Les gouvernements Africains doivent faire la lumière sur les prêts adossés aux ressources naturelles. Plusieurs pays africains souffrent de niveaux d’endettement accablants, les prêts adossés à des ressources naturelles en étant un facteur. Les nouveaux accords signés en Guinée et au Ghana donnent lieu à controverse. Les gouvernements africains doivent résister à utiliser les prêts pour des « ambitions politiques à court terme ».
LONDRES et NEW YORK, 27 février 2020 — Selon un nouveau rapport, les prêts adossés à des ressources naturelles ont contribué à des niveaux d’endettement accablants en Afrique et sont entourés de secret. Ces prêts aux gouvernements, garantis par le pétrole ou les minéraux, ont été soustraits de tout contrôle depuis trop longtemps, exposant les pays emprunteurs à de graves risques de surendettement, affirment les auteurs du rapport.
Un prêt adossé à des ressources naturelles est un mécanisme par lequel un pays peut accéder à des fonds en échange de flux futurs de revenus provenant de ses ressources naturelles, comme le pétrole ou les minéraux, ou en échange de garanties de remboursement constituées par ces ressources. Des chercheurs de Natural Resource Governance Institute (NRGI) ont examiné 52 prêts adossés à des ressources naturelles consentis entre 2004 et 2018, d’un total de plus de 164 milliards de dollars ; 30 d’entre eux (d’une valeur combinée de 66 milliards) ayant été consentis à des pays d’Afrique subsaharienne.
Sur les prêts consentis aux pays d’Afrique subsaharienne, 53 % du montant emprunté provenaient de deux banques publiques chinoises : la China Development Bank (CDB) et la China Eximbank. Le reste ayant été essentiellement fourni par des négociants internationaux en matières premières, principalement au Tchad, à la République du Congo et au Soudan du Sud.
Le rapport intitulé « Prêts adossés à des ressources naturelles : pièges et potentiels » explore les risques et opportunités que représentent ces prêts, et propose des recommandations stratégiques qu’emprunteurs et prêteurs peuvent mettre en œuvre pour améliorer les pratiques, avec un accent particulier sur les emprunteurs.
« Les dirigeants africains ont souvent contracté ces prêts pour contribuer à leurs propres ambitions politiques à court terme, leurs pays se retrouvant par voie de conséquence lourdement endettés et confrontés au risque de perdre des garanties valant plus que la valeur du prêt lui-même », a déclaré Evelyne Tsague, codirectrice Afrique de NRGI « Ils doivent éviter des accords aussi risqués, généralement négociés par des entreprises publiques mal gérées qui contournent souvent les parlements et les budgets nationaux. »
Le rapport montre comment les prêts consentis par les sociétés de négoce pétrolier sont particulièrement problématiques, notamment en ce qui concerne les modalités des prêts et les difficultés de remboursement. David Mihalyi, co-auteur du rapport et analyste économique principal au sein de NRGI, a déclaré : « Ces transactions, parfois qualifiées d’’avances de pétrole’, ressemblent souvent à des prêts sur salaire : les échéances sont courtes, les taux d’intérêt et les frais élevés, et aucun engagement n’est pris à l’égard de l’utilisation de l’argent emprunté. Les pays doivent se tenir à l’écart des avances pétrolières associées à des termes aussi préjudiciables. »
Des prêts qui échappent aux contrôles
La République Démocratique du Congo (RDC) est le seul pays couvert par le rapport à avoir publié un contrat de prêt adossé à des ressources naturelles, conclu en 2008 avec Sicomines, une coentreprise entre l’entreprise minière publique Gécamines et un consortium de sociétés chinoises. Douze ans après sa signature, et cinq ans après le début de l’exploitation du cuivre et du cobalt en question, aucune information n’a été mise à la disposition du public sur les infrastructures qui en découlent ou le plan de remboursement.
En vertu du contrat de 2008, les activités de Sicomines sont exonérées d’impôt jusqu’au remboursement complet du prêt, alors que ceci était en infraction de la loi minière à l’époque. C’est par la suite que le parlement de la RDC a approuvé une loi spéciale à l’égard de cette exonération. Cela étant, si le code minier de 2018 a revu à la hausse les redevances et les impôts des sociétés minières dans le but d’augmenter les revenus miniers de l’État, le gouvernement a toutefois déclaré que les entreprises ayant conclu une « convention de collaboration » spéciale telle que celle de la Sicomines ne sont pas tenues de se conformer à cette disposition du code.
« Les enjeux sont considérables pour les économies africaines et les collectivités locales ayant contracté des prêts adossés à des ressources naturelles, alors qu’il n’existe que si peu de redevabilité et de transparence : ceci doit changer », a déclaré Silas Olan’g, codirecteur Afrique de NRGI. « Emprunteurs et prêteurs doivent favoriser un examen plus minutieux permettant de garantir que ces prêts sont viables et servent les intérêts de la population et des pays qui sont censés en bénéficier. »
Prêts récents risqués pour le Ghana et la Guinée
La controverse entoure à la fois le Ghana et la Guinée et concerne leurs récents accords avec des entreprises chinoises impliquant l’échange de bauxite pour le financement de projets d’infrastructures. Le gouvernement du Ghana est tenu de rembourser un prêt de 2 milliards de dollars qu’il a conclu avec l’entreprise publique chinoise Sinohydro en 2018. Le calendrier de remboursement exige une accélération de la production et du raffinage de la bauxite, bien que le Fonds monétaire international (FMI) ait averti que ceci pourrait ne pas se réaliser, et que par conséquent une perte de garantie pourrait s’ensuivre.
La Guinée a conclu en 2017 un accord pour 20 milliards de dollars, soit l’équivalent de 200 % de son PIB actuel. La production de bauxite destinée à rembourser le prêt a déjà commencé, bien que peu d’informations sont accessibles au public concernant les modalités d’un financement aussi énorme et la façon dont le pays le remboursera. La production de bauxite comporte des risques environnementaux importants dans les deux pays, mais les citoyens concernés et les organisations de la société civile ont été exclus de toute consultation sur ces emprunts.
Silas Olan’g a ajouté : « Les accords ont déjà été signés au Ghana et en Guinée, mais il n’est pas trop tard pour faire la lumière sur les conditions du prêt et pour impliquer les communautés qui seront affectées par l’exploitation minière dans des discussions significatives. »
Des niveaux d’endettement accablants
Le rapport présente en détail la façon dont un endettement excessif a plongé de nombreux pays africains dans une crise financière et économique. Il fait suite à un avertissement de la Banque mondiale concernant la crise de la dette dans les pays émergents et en développement, et identifie quatre pays africains dans lesquels les prêts adossés à des ressources naturelles ont contribué de manière significative à de graves crises financières : l’Angola, Le Tchad, la République du Congo et le Soudan du Sud.
Suite à la chute des prix du pétrole en 2014, la dette du Congo est montée en flèche (de 70 à 120 % du PIB). Le gouvernement n’a révélé à la population qu’il avait contracté ces prêts qu’après avoir éprouvé des difficultés à les rembourser. La dette publique du pays s’élève à présent à plus de 9,5 milliards de dollars, et le FMI n’accordera aucun prêt supplémentaire au pays tant que le litige avec les négociants de matières premières au sujet du remboursement ne sera pas résolu. En ce qui concerne la RDC, le dernier rapport du FMI indique que le passif du projet Sicomines représente près de 40 % de la dette extérieure totale du pays.
Risques de corruption et mauvaise gouvernance
Sur les onze pays d’Afrique subsaharienne ayant contracté des prêts adossés à des ressources naturelles, huit ont reçu des notes médiocres ou insuffisantes relativement à l’indice de gouvernance des ressources (RGI) de NRGI, qui inclut parmi ses évaluations des mesures de transparence et de redevabilité des secteurs extractifs des pays.
L’Angola, qui est le pays en Afrique ayant le plus contracté les prêts adossés à des ressources naturelles, est actuellement embourbé dans une affaire de corruption à grande échelle impliquant son entreprise pétrolière publique, la Sonangol. La République du Congo a de son côté été impliquée dans un scandale majeur impliquant des représentants d’un géant du négoce des matières premières subornant des fonctionnaires publics pour avoir accès aux marchés pétroliers.
Potentiel d’amélioration
Le rapport n’est pas entièrement critique à l’égard des prêts adossés à des ressources naturelles. Les auteurs soulignent comment les pays emprunteurs obtiennent un financement moins onéreux grâce à ces prêts et peuvent les utiliser pour générer des rendements économiques qui, à long terme, dépassent leurs coûts de financement. Le rapport constate également que certains pays ont réussi à renégocier leurs prêts et à en améliorer les conditions.
Compte tenu des expériences largement négatives documentées dans le rapport, NRGI conseille cependant aux gouvernements d’être prudents dans l’acceptation de prêts adossés à des ressources naturelles. Ces mesures de prudence sont décrites dans le rapport sous la forme de recommandations stratégiques, par exemple : veiller à ce que les principales modalités de prêt soient approuvées par les ministères des Finances et mises à la disposition du public ; obtenir de la souplesse en matière de remboursement ; comparer différentes options de financement en vue d’obtenir les modalités les plus favorables ; et recourir à des experts juridiques et financiers pour la négociation des contrats.
Les auteurs notent également que des développements positifs ont eu lieu dans le panorama global des prêts. La Chine a publié des lignes directrices à l’égard de la viabilité de la dette pour les emprunteurs. Les mesures prises récemment par l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), le FMI et d’autres organisations ont amélioré les normes de transparence applicables aux prêts adossés à des ressources naturelles.
Mihalyi conclut que : « Des améliorations se sont produites mais il reste encore beaucoup à faire, d’autant plus que ces engagements ne sont pas encore devenus des pratiques courantes. Les emprunteurs et les prêteurs ont tous deux intérêts à éviter les mauvais prêts. Il nous faut tirer des leçons des erreurs du passé. Toutes les parties aux prêts adossés à des ressources naturelles doivent agir de manière transparente et responsable, et faire front commun pour trouver des solutions plus durables ».
Selon les auteurs du rapport, « L’analyse contenue dans le rapport repose sur les données recueillies par NRGI, ainsi que par Global Development Policy Center de l’Université de Boston et par l’initiative de recherche Johns Hopkins SAIS (China-Africa Research Initiative ou CARI) ».