Les localités de Dapillon et de Wakriya dans la préfecture de Boké, sont parmi les nombreuses zones touchées par l’exploitation de la bauxite par la Société Minière de Boké (SMB). Dans ces localités, les activités des femmes se résumaient au travail de la terre notamment aux activités de potager, qu’elles cultivaient pour leur propre consommation et revendaient en grande partie sur les marchés hebdomadaires.
Les principales cultures développées sont l’aubergine, le concombre, le piment, le gombo, la tomate, l’arachide, le maïs, etc…
Selon les femmes les récoltes se faisaient (2) fois par an. Une à la saison sèche (entre les mois de Décembre et de Mai) et l’autre à la saison pluvieuse (de Mai à Novembre). « Avant l’arrivée de l’entreprise, les récoltes de deux femmes seulement pouvait charger un camion de condiment de toutes variétés pour aller la vendre à Kamsar ou à Boké » soutient une femme dans la zone de Dapilon.
A Dapilon, les terres agricoles ont été impactées par la construction de la route minière et du port pour le transport du minerai vers la chine. Contrairement, à Wakriya une partie des terres cultivables ont été affectée par l’extraction de la bauxite au niveau du plateau numéro 7.
Dans ces cas précis, le code minier de 2011, amendé en 2013, dans ses articles 123 et 124 et les standards internationaux en matière de sauvegarde sociale et environnementale stipulent clairement qu’une entreprise détentrice d’une concession minière a l’obligation de restaurer les moyens de subsistances d’une communauté qui serait impactée par ces activités.
En pratique, le principe de restauration des moyens de subsistances est appliqué différemment selon les entreprises. La Société Minière de Boké quant à elle, a opté pour une compensation numéraire, qui signifie la remise d’un montant qui pourrait remplacer les pertes causées ou enregistrées.
Aujourd’hui, la situation des femmes ayant bénéficié des compensations dans ces deux localités s’est détériorée par rapport à la période d’avant la compensation. Respectivement habitante de Dapillon et de Wakriya, deux femmes soutiennent ceci. « Au lieu que la compensation ne contribue à améliorer nos moyens de subsistances, elle a plutôt servi pour une petite période. Faute d’un investissement pérenne et d’une compensation adéquate qui remplace exactement ou plus la valeur des pertes que nous avons subi ».
Il est vrai que les indemnisations payées par l’entreprise en 2016, représentent une aubaine sur le court terme. Mais il est difficile pour celles qui pratiquent une activité de subsistance d’utiliser ces montants pour accéder à des ressources de revenus durables. Surtout, quand on sait que la plus grande partie de cet argent a été répartie entre la famille, dans l’achat des meubles comme les lits, les armoires ou des ustensiles de cuisine, ou encore à financer le voyage de leurs enfants vers l’Europe par la route migratoire de l’Afrique du nord nous confient-elles.
Actuellement la page de la compensation des cultures est tournée. Parmi les femmes interviewées qui ont réussi tant bien que mal à bénéficier d’une compensation pour la perte de leurs cultures vivent aujourd’hui dans la précarité. Elles se retrouvent entre manque d’activités due à la perte des terres agricoles et une compensation peux adéquate. « Á ce jour, je ne fais rien comme activité. C’est mon fils qui est employé comme manœuvre à la société avec son maigre salaire qui s’occupe de la famille » réitère une enquêtée de Wakriya.
Avant les compensations en 2016, les femmes de ces deux localités couvertes par notre enquête affirmaient jouir auparavant d’une indépendance économique. Mais, elles dépendent entièrement aujourd’hui de leurs maris ou fils qui ont la chance d’être employés par la société. Elles sont en manque d’activités génératrices de revenus pérennes. Leur équilibre socioéconomique se fragilise au fil du temps dans ces localités.
Conséquences le mode de vie a changé selon, Adama Sylla de Wakriya, « la famille s’agrandit et je ne travaille plus. Avant la compensation j’avais un enfant maintenant j’en ai trois. Difficile de les nourrir avec un sac de riz par mois. Nous mangeons plus á notre faim comme avant ».
Ce graphique ci-haut illustre les témoignages recueillis auprès des enquêtées. Toutes nos tentatives de recouper l’information sur les données liées aux montants de la compensation auprès des services de communication de l’entreprise ont été vaines.
Si certains hommes peuvent obtenir des emplois dans les sociétés minières en remplacement des revenus qu’ils ont perdus, il est rare que les femmes soient employées par ces sociétés, alors même qu’elles sont souvent chargées de trouver d’autres sources de nourriture en raison du manque à gagner dû à l’exploitation minière.
En septembre 2018, on ne comptait parmi les plus de 7 600 employés directs de la SMB que 274 femmes selon le rapport de Human Rights Watch.
Droit foncier des femmes dans les zones rurales
Bien que les femmes participent à l’agriculture, la plus grande partie de l’indemnisation payée pour les parcelles qui appartiennent à une famille ou une communauté́, est versée aux hommes qui jouent un rôle dirigeant au sein de la famille ou de la communauté.
Les terres dont les hommes et les femmes dépendent et qu’ils exploitent ensemble sont donc remplacées par des sommes d’argent versées à une poignée de leaders communautaires et de chefs de familles qui sont essentiellement des hommes, toujours selon rapport de Human Rights Watch sur l’impact de l’exploitation de la bauxite sur les droits humain dans la zone de Boké.
Ce fut le cas particulier de Wakriya, où au-delà de la compensation individuelle certaines femmes ont reçu un montant symbolique en guise de droit sur la compensation communautaire. Les montants perçus variaient selon les âges et de la lignée de la femme.
Cette situation relance d’ailleurs la question du droit foncier en Guinée, et spécifiquement de celle de la femme.
Soucieuse de la promotion de la femme, la Guinée a ratifié presque toutes les conventions internationales sur le sujet et intégré́ dans son droit interne des dispositions juridiques et réglementaires pour une égalité́ de droits et de chances entre les hommes et les femmes, notamment en matière foncière. Il s’agit principalement de la constitution et du code foncier et domanial de 1992.
Cependant, malgré les textes et les différentes politiques publiques et programmes mis en œuvre depuis des décennies pour une meilleure reconnaissance de leurs droits, l’accès des femmes à la terre reste une problématique majeure liée à plusieurs facteurs de nature politique et socio-culturelle. Cela s’explique par un ensemble de facteurs, parmi lesquels une forte pratique (des règles coutumières et religieuses, la persistance des réalités socioculturelles, l’ignorance des textes de loi régissant le foncier, la non prise en compte de la dimension de genre dans les politiques agricoles dans le pays, la faible capacité financière et juridique, et le déficit d’information sur les droits économiques et sociaux.)
L’absence d’impact positif des compensations sur le niveau de vie des femmes dans ces zones, s’explique selon elles par plusieurs facteurs. Il résulte souvent des facteurs endogènes très ancrés. Parmi elle, on note la marginalisation des femmes lors des différentes activités d’inventaire effectué par une entreprise donnée. Alors que les compensations sont faites sur la base de l’inventaire préalablement effectué. Pendant cette activité plusieurs femmes se trouvent être mise à l’écart par leur mari, qui souvent sont inventoriés au détriment de leurs épouses qui mettent en valeur la terre. Sous prétexte que la femme n’a pas droit à la terre, les femmes interviewées soutiennent que les compensations ont été le plus souvent perçues par leurs époux qui décident de leurs utilisations. Et dans les cas où celles-ci reçoivent, elle est partagée entre les besoins de la famille, ses propres besoins, et celui de sa famille (jeunes frères ou sœurs, tantes, oncles et mères, etc… qu’elles assistent).
Toutes ces réalités découlent d’une part sur les différentes responsabilités qui reposent sur la femme et d’autre part du régime patriarcal sur lequel nos sociétés reposent. Ce régime favorise peu une certaine libre expression de la femme surtout dans les zones rurales où l’indemnisation numéraire est faite par les compagnies minières.
Enquête réalisée par Mariam Barry pour afriquevision.info
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