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Guinée : exploitation de la bauxite, source de réchauffement climatique à Boké !

Le réchauffement climatique affiche de plus en plus un niveau inquiétant dans la région de Boké (au nord-ouest de la Guinée). Cette zone devenue le bastion de l’exploitation de la bauxite se plonge depuis quelques années dans des conditions climatiques exécrables.

En cause, la floraison des entreprises minières, qui dans leur activité d’extraction de la terre rouge (comme on aime le dire dans le pays), ravagent les forêts, dégradent l’agriculture, l’élevage, tarissent les cours d’eau, polluent, engendre une poussière étouffante dans la région. On dénombre plus de 10 entreprises minières qui exploitent le minerai de bauxite dans les différentes localités de la région, érigée en zone économique spéciale fin 2017 par le défunt régime d’Alpha Condé.

Parmi les sociétés minières qui opèrent dans la région, il y a la compagnie des bauxites de Guinée (CBG) détenue par l’État guinéen à hauteur de 49%, et 51% par le consortium Rio Tinto et ses filiales. Autre géant minier dans la zone, le consortium SMB-Winning ainsi que Guinea Alumina Corporation (GAC).

Cette activité minière est accusée d’être à la base de la dégradation de l’écosystème dans la région. D’après le site les données mondiales, la température maximale moyenne enregistrée à Boké par jour est  de 37°C. Ce qui classe la région comme l’une des plus chaudes de la Guinée. Les effets du changement climatique dû par l’industrie minière font que la zone est excessivement chaude pendant toute l’année. Le ressenti est perceptible dans les toutes de la région.

L’institution précise que le mois d’avril est le plus ensoleillé dans cette région de Boké. Ce n’est qu’en mois d’août que le soleil brille le moins longtemps.

                                                             Carte de la Guinée où la région de Boké est identifiée avec le point bleu

La région s’étend sur environ 160 km de l’ouest en Est et sur 260 km du nord au sud, indique la plateforme les données mondiales.

Le site weatherspark  spécialisé sur la description du climat indique que la région est tout temps en chaude. Voir sur ce graphique.

 

Comment l’extraction des mines de bauxites a rehaussé le taux de réchauffement climatique à Boké ?

Pour Lamine Bah, météorologue à la direction nationale de la météo au ministère de l’Environnement et du développement durable, les mines constituent la source fondamentale de cette situation désastreuse du climat dans Boké. « Effectivement l’exploitation minière contribue fortement à la dégradation de l’environnement et au réchauffement climatique dans les villes de la région. »

Selon ce fonctionnaire, « Elle accélère la déforestation, la modification du couvert végétal du coup la modification de l’albédo. Le changement du bilan radiatif de la zone. De l’autre coté, on assiste à la modification de la répartition des eaux pluviales: infiltration, ruissellement, et évaporation (évapotranspiration). Modification du ravitaillement de la nappe phréatique. Les engins et les moyens de transport augmentent la pollution et un grand rejet de gaz carbonique. » explique ce météorologue, désormais à la retraite.

D’après Mohamed Nana Bangoura, journaliste à Mosaïqueguinee, « le vent qui souffle à Boké est sec et chaud, les narines respirent comme du gaz lacrymogène modéré. » Dans son article, le directeur de ce journal en ligne, affirme que les forêts ne sont plus visibles. ‘’En traversant la région de Boké, on voit à perte de vue, un couvert végétal sauvagement endommagé’’. Pour lui, au rythme actuel de l’exploitation minière avec ses impacts climatiques, la zone ne sera plus habitable.

Mais ce salarié d’une entreprise minière, qui a requis l’anonymat, la faute n’incombe pas tout le monde « Nous faisons le mieux de notre côté pour respecter les règles écologiques. En revanche, il y a certaines compagnies qui s’en foutent des principes et normes climatiques et qui remettent en cause le travail de nous autres dans la région. C’est désolant, mais on évite d’engager une bataille entre exploitants, il appartient aux gouvernements de faire une décantation ».

Dans son plan d’action national d’adaptation aux changements climatiques (PANA) de 118 pages élaboré en 2007, le ministère de l’Environnement à l’époque décrit plusieurs contraintes environnementales et climatiques, parmi lesquelles l’exploitation minière à ciel ouvert. Le département précise que les principales perturbations climatiques répertoriées sont liées à la sécheresse, les inondations précoces et fréquentes dans de nombreuses régions, comme Boké en 2003 et 2005. Ce phénomène est à l’origine de « l’assèchement des sols, de la baisse de la production agricole, de la recrudescence des maladies hydriques, particulièrement dans la partie nord du pays, explique le ministère. »

Selon Boubacar Kaba, directeur du laboratoire d’analyse des données climatiques au ministère de l’Environnement et du développement durable, « Les dégâts climatiques et environnementaux sont énormes dans la région de Boké. Parfois avec les résultats des analyses, on se pose la question sur la vie des citoyens de cette zone. Aujourd’hui, il y a assez de personnes qui on de problèmes respiratoires et plusieurs autres maladies liées à cette dégradation climatique, dont l’exploitation exponentielle des mines de bauxite  est à l’origine. »

Dans le même sillage, M. Kaba affirme que « La venue massive des entreprises minières dans la région minière est la principale source du niveau élevé du réchauffement climatique. La région est minée par une dégradation très avancée, une raréfaction des pluies diluviennes jusqu’à mis juin, chaque année la température augmente, il y a aussi une pollution atmosphérique, l’envolée de la poussière, qui entraîne de maladies pulmonaires, problèmes de visions. »

Malheureusement « Nous envoyons des rapports d’analyses sur la gravité climatique aux compagnies, mais après on constate un non respect des recommandations. Paradoxalement la taxe sur la pollution qui est payée par certaines entreprises est mal gérée, les victimes n’en bénéficient rien. »

« Plusieurs multinationales dans la région, comme la CBG sont exonérées du paiement de cette taxe. Grâce à nos pressions, la SMB a été contrainte de changer de paradigme dans le transport de minerai, elle a installé 21 stations de qualités de l’air. Mais l’entreprise Henan Chine, Russal Friguia et tant d’autres compagnies minières ne respectent aucune mesure pour la protection de l’environnement et le climat. C’est un défis pour l’administration.  Nous avons récemment des plaintes de la population de Fria, nous informant que la soude caustique de l’entreprise russe se retrouve dans  le fleuve Konkouré et cela affecte leur vie et celle des espèces animales. », explique Boubacar Kaba.

Pour conclure, il précise que si les exigences climatiques ne sont pas respectées par les entreprises, cela va contribué à l’avancée du désert. »

Le dérèglement climatique dans la région, source de dégâts humains !

Furieux de l’état dans lequel se trouve sa ville de 100.000 habitants, le Maire de la commune de Boké, Mamadouba Tawel Camara, dénonce les conséquences climatiques et humaines de cette activité minière. « Depuis plusieurs décennies, on observe une exploitation minière hors contrôle, des dégâts humains, climatiques et environnementaux, etc.  C’est un scandale géologique dont les ressources n’ont jamais profité à la population. », explique l’élu local chez nos confrères d’Anadolu.

Les citoyens dans leurs revendications accusent les compagnies minières et l’État d’avoir bouleversé leur mode de vie. « Les conditions climatiques font que nous enregistrons une détérioration de la qualité des eaux des rivières ainsi que des puits. Certaines communautés dépendent de  l’approvisionnement de l’eau par les camions citernes des entreprises minières. », fustige Ibrahima Camara, habitant dans la localité de Kamsar.

Depuis des années, les habitants de la région de Boké dénoncent l’empoisement de l’air. « Les populations se plaignent très souvent de problèmes respiratoires, de la fertilité des sols qui n’est plus comme avant. », note Amadou Bah de l’ONG Action Mines.

« Les entreprises exploitent nos champs et nos terres fertiles nous a été prises, ça fait que nous n’avons plus de quoi survire. », a déclaré Amir Bangoura.

Les autorités guinéennes reconnaissent l’impact climatique engendré par les mines

Dans une enquête de 165 pages publiée en octobre 2018, Human Rights Watch révèle la situation chaotique des communautés de la région de Boké, notamment sur le plan social, environnemental et climatique. Le secrétaire général à l’époque du ministère de l’Environnement des Eaux et Forêts, Seydou Barry Sidibé avait déclaré à l’ONG « Nous constatons que les sociétés ne respectent pas les mesures environnementales et sociales qu’il faut (respecter), mais ce n’est pas facile pour nous de fermer un trait ces sociétés ».

L’organisation non gouvernementale avait également dénoncé la pollution à outrance de Boké et la réduction des surface cultivables.

Dans sa stratégie nationale sur le changement climatique éditée en septembre 2019, le gouvernement expose la vulnérabilité du pays en rapport avec le changement climatique. Ce document de 134 pages, l’exécutif à travers le ministère de l’Environnement reconnait la gravité climatique que traverse certaines régions, comme Boké où le boom minier asphyxie l’écosystème de la zone composée de cinq grandes villes. Une pratique qui menace la santé et la vie de plus de 1190 724 habitants dans cette partie nord-ouest de la Guinée.

L’étude précise que les températures moyennes mensuelles dans cette zone géographique sont comprises entre 20 et 36°C. « Les sols subissent une dégradation suite aux actions humaines sur le couvert végétal, dont diverses pollutions liées aux extractions minières dans la région », indique le rapport gouvernemental.

Les changements climatiques dans la région affiche un risque énorme de désertification. De nombreux  experts sur la question climatique redoutent qu’elle soit comme le Sahara. D’ailleurs face à enjeux cruciaux, les jeunes multiplient des actions de protestations à la fois sociale et climatique. Ils estiment que si rien ne fait, leurs localités pourraient être un désert.

Aliou Barry, géopolitologue pense que la Guinée court un grave risque écologique. « Ses réserves de bauxite se chiffrent à 25 milliards de tonnes, soit prés d’un tiers des réserves mondiales de ce minerai. Cette substance minérale est majoritairement exploitée par des chinois, qui ne se soucient pas de l’aspect climatique et qui menace en plus nos équilibres écologiques. C’est un enjeu majeur pour le pays de pouvoir résoudre ce désastre climatique, qui frappe la région bauxitique et tout le territoire en général.

Réchauffement climatique, facteur de l’immigration clandestine et de l’exode rural

Dans la région, des sources nous rapportent que les conditions climatiques poussent les jeunes à migrer dans d’autres villes et pays. Alkaly Soumah résident à Kolaboui,  témoigne que l’argent de la compensation payé par les compagnies minières à des familles expropriées de leurs champs ou forêts est dépensé dans cette aventure. Parce que dit-il la chaleur qui est dans la région est intenable surtout avec le manque d’électricité.

L’organisation internationale de l’Immigration (OIM) a fait aussi une étude dans laquelle, elle lie le changement climatique et la sortie massive des jeunes guinéens.

Pour terminer, la Guinée doit prendre des précautions pour protéger son écosystème en réévaluant et inversant la méthode d’exploitation de ses ressources minières en général et celle de la bauxite surtout. Le pays doit se conformer de ses huit engagements pris lors de la COP21 à Paris. Puisque dans sa contribution déterminée au niveau national (CDN), elle a promu d’extraire ses minerais conformément aux normes climatiques.

Mamadou DIALLO

Journaliste environnement & climat

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