés principalement en Australie et au Canada. Le fer représente 28 % de son chiffre d’affaires. « Le corpus législatif guinéen est trop modeste, le Code minier ne fait pas plus d’une centaine de pages. Pour certains investisseurs ce n’est pas très rassurant », souligne notre source. Sans oublier la faiblesse des institutions qui situe la Guinée encore loin d’un État de droit.

Pour autant, jamais l’exploitation de Simandou n’a paru si proche. Restera la question des retombées pour la population. L’expérience tirée de la bauxite appelle à la plus grande prudence. Les dégâts causés à l’environnement par l’extraction effrénée des gisements dans la région de Boké (nord) sont considérables. Pollution de l’air par les poussières, des nappes phréatiques et des rivières, déplacement de populations… « Jamais l’activité minière n’a autant prospéré », glisse un gros commerçant libanais fournisseur de pièces détachées pour cette industrie. En revanche, la population ne tire pas vraiment profit de cette activité peu intensive en termes de capital humain. « Les ventes au détail pour les particuliers se sont effondrées, divisées par deux depuis le coup d’État. Toute l’économie marche au ralenti sauf le BTP et les mines », glisse-t-il.

Avec Le Monde